Au CRBS avec Jacky Goetz

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Article publié dans Or Norme N°57 (juin)

Dans le tout nouveau Centre de recherche en Biomédecine (CRBS) de l’INSERM à Strasbourg, le directeur de recherche passionné bouscule les clichés du scientifique nerd.

]acky Goetz est de ceux pour qui la science est une vocation, un engagement viscéral. Directeur de recherche, chef d’équipe, scientifique engagé, il consacre sa vie à une question vertigineuse : comment le cancer devient-il létal ? Alsacien d’origine tombé amoureux de la science au lycée en découvrant la structure 3D des protéines, il n’a depuis jamais cessé de chercher à comprendre. Après une fac de pharmacie à Illkirch, il part à l’étranger pour son doctorat, d’abord à Montréal, puis à Vancouver. Suivra un stage postdoctoral à Madrid, avant un retour en Alsace en 2010. Trois ans plus tard, l’INSERM lui confie enfin un poste de directeur de recherche. Un rêve de toujours devenu réalité. Aujourd’hui, ils sont 25 chercheurs, dont six statutaires, à scruter sans relâche les mécanismes de la dissémination métastatique – ce moment où une cellule tumorale parvient à quitter la tumeur pour aller coloniser un autre organe.

© Simon Pagès

Récemment, Jacky Goetz et son équipe ont démontré que les plaquettes sanguines jouaient un rôle clé dans l’expansion des cellules tumorales en les protégeant des attaques du système immunitaire et en favorisant leur prolifération. Mieux encore, ils ont identifié un anticorps, le glenzocimab, capable de neutraliser cette fonction sans affecter le rôle normal des plaquettes dans la réparation des vaisseaux sanguins. Une piste prometteuse, même si les applications concrètes pour le patients prendront encore des années. Si la science avance dans son laboratoire, c’est d’abord parce qu’il excelle dans un art devenu central pour tout chef d’équipe scientifique : celui de décrocher des financements. Car en France, la recherche progresse au rythme des dossiers à remplir et des budgets à justifier. L’INSERM et l’Université de Strasbourg allouent à son équipe 30 000 € par an, un budget ridicule quand on sait que les frais de fonctionnement de l’équipe s’élèvent en réalité à 700 000 €. Pour combler ce gouffre budgétaire, Jacky Goetz doit solliciter sans relâche des organismes financeurs, publics ou associatifs. « C’est le nerf de la guerre », explique-t-il. Il faut surveiller les appels à projets, rédiger, convaincre, justifier, encore et encore. « Mon métier, ce n’est pas ça », souffle-t-il, frustré. Une réalité partagée par de nombreux chercheurs en France, contraints de jongler entre science et survie financière, dans un contexte de sous-financement chronique de la recherche publique.

 

« Je pense science chaque seconde de la journée »

 

Pourtant, il tient bon. Ce qui le guide, ce n’est pas une vision romantique du malade à guérir, mais une curiosité sans relâche. « Je pense science chaque seconde de la journée », dit-il. Ce qui l’obsède ? Les mécanismes invisibles, les logiques internes, cette architecture fascinante du vivant qu’il s’efforce de décoder. Père de deux filles, ultra-sportif, il mène une vie intense, à l’image de sa quête scientifique. Une course de fond contre l’inertie, le doute… et surtout, contre le manque de moyens. ←