Bibliothèques idéales, le temps de l’admiration

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Installées par la force du calendrier au mitan de cette année exceptionnelle où Strasbourg a la charge d’incarner le livre et la lecture, les Bibliothèques idéales réinvestissent l’espace avec un nouveau temps fort. Douze jours durant, du mercredi 18 au dimanche 29 septembre, une centaine d’auteurs viendront témoigner, débattre, lire, échanger sur le thème de l’admiration, « cette subite surprise de l’âme » dont parlait Descartes.

Il faut vivre ! L’an dernier à pareille époque, l’affiche des Bibliothèques idéales était comme un manifeste, avec ce point d’exclamation impératif à un moment où l’histoire oblige à ne rien céder. Celle de cette année porte en elle un sentiment qui pourrait en être le prolongement.
Parce que, finalement, qu’est-ce vivre sans admirer ? Qu’est-ce au juste que vivre sans connaître ce que René Descartes considérait comme la passion première, celle qui permet de regarder le monde autrement, de considérer ce et ceux qui nous entourent comme des objets ou des êtres exceptionnels ? Comment penser vivre sans s’abreuver à cette source d’inspiration qui « nous pousse vers le changement personnel, cette reconnaissance joyeuse d’une supériorité d’autrui » pour reprendre des paroles d’aujourd’hui cette fois, celles du psychiatre Christophe André.
Vivre sans admirer, c’est comme vivre sans espérer, ce n’est pas vivre pleinement. Et nos admirations qui sont des étonnements disent beaucoup de ce que l’on est.
« Aujourd’hui on a tendance à se méfier de l’admiration et à la voir comme une emprise, alors que c’est un sentiment qui anoblit et nous tire vers le haut. C’est court, c’est fort, c’est percutant et ça fait partie des grandes fulgurances de l’adolescence et de la vie », explique François Wolfermann, créateur des Bibliothèques idéales et directeur de l’association Relatio qui a désormais la charge du festival. « On se construit sur l’admiration du beau, du grand, de l’exceptionnel. C’est un sentiment très poétique en fait que symbolise le vers de Neruda “parmi les étoiles admirées…” qui nous a donné l’idée directrice du festival. Mais admirer, c’est aussi s’engager et on avait envie de défendre ça par rapport à l’époque. Ça nous a semblé un beau thème pour ces Bibliothèques idéales ».

Médusé d’admiration !

Cette année, une somptueuse méduse a été choisie comme mascotte du Festival, symbolisant cette puissance de l’admiration dans un monde où elle semble parfois anachronique, à l’heure des réseaux sociaux et de la culture du ressentiment. Car admirer, c’est avant tout établir une interaction vivante avec le monde, une manière conviviale et écologique de s’y relier. La Méduse, avec son allure mystérieuse et captivante, reflète les peurs et fantasmes qui traversent nos sociétés, devenant ainsi l’une des métaphores les plus puissantes de l’art et de l’effet saisissant qu’un livre peut provoquer…
Se poursuit ainsi au mitan passé de 2024 une oeuvre entamée en 2006 et qui n’a jamais renoncé à placer l’exploration littéraire et artistique au coeur des grands enjeux sociétaux en accueillant à Strasbourg les plus grands des écrivains comme ceux en devenir. Parce que tout est lié bien sûr, la vie, la littérature, le chant, pour que ce rendez-vous ne soit pas un simple salon du livre et de la dédicace, mais un espace de rencontres, de débats, un festival artistique au sens le plus large du terme.
Ce sera encore une fois le cas cette année pour ce gros temps fort où sont notamment annoncés Amélie Nothomb, Édouard Louis, Agnès Jaoui, Alain Damasio, Gaël Faye, Kamel Daoud, Delphine Horvilleur, Yasmina Khadra, Alain Mabanckou, Olivier Guez, Leïla Slimani, Philippe Collin, Pierre Assouline, Emma Becker, Alain Erik Orsenna, Élodie Frégé, Pierre Rosanvallon et tant d’autres. Pour marquer une année dense et inédite puisque les Bibliothèques idéales ont largement évolué depuis qu’elles ont quitté le giron exclusif de la Ville et de l’Eurométropole.

« La municipalité nous soutient toujours beaucoup, nous pouvons aussi compter sur la Communauté Européenne d’Alsace (CEA) ou la Région Grand Est et ce soutien des collectivités publiques est évidemment essentiel », poursuit Lisa Haller, cheville ouvrière de l’événement. « Mais ce fonctionnement que nous avons depuis un an maintenant nous permet d’avoir plus de souplesse et une vraie liberté. Nous pouvons plus travailler sur le long terme, mais aussi réagir à chaud à l’actualité en montant rapidement des rendez-vous sur un thème donné et multiplier les rencontres en dehors de nos grands rendez-vous de janvier et de septembre. »
Une évolution tout de suite perceptible puisque sitôt la procédure d’Appel à manifestation d’intérêt bouclée et le destin de la manifestation confié à l’association Relatio présidée par Bernard Alexandre, le rythme s’est accéléré.

Prendre le pouls du monde

Au traditionnel temps fort de janvier ont ainsi succédé Le temps des féminismes, qui a connu un succès tel qu’il est appelé à devenir un moment majeur et récurrent de la saison, il sera d’ailleurs reconduit en mars prochain. Un week-end monté autour de la question sans doute centrale « Que peut guérir la littérature ? » s’est aussi intercalé et un autre, en juin dernier à la BNU, ambitieusement consacré à la traduction, a passionné les foules. « Nous allons poursuivre dans cet esprit », continue Lisa Haller, « avec le 3 novembre prochain, avant les élections américaines, la venue de Douglas Kennedy qui s’apprête à sortir un livre sur ses relations avec les États-Unis et, fin janvier 2025, un week-end consacré à la littérature concentrationnaire et au populisme ». Plus que jamais, il s’agit donc de prendre régulièrement le pouls du monde. De l’entendre respirer. Avec ce temps fort et forcément spécial cependant de la rentrée où il halète davantage encore puisque l’événement s’étire sur douze jours autour du « vaisseau amiral » de l’Aubette avec une incursion de deux jours (le samedi 21 et dimanche 22 septembre) au sein du prestigieux hémicycle du Parlement européen. Comme pour ancrer l’événement dans un autre rapport au monde, dans une autre dimension aussi. « C’est important pour nous d’être chaque année au Parlement, c’est une symbolique très forte et cette année elle le sera tout particulièrement avec le dialogue entre Judith Godrèche et l’historienne Michelle Perrot qui s’y tiendra le samedi 21 », poursuit François Wolfermann.
L’Aubette, le Parlement européen, mais aussi une douzaine de librairies indépendantes, les médiathèques, les écoles, les quartiers, comme autant de lieux où la littérature a rendez-vous avec le réel. L’idée, qui a globalement toujours été celle des BI depuis leur création, étant d’innerver le tissu local et de développer les partenariats (avec l’orchestre philharmonique, le Rectorat, l’Alliance française, etc.) puisqu’une bibliothèque n’est idéale que lorsqu’elle est accessible au plus grand nombre. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’accès à l’immense majorité des rencontres reste et restera gratuite. Seuls cinq spectacles donnés en soirée sur la vingtaine de lectures musicales proposées étant payants (12€) cette année.
« Ce sont des événements exceptionnels et des créations », dit encore le directeur de ces BI qui débuteront avec une ouverture comme il se doit majuscule le mercredi 18 septembre salle de l’Aubette (à 17h30), en compagnie de Nicolas Mathieu sur le vaste thème de « La littérature et la vie ». Qui mieux en effet que l’auteur de Leurs enfants après eux, prix Goncourt 2018, et de Connemara, écrivain totalement engagé dans son époque, pour donner le La de cette édition dense, riche d’une soixantaine de rencontres. En un mot admirable.

Programme complet : biblideales.fr