Apéro mortel : la mort se dépoussière !
L’association strasbourgeoise Maintenant, l’après organise des Apéros mortels pour discuter, sans tabou, de toutes les questions autour de la mort et des obsèques. Dès l’an prochain, elle proposera aussi des services de pompes funèbres, via une coopérative funéraire en cours de création.
Les fausses araignées et les poupées sanguinolentes qui décorent le Café Grognon – saison d’Halloween oblige – ne troublent pas la dizaine de personnes rassemblées dans une pièce privatisée. « On se retrouve ce soir pour discuter du métier de croque-mort. Toutes les questions sont bienvenues et nous y répondrons autant que possible », annonce Valentine Ruff. Membre fondatrice de l’association Maintenant, l’après, elle anime cet Apéro mortel, organisé dans le cadre des Rendez-vous mortels de la semaine de la Toussaint.
À ses côtés, Caroline Laemmel, croquemort de son état, débute la conversation. « Jusqu’à la fin du monopole des pompes funèbres en 1993, on parlait de “régleurs”, puis sont apparus les assistants funéraires. Aujourd’hui, l’intitulé exact de notre métier est conseillé funéraire : notre travail consiste à écouter les familles afin de les accompagner au mieux dans l’organisation des obsèques de leur proche, expose-t-elle d’une voix posée. De la gestion administrative au déroulement de la cérémonie, nous sommes un peu des couteaux suisses. » Il n’en fallait pas davantage pour briser la glace. Autour des petites tables, quelques femmes et un peu moins d’hommes d’âges divers sont venus, qui par curiosité, qui en écho à une expérience personnelle, qui encore pour avancer sur un projet de reconversion professionnelle… « Est-ce que les pompes funèbres sont les premières personnes à appeler en cas de décès à la maison ? » « Peut-on trouver des pierres tombales d’occasion ? » « Nous avons dispersé les cendres de mon père dans les vignes, mais en avait-on le droit ? »
OBSÈQUES ÉTHIQUES
Même quand les questions pourraient paraître saugrenues ou que les témoignages convoquent des souvenirs douloureux, les échanges ne tournent jamais au vinaigre. C’est précisément pour offrir ce type d’espaces de discussion que l’association Maintenant, l’après a été créée en 2019. « Notre objectif, c’est à la fois de dédramatiser le sujet de la mort et de réfléchir au sens que l’on donne aux rites funéraires », précise Mélissa Bissessur, la présidente de l’association.
Il faut bien reconnaître, en effet, que la mort a déserté nos quotidiens. Elle survient le plus souvent à l’hôpital ; le deuil est devenu un cheminement essentiellement intime et ne se porte plus guère en public. Pour autant, les questions n’ont pas disparu, bien au contraire. L’affaiblissement des croyances et des rituels religieux ouvre le champ des possibles : que faut-il expliquer aux enfants ? À qui peut-on confier ses dernières volontés ? Peut-on choisir un texte pour ses propres obsèques ? Autant de thèmes abordés au cours des Apéros mortels organisés régulièrement.
Mais l’association veut aller plus loin. « Nous avons à coeur de faire bouger les lignes pour que les cérémonies et les choix funéraires puissent correspondre aux valeurs des personnes décédées et de leur entourage », résume Mélissa Bissessur. Concrètement, les bénévoles de Maintenant, l’après militent pour que de nouvelles solutions soient autorisées par la loi, notamment l’humusation des corps. Une coopérative funéraire est également en cours de création et démarrera ses activités à Strasbourg début 2023. « Grâce à des partenariats avec des artisans et des artistes locaux, nous pourrons proposer des obsèques différentes, plus éthiques », promet Valentine Ruff. Elle-même s’est formée au métier de conseiller funéraire et elle officiera au sein de la coopérative. De quoi rendre la mort un peu plus vivante.