Aelle : Un amour
Elle commande un thé noir, mais sans conviction, juste parce que nous sommes assis l’un en face de l’autre, au café du cinéma Odyssée et qu’il est de bon ton de choisir un truc à boire. Aelle n’est pas fille à se perdre dans les détails, elle n’est pas fille à se perdre tout court, elle sait où elle va, depuis longtemps, depuis son enfance à Issenheim, depuis qu’elle fait vibrer ses cordes vocales. C’est un état d’esprit.
Le rôle du soleil
Si elle sait où elle va, c’est sans doute grâce au socle, sa famille, dans laquelle elle tenait un rôle, déjà, un rôle majeur, pas simple à jouer, un rôle qui lui colle à la peau, celui du Soleil. Dans son univers de petite fille, les mots sont essentiels ; avec une maman professeure de lettres, elle baigne dans cet amour-là. Ce n’est pas un hasard si elle attache une réelle importance à la poésie du texte : « Ce n’est pas seulement un prétexte, c’est incontournable dans ce que je fais. Les mots sont les premiers vecteurs, le premier passage vers le partage.» Après le bac, elle démarre par le théâtre, une licence et une maîtrise d’art du spectacle, son premier rôle de comédienne arrive très vite. Elle passe sa journée à la fac et ses soirées sur scène. Plus tard, elle crée l’Indocile, sa propre compagnie. Elle écrit une quinzaine de spectacles qui tournent régulièrement au fil des saisons culturelles, des petits miracles permanents qui remplissent sa vie : « Je fais du spectacle vivant, car ce sont de beaux moments de rencontres ».
Les pieds sur terre
Anne Laure Hagenmuller est une artiste des pieds à la tête, et la distance entre les trois est imposante, au-dessus de la moyenne ; forcément un peu en marge, depuis toute « petite », les gens s’adressent à elle comme à quelqu’un d’un autre âge : « Ça calibre les choses en soi ». Aelle est grande, élancée et lancée vers le succès, cela ne fait aucun doute, mais les chemins de traverse qu’elle emprunte pour arriver à destination sont singuliers, Aelle joue la comédie, ou alors elle chante quand ça la chante.
Enregistrement chez Cabrel
Ses chansons pop seront regroupées dans un album baptisé Amours qui vient de sortir. Le clip du premier extrait Elle ose, tourné à Londres, est magnifique, sa tournée est calée, rien n’est laissé au hasard. Ou alors, il faut qu’il soit heureux, le hasard, comme celui qui l’a mené à Astaffort, la ville des rencontres de Francis Cabrel. Depuis 22 ans, le chanteur, radar détecteur de talents, accueille une fois par an une quinzaine d’artistes sélectionnés pour écrire des chansons et monter un spectacle. Celui de 2017 n’avait jamais été d’aussi bonne qualité. Un état de grâce. La petite troupe improvisée a vécu dans un état d’euphorie : « J’avais conscience, ce qui est rare, que l’on était en train de vivre quelque chose de génial ». Tellement génial que Cabrel promet une suite. Pour la première fois, il propose la production d’un album collectif. Deuxième séjour à Astaffort pour Aelle, au mois de janvier dernier. Une expérience extraordinaire dans la maison de Cabrel qui « laissait les clés, mais il venait tous les jours ». Elle enregistre deux titres (qui seront gravés également sur l’album Amours) dans un état de joie complet : « Je suis sincèrement heureuse, je ne projette rien, je n’attends rien », mais on attend la tournée en France pour les membres de cette belle aventure.
L’amour avec un s
Depuis toujours, elle est enthousiaste. C’est un joli cadeau de la vie l’enthousiasme, ce qui n’empêche rien, et surtout pas d’être très mélancolique. Enthousiaste et mélancolique, sont deux mots qui tracent bien son portrait. Ajoutons l’hypersensibilité. Aelle sent les gens, elle ressent les choses, une sorte d’intuition qui ne protège pas, car vivre, intensément, c’est parfois s’exposer, se cogner, on ne peut pas avoir sa carapace tout le temps sur le dos, être en contrôle permanent. Alors, elle se sert de tout ça pour sa vie d’artiste, profondément fascinée par la nature humaine, par l’amour aussi, avec un s à la fin, comme le titre de son album, Amours. Elle chante, elle écrit pour dire les choses, les décrire, sans forcément les expliquer, enfin, un peu quand même : « Je suis en ouverture profonde avec les autres, dans une intensité de rapports que je ne provoque pas, je ne rencontre pas à moitié. Parfois la limite n’est pas très claire pour moi, mais je m’en fous. Dans la journée, il y a plein de fois où j’aime. Amour avec un s, ça veut aussi dire cela : aimer, ça arrive à plein de moments, on peut trébucher d’amour, on peut aimer longtemps, profondément, ou cinq minutes. J’accepte, je suis ouverte à ça de manière plus apaisée, cela fait partie de moi, de mon chemin. » Vous la croiserez peut-être en Alsace ou en France, Aelle jouera les titres d’Amours dans un nouveau spectacle dans lequel, une fois encore, elle tiendra le rôle du soleil.