Au Zénith avec Sylvie Chauchoy

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Rien ne la prédestinait à diriger l’une des plus grandes salles de spectacles de France. Si la vie avait suivi une trajectoire logique, Sylvie Chauchoy serait peut-être restée au bord d’un bassin.

Elle est de ceux qui apprennent tout par eux-mêmes et qui savent ce que vaut la place qu’ils occupent. Depuis 2010, Sylvie Chauchoy dirige le Zénith de Strasbourg, salle monumentale de douze mille places et écrin des plus grandes tournées, tant nationales qu’internationales.
Ce n’est pourtant que la partie la plus visible de son activité : Sylvie Chauchoy coordonne également 15 salles pour le groupe S-PASS TSE, filiale de GL Event, où elle fait le lien entre les directeurs de salle et la stratégie du groupe. Un poste exigeant, transversal, qui exige de savoir entendre, comprendre et trancher.

©Tobias Canales

À l’origine, cette autodidacte n’a ni réseau, ni diplôme. Une formation de secrétaire médicale, pas de bac et une première vie passée dans les couloirs chlorés d’un centre de natation de haut niveau à Lyon. C’est l’amour qui la conduit à Belfort et un concours de circonstances qui l’ancre pour de bon dans le monde du spectacle : « Quand je suis arrivée, la piscine de la ville était en travaux. Pas de job pour moi. J’ai fait des ménages, gardé des enfants… Puis j’ai entendu parler d’un poste de secrétaire pour organiser une fête musicale ». Ce sera la première édition du festival Le Ballon, qui deviendra l’année suivante les Eurockéennes de Belfort. Elle n’a jamais vu de concert live de sa vie, mais elle a envie d’en être. Elle postule. Elle est prise.

Embauchée sur des contrats courts, elle prend en charge la logistique, la production, la coordination, jusqu’à devenir directrice générale adjointe. Elle apprend en marchant et devient « un pilier » à force de travail et de patience, dans un monde encore très masculin, où l’on gagne sa place par les actes et non par les titres. Après vingt ans passés sur le terrain, une forme d’usure s’installe. Le besoin d’élargir ses horizons se fait sentir. Elle décide alors de reprendre ses études et s’inscrit à un master en management, qu’elle décroche « avec mention », dit-elle fièrement. « Ce diplôme venait enfin reconnaître ce que l’expérience seule m’avait appris à maîtriser ». Une reconnaissance tardive, mais précieuse.
De nouvelles portes s’ouvrent. On lui propose la direction de plusieurs salles, mais elle préfère attendre le bon moment. Il survient en 2008, avec l’ouverture de l’Axone de Montbéliard : elle saisit l’opportunité. Deux ans plus tard, elle prend la barre du Zénith de Strasbourg.

 

Avec ses 12 000 places, le Zénith de Strasbourg est le plus grand de France. ©Tobias Canales

Cette salle, elle en parle avec une précision de mécanicienne. Quatre personnes y travaillent à temps plein : elle, un régisseur général, un responsable commercial et un responsable administratif. La petite équipe est épaulée par une galaxie de prestataires : « On opère en continu, souvent 24h sur 24 ». Sylvie Chauchoy n’assiste jamais vraiment aux concerts. Quand le public applaudit, elle est à son bureau, à faire les comptes. Le métier veut cela. Le règlement se fait « au cul du camion », comme elle le dit avec cette franchise qu’on trouve chez les gens de terrain. On reçoit la recette, on édite la facture, on la discute avec le producteur. Le spectacle n’est jamais qu’une parenthèse faite pour ceux qui regardent.

Le Zénith qu’elle dirige ne fonctionne pas comme une salle subventionnée. « C’est notre troisième contrat de délégation de service public signé avec la collectivité depuis 2008. Nous sommes actuellement dans notre troisième mandat de dix ans, qui s’achèvera en 2029 », précise-t-elle. Cette délégation s’accompagne d’une exigence claire : programmer largement, pour tous les publics. Accueillir les grandes tournées, bien sûr, mais aussi répondre aux sollicitations des associations locales, donner une place aux propositions plus fragiles. Sylvie Chauchoy veille à cet équilibre. À la fois gestionnaire rigoureuse, stratège et médiatrice, elle incarne une forme de culture populaire au sens noble : accessible, vivante, exigeante. Après 35 années passées dans le spectacle, elle a vu le paysage culturel français se transformer : des gymnases bricolés des années 80 aux 17 Zéniths et quelques Arenas aujourd’hui. Elle a assisté à cette bascule, au moment où la musique est devenue une affaire d’équipement, de qualité et de confort.

Sylvie Chauchoy et son équipe sont les seuls salariés à temps plein du Zénith de Strasbourg. ©Tobias Canales

Décorée de la Légion d’honneur pour son parcours professionnel en 2014, elle pourrait raconter les passages de Beyoncé, Lady Gaga, Usher ou ce regard furtivement échangé avec David Bowie, un soir aux Eurockéennes. Mais ce n’est pas son genre. Elle ne frappe pas aux portes des loges. Elle ne cherche ni contact ni lumière. Ce qui l’anime, ce sont les rouages bien huilés, la précision du calendrier, le soin des équipes, la réussite de l’accueil. Elle reste en retrait, volontairement, avec cette sobriété qui fait sa signature. Mais c’est bien cette discrétion-là qui rend le reste possible. L’ombre qu’elle habite éclaire tout ce qui se joue devant.
Et quand la salle s’éteint, quand les applaudissements s’évanouissent, elle est déjà ailleurs, à préparer le spectacle suivant.

©Tobias Canales