Catherine Ulrich, l’Islande au coeur…

Partager

Article publié dans le cadre du dossier Destination de Légende sur l’Islande, publié dans Or Norme N°47 et à découvrir également en ligne

« Alsacienne et Strasbourgeoise de souche » tient-elle d’entrée à préciser, Catherine Ulrich vit depuis toujours une incroyable histoire d’amour avec l’Islande. Nos rencontres à Strasbourg d’abord puis à Reykjavik – pour son 77e séjour là-bas ! – ont révélé chez elle un attachement quasi viscéral à l’île perdue dans l’Atlantique-Nord dont elle nous parle avec une passion intacte. Portrait…

Nous sommes dans les années cinquante.
C’est un simple livre dans une bibliothèque familiale d’un appartement strasbourgeois de l’allée de la Robertsau. La petite fille a sept ou huit ans, peut-être… Elle est devenue octogénaire aujourd’hui (même si on lui donne facilement quinze ans de moins), mais elle se souvient bien de ce livre et surtout de sa couverture : « Il appartenait à mes parents » raconte Catherine Ulrich avec une pointe de nostalgie dans la voix « et je me souviens comme si c’était hier de sa couverture et de la photo de cette église de Háteigskirkja et ses quatre clochers (une église d’un quartier de Reykjavik – ndlr). Le cliché avait dû être pris au lever ou au coucher du soleil, je pense, car je me rappelle bien de ses couleurs orangées. Ce livre, j’ai dû le feuilleter des centaines et des centaines de fois. Je ne rêvais pas encore de volcans ou de geysers, mais pour moi, toute petite fille, ce livre et cette couverture résumaient l’Islande. Et je me suis mise à me passionner pour ce pays… Mais, malgré tout cela, j’ai mis très longtemps avant de poser le pied sur cette terre. Je suis devenue veuve très tôt, j’élevais seule mes trois enfants et se rendre à quatre en Islande, à cette époque, était largement hors de mes moyens pour la simple professeur de musique que j’étais. Mais je me suis toujours sentie attirée par les pays nordiques, alors nous avons souvent voyagé l’été en Norvège, on louait des huttes sur les campings, on a même poussé un jour jusqu’au Cap Nord. Mais l’Islande, pour moi, restait inatteignable, malgré ma connexion persistante avec le petit livre de mon enfance… »

Un heureux engrenage

La vie, quelquefois, souvent, se charge de mettre sur pied ces rendez-vous qu’on croit impossibles, qu’on s’imagine ne pouvoir ne vivre que dans nos rêves. Pour Catherine, c’est la rencontre avec celui qui deviendra son deuxième époux.
Il y a trente ans, pour ses cinquante ans, elle se voit offrir le précieux cadeau, son premier voyage en Islande. Elle se souvient parfaitement de sa première sensation : « À l’époque, l’aéroport international de Keflavik (situé à 50 km de Reykjavik) n’existait pas, on atterrissait sur l’aéroport de Reykjavíkurflugvöllur, à proximité immédiate du centre de la capitale islandaise (cet aéroport est réservé aujourd’hui aux vols intérieurs du pays – ndlr).
Ma toute première sensation, je m’en souviens comme si c’était hier, c’est, dès avoir quitté le tarmac, avoir marché comme sur la lune, sur ces roches volcaniques si particulières. Une sensation quasi identique à celle que j’avais déjà ressentie dans l’enfance quand le concierge de notre immeuble vidait chaque matin la chaudière des restes du charbon consumé, les scories du combustible avaient le même aspect et on entendait ce crissement très particulier quand on marchait dessus. Ce qui m’avait également aussitôt frappé lors de mon tout premier voyage, c’était les lumières tout à fait singulières qui baignaient ce pays. Les ciels sont très souvent bas, mais rarement lourds ou oppressants. Je crois que c’est la proximité du pôle Nord qui explique ce phénomène. J’ai toujours eu l’âme très sensible et pour moi, les ciels d’Islande me rapprochent des disparus qui me restent chers. Ce fut un véritable voyage initiatique et comme j’étais membre très active d’une chorale et d’un orchestre, je me suis tout de suite dit qu’il fallait que j’amène tout le monde dans ce pays. Ça s’est fait sous la forme d’un échange avec une chorale islandaise de la Côte-Nord de l’île… »
Sans le savoir, Catherine Ulrich venait de mettre le doigt dans un (heureux) engrenage. Un voyage, puis un autre, puis encore un autre et, très vite, elle sera à l’origine de la création de Alsace-Islande, une association culturelle qui deviendra une vraie référence en matière… d’organisation de voyages et de conférences. « Ce n’était pas notre seul but » commente Catherine « mais c’est vrai que je me suis passionnée pour cet aspect-là de notre activité associative. Peu à peu, j’ai développé une sorte d’expertise, j’avais mes parcours, mes références d’hébergements, mes restaurants incontournables et le bouche-à-oreille a fait le reste. L’Islande est devenue ma destination privilégiée, voire unique, et je n’ai cessé d’éprouver du plaisir à la faire découvrir à des centaines de gens, au fil des ans. Je n’ai jamais cessé d’être bénévole, je n’en ai jamais fait un métier, mais j’ai sans cesse su m’adapter. Par exemple, il y a une quinzaine d’années, j’ai eu affaire à de plus en plus de femmes seules et des exigences d’un hébergement plus confortable se sont faites jour. Alors, j’ai fait évoluer en conséquence ma gamme d’hôtels, un peu comme l’agence de voyages que nous n’étions pas, mais dont je m’efforçais de copier le professionnalisme. J’ai même un jour pu organiser un voyage pour une cinquantaine d’étudiants d’une école d’ingénieurs, l’INSA, venus sur place pour étudier concrètement la géothermie, notamment. Ils en gardent tous un superbe souvenir, je crois… (des propos que confirme un grand ami de Or Norme, leur ex-professeur Armand Erb, aujourd’hui à la retraite – ndlr). Voilà pourquoi je peux aujourd’hui afficher 77 voyages en Islande à mon compteur » sourit Catherine qui compte bien atteindre le chiffre rond de cent voyages. Mais ce ne seront plus des voyages qu’elle organisera, car elle a mis fin à cette activité quelques mois avant que le Covid ne vienne tout perturber.

Les solides particularités d’un si petit peuple…

Reste que, parfaitement bilingue, la néo-octogénaire reste une formidable personne-ressource : quand nous avons en partie préparé notre voyage là-bas avec elle, il n’y a pas un lieu, un site, un hôtel ou un restaurant d’étape qu’elle ne connaissait pas. Quasi incroyable…
Cette parfaite connaisseuse de l’Islande est bien placée pour évoquer l’évolution contemporaine de ce pays, elle qui l’a connue à une époque où il restait assez enclavé, mais si follement « nature ». Je me souviens même » raconte-t-elle, « qu’il y a trente ans, on roulait sur des routes sans asphalte vers le Snaefellsjökull (le glacier qui inspira Jules Verne pour son formidable Voyage au centre de la Terre – ndlr) et qu’on suivait parfois une arroseuse publique qui projetait de l’eau sur la piste pour qu’elle ne s’érode pas trop quand elle devenait trop sèche. Ce type de routes existent encore aujourd’hui, mais l’asphalte est devenu beaucoup plus fréquent, bien sûr.
Ceci dit, l’Islande contemporaine a beaucoup évolué, à l’évidence. Le tourisme est arrivé en masse, surtout à Reykjavik et dans l’ouest du pays et il a forcément eu un impact, car moins de 400 000 Islandais vivent sur leur ile. Mais, néanmoins, ce petit peuple, par le nombre d’âmes, conserve ses solides particularités : il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais parmi elles, il y a par exemple cette tradition d’accueil concernant les émigrés. Il y a ici beaucoup de gens d’origine polonaise, voire russe, beaucoup d’Asiatiques aussi et même, ces derniers temps, des Ukrainiens et les Islandais que je connais vivent ça plutôt bien. Certains revendiquent même ce brassage de population, car cela permet de “mélanger leur sang” comme ils disent. En effet, les risques de consanguinité ne sont pas rares dans une population aussi petite. J’admire aussi leur façon d’éduquer leurs enfants, très vite et de façon très surprenante pour nous autres Français, les jeunes couples islandais leur accordant une autonomie qui ne cesse de grandir, et çà, je le constate depuis trente ans, en effet. Au bord des cascades, ils laissent leur bébé trottiner tout seul, car il doit apprendre le plus vite possible à se sentir le plus indépendant possible. Quasi impensable en France…
Je crois que pas mal de nos compatriotes seraient très étonnés des particularités réelles de ce si petit peuple… » conclut Catherine, la passionnée, dont l’oeil ne cesse de briller dès que le mot Islande est prononcé.
Tout cela grâce à la magie aujourd’hui lointaine, mais toujours présente d’une couverture orangée dans la petite bibliothèque de son enfance…