Amelia Tavella, l’étoile montante de l’architecture française

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Finaliste du prestigieux prix Mies Van der Rohe en 2024 pour son audacieuse « Renaissance » du couvent Saint-François en Corse, l’architecte Amelia Tavella a donné une attendue conférence le 9 octobre à Karlsruhe, à son image : tout sauf boring !

A melia Tavella a une aura singulière. Un côté mystérieux, poétique, tant dans sa façon de parler que dans ses réalisations architecturales. Une part de mystère qu’elle doit sans doute à sa Corse natale où elle puise son inspiration entre maquis et Méditerranée et à son enfance fracturée. « Dans mon métier, je fais beaucoup de parallèles entre ma propre vie : ce que l’on est en tant qu’humain ressort sur le bâtiment, confie l’architecte à la tête d’une agence d’une dizaine de personnes à Aix-en-Provence. Après mes maternités par exemple, j’ai réalisé des bâtiments beaucoup plus en rondeurs. Le temps nous adoucit, et cela se ressent dans nos rapports aux gens et aux éléments. »
Amelia Tavella aime la notion de réparation. « Petite j’étais une enfant meurtrie par le divorce de mes parents, j’ai réparé cette petite fille grâce à la rencontre avec la psychanalyste Anne Dufourmantelle, auteure de deux ouvrages : L’éloge du risque et La puissance de la douceur. Ces deux notions sont celles que je garde quand je fais mes projets. La petite histoire de la fillette un peu cassée rejoint la grande histoire puisque je m’occupe de bâtiments qui en avaient besoin. »

Le couvent Saint-François à Sainte-Lucie de Tallano en Corse revu par Amelia Tavella.

L’ART DE LA RÉPARATION

À l’image du couvent Saint-François à Sainte-Lucie de Tallano en Corse, en état de ruines avancé, dont la « Renaissance » est saluée par la critique. « Des gens du monde entier me parle de ce bâtiment, lui si isolé… C’est pour cela que j’ai réussi ce geste audacieux de lui avoir fait une greffe de cuivre peu commune, car personne ne se souciait de son avenir… Être architecte, c’est quelque part désobéir. » Amelia Tavella a un rapport presque charnel à la matière, aux lieux, aux couleurs, à la lumière, celles et ceux qui ont bercé son enfance sur l’île de Beauté. « J’ai cette intuition que les bâtiments sont vivants, je les traite comme tel, avance-telle. Ce projet, je l’ai commencé en 2015, il a pris un temps fou à cause peut-être de ma jeunesse, de l’isolement du site, de l’état de délabrement du couvent, des conditions météo entre pluie, neige, du COVID aussi… C’était le baptême de feu ! Je me sentais parfois comme cette personne qui assurait une procession religieuse en portant une croix de 70 kilos, pieds nus et enchaînés. Mais aujourd’hui, cet édifice me remercie. » Un projet titanesque qui lui a valu d’être finaliste du prix Mies Van der Rohe, l’équivalent du prix Nobel en architecture, et d’être qualifiée d’« étoile montante de l’architecture française » à l’occasion du palmarès Choiseul Ville de Demain. Pas de quoi lui faire prendre la grosse tête : « Je ne prends pas la mesure des compliments, le quotidien est si compliqué que l’on doit faire preuve d’humilité. L’architecte n’est pas seul, il travaille en équipe. » Car Amelia Tavella a cette autre singularité de s’entourer d’auteurs, de philosophes, de photographes, de socio-anthropologues avant de dessiner le premier trait. « C’est tout ce travail d’enquête qui permet de savoir quelle réponse on va donner, souligne-t-elle. L’architecte ne peut rien tout seul, sinon on se contente d’interpréter des édifices. Notre métier, c’est de redonner un terrain de jeux aux habitants, aux utilisateurs, à leurs pratiques culturelles. »

UN TRAVAIL D’ANTHROPOLOGUE

Pour redessiner le centre d’Ajaccio, Amelia a ainsi mené un vrai travail d’enquête avec un socio-anthropologue pour comprendre ce que ses habitants attendaient. « Nous nous sommes rendu compte que la sociabilité à Ajaccio, ville méditerranéenne typique et singulière à la fois, se fait en marchant dans les rues. Les rues piétonnes y sont plus importantes que les places pour les rencontres. C’est le reflet de pratiques qu’il faut traduire. »


Dans le même esprit, Amelia Tavella s’est entourée d’historiens spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, maître de conférences à l’université Paris 1 et spécialiste de la captivité de guerre, afin de proposer un projet pour réparer l’Histoire cette fois, avec la création d’un musée en Normandie sur un camp américain de prisonniers allemands à Foucarville. « Nous avons découvert que malgré tout se dégageait une part d’humanité dans cette prison où des amitiés sont nées entre Américains et Allemands. J’ai eu la chance d’être short-listée car le jury a adhéré à mon regard, pas seulement à un geste architectural. Je suis honorée d’avoir été retenue sur un sujet aussi grave, d’autant qu’il est rare qu’une femme architecte soit qualifiée sur des musées… On pense plutôt à nous pour des écoles ! Je suis très heureuse de nous représenter, de montrer que l’on peut avec un peu de douceur faire émerger quelque chose de cet édifice. »
Amelia Tavella se préparait à un été studieux pour proposer sa vision de ce musée. À l’invitation des Journées de l’architecture, on la retrouvera le 9 octobre à Karlsruhe pour une conférence qu’elle envisage comme une conversation, tout sauf académique. À son image.