Art et vin, un regard neuf sur l’étiquette
Transformer un élément marketing en véritable oeuvre artistique dans un processus de création partagé, c’est la démarche originale adoptée par le collectif Les 9 depuis 2014 pour promouvoir l’excellence oenologique alsacienne et faire entrer en résonance deux mondes reliés par de nombreuses passerelles.
C’est le peintre et écrivain Philippe Hillenweck qui est à l’origine de ce projet qui regroupe huit autres artistes du secteur sundgovien : le photographe Guy Buchheit, les sculpteurs Yves Carrey et Hervé Spycher, le designer graphiste Justin Hug, les artistes multimédia Chéni, Daniel Dyminski et Christophe Hohler et le peintre Bernard Latuner. Philippe, qui a déjà à l’époque un pied dans la création d’étiquettes, les convainc un à un de rejoindre l’aventure avec l’objectif d’accompagner des vignerons alsaciens sur des cycles de trois ans jusqu’en 2034.
COMME UN PUZZLE QUI S’ASSEMBLE
Le Domaine Gustave Lorentz, à Bergheim, est le premier à tendre la main au collectif, qui conçoit sa toute première étiquette en 2016 pour habiller 234 jéroboams d’un pinot gris bio du millésime 2015. Un format de bouteille parfaitement adapté au projet, au regard de sa large surface d’exposition. Deux autres cuvées suivront pour ce vigneron avant que les domaines Paul Ginglinger, à Eguisheim, et Joseph Gsell, à Orschwihr, ne croisent eux aussi le chemin des neuf artistes pour six nouvelles créations. Chaque étiquette, divisée en neuf parties, assemble les oeuvres de chaque membre du collectif. « Ce qui me frappe à chaque fois », s’enthousiasme Bernard Latuner, « c’est l’harmonie qui se dégage de l’ensemble malgré nos styles tous différents ». Une harmonie et une complémentarité qui puisent sans doute leur source dans l’espace de liberté accordé à chacun et aux liens très forts qui unissent les membres de ce collectif.
LES COPAINS, D’ABORD
Car bien plus qu’un regroupement d’artistes, les 9 forment avant tout une bande de copains. Leurs premières réalisations sur des flacons alsaciens rencontrent un tel succès que s’ouvrent bientôt à eux les portes d’autres domaines, dans d’autres régions viticoles, en France comme en Europe. Autant d’escapades que l’on imagine studieuses et bien arrosées en Champagne, en Corse, en Beaujolais, en Suisse ou en Allemagne. Partout, ils y ont forgé leur amitié, cimenté leur concept et consolidé leurs relations artistiques « exemptes de tout esprit de compétition », souligne Daniel Dyminski. Sans jamais perdre de vue l’essentiel : le travail de création et la connexion avec le vigneron qui en inspire les lignes directrices. Un processus long et réfléchi, au cours duquel sont définis thème et couleurs dominantes, avant que chacun n’aille en exprimer sa propre vision dans son atelier. « Entre le choix de la cuvée et la réalisation de l’étiquette, il faut compter une bonne année », précise Philippe Hillenweck, « et, au final, près de 350 heures de travail ».
UN VERRE À MOITIÉ PLEIN
Le projet artistico-oenologique des 9 arrive aujourd’hui à mi-parcours. L’occasion pour chacun des artistes qui composent cette talentueuse tribu d’en tirer un premier bilan. « Franchement, je ne pensais pas que cela prendrait une telle ampleur », avoue Hervé Spycher. « Grâce au collectif, je me permets des choses que je ne me permettrai pas tout seul », poursuit-il. Le ton est sensiblement le même dans la bouche de Bernard Latuner. « Le travail avec les 9 m’extrait de mon propre univers, de mon monde de recherches. C’est un peu d’air frais pour moi et une sacrée aventure ». « En atelier, on fait ce que l’on veut », rajoute Daniel Dyminski. « Là, on doit suivre quelques règles et il y a un vrai challenge à relever dans ce format peu habituel ». Guy Buchheit insiste de son côté sur le caractère communautaire de l’expérience. « Quand on est ensemble, ça marche ! Sans enjeu ni jalousie, mais en parfaite communion ». Yves Carrey, de son côté, s’amuse de la pérennité du projet. « Je suis assez surpris que personne ne se soit barré jusque-là, moi le premier. Je dois toujours me sentir libre et, là, depuis le début, je ne me sens pas du tout contraint, même s’il faut bien sûr faire sa part du travail ».
Un travail qui se poursuivra l’an prochain, toujours sous la coordination de Philippe Hillenweck, avec l’entrée du Domaine François Baur, à Turckheim, dans le giron des collaborations alsaciennes. Un nouveau cycle de trois ans pour les 9, qui ambitionne de boucler leurs 20 ans de collaboration en 2034 avec une troisième étiquette destinée au Crémant Kairos du Domaine Joseph Cattin, après celle réalisée « hors cadre » en 2020 pour les 300 ans de la maison de Voegtlinshoffen et celle programmée en 2027 pour en suivre une première évolution sept ans plus tard.
Le temps et le vin, ces deux éléments qui s’écoulent, le premier bonifiant le second.