Centenaire du droit local : rencontre avec l’équipe scientifiques du Congrès

Partager

Article publié dans le hors-série 100 ans de droit local

Cent ans pour le droit local, quel merveilleux anniversaire. Les notaires sont les premiers artisans de la défense du droit local alsacien-mosellan. Pour le congrès des notaires des trois départements qui se déroule en juin 2024, le Conseil interrégional des Notaires Alsace Moselle a mis en place « une équipe scientifique » qui travaille depuis un an sur les enjeux de ce centenaire. Rencontre avec une équipe ultra-positive et passionnée par le droit local.

Vous composez tous les trois « l’équipe scientifique » du congrès 2024 des notaires qui est dédié au droit local d’Alsace-Moselle. C’est quoi cette « équipe scientifique » ?

Stéphane Robin : C’est vrai que c’est un peu particulier. C’est du jamais vu lors des différents congrès. C’est un format novateur qui a été voulu par le Président du Conseil interrégional des notaires d’Alsace-Moselle, Éric Ricou. Il souhaitait une équipe scientifique resserrée.

Johanne Lotz : En général, lors des congrès il y a un rapporteur général et plusieurs commissions de travail. Là, nous sommes tous les trois à concentrer le travail de recherche et d’analyses. L’objectif est de travailler de manière transversale et pas uniquement sur des thèmes classiques du droit local notarial (livre foncier, partage judiciaire et exécution forcée). Vous aurez remarqué que l’équilibre territorial est parfaitement respecté puisque chacun de nous représente un département concerné par le droit local d’Alsace-Moselle.

Pourquoi avez-vous accepté cette mission ?

Olivier Beltzung : Pourquoi s’en cacher… Nous nous entendons bien tous les trois. Nous avons donc plaisir à nous retrouver. Mais surtout, parce que l’opportunité de fêter le centenaire du droit local auquel nous tenons tant est un moment unique. Jamais il ne sera possible de le revivre. Donc nous mesurons l’enjeu.

Johanne Lotz : Nous aimons tous les trois la recherche, l’aspect pratique et théorique de notre métier. Mais évidemment, c’est surtout l’attachement au droit local alsacien-mosellan qui nous réunit.

Quels sont les objectifs de ce congrès ?

Olivier Beltzung : Mettre en avant la vivacité du droit local alsacien-mosellan qui fête ses cent ans, mais qui reste un droit très présent, d’actualité.

Stéphane Robin : Montrer que contrairement à l’image d’Épinal que nous pouvons avoir, le droit local n’est pas poussiéreux. C’est même tout le contraire ! C’est un droit vivant, en avance sur son temps sur tous les sujets. Le travail que nous effectuons depuis un an le prouve. Nous-mêmes nous redécouvrons cet outil qui est absolument magnifique. Ce congrès va nous permettre de lever la tête, de prendre de la hauteur et de constater comme nous avons de la chance de l’avoir. Quand nous faisons des parallèles avec ce qui existe dans le reste de la France, nous ne pouvons que constater que notre droit local est très vivant et très utile.

Olivier Beltzung : Le droit local fonctionne tellement bien que personne ne se rend compte qu’il est appliqué au quotidien dans la vie des Alsaciens et des Mosellans. On ne peut pas le résumer aux jours fériés ou au régime d’assurance maladie ! Le droit local est partout. Comme le dit très bien Stéphane, en cent ans le droit local a su s’adapter à toutes les situations de nos vies. Il ne prend pas une ride. Pour autant, l’objectif de notre travail et du congrès est de faire de la prospective : comment notre droit local peut-il évoluer ? Comment peut-il s’adapter aux nouvelles technologies ?

Olivier Beltzung est notaire à Kingersheim (68). Il enseigne à l’Université de Strasbourg, de Mulhouse et à l’Institut national des formations notariales. Il a partagé avec ses deux autres collègues l’aventure du congrès interrégional des notaires de Metz en 2019. ©Nicolas Rosès

Quels sont les enjeux de ce centenaire ?

Stéphane Robin : Démontrer politiquement que le droit local mérite d’être connu, pas uniquement sur nos territoires. L’enjeu de ce centenaire est de faire rayonner notre droit en dehors de l’Alsace-Moselle. Nous devons mettre en avant ses atouts et démontrer à ceux qui ne le connaissent pas qu’il peut être un exemple.

Johanne Lotz : L’enjeu de ce centenaire est aussi de montrer que malgré une loi de 1924, le droit local est moderne. Il reste d’actualité.

Olivier Beltzung : Les notaires sont au coeur de la pratique du droit local. Nous sommes ses « praticiens » : partage judiciaire, exécution forcée… Pour autant le droit local est bien plus vaste : le droit des associations, le droit de la chasse, le droit des cultes, le livre foncier… Le droit local irrigue tous les aspects de la société. Je trouve que c’est un formidable équilibre qui a été trouvé en 1924 : arriver à garder ce qui marchait bien concrètement dans la vie des gens. Stéphane Robin : C’est un droit consensuel qui est là pour éviter les conflits. Le droit local d’Alsace-Moselle, nous le constatons dans notre pratique notariale, est là pour sécuriser les gens.

Depuis 2011, une décision du Conseil constitutionnel contraint le droit local à n’évoluer que dans le sens d’un rapprochement avec la loi française.Dans cette condition peut-il encore évoluer et n’est-ce pas la fin du droit local ?

Johanne Lotz : Effectivement, cette décision du Conseil constitutionnel précise que le droit local ne peut évoluer que dans le sens du droit général. Mais non ce n’est pas la fin du droit local ! En réalité de nombreuses institutions qui n’existent qu’en droit local évoluent et doivent pouvoir évoluer. Elles ne sont pas figées. Par exemple, le livre foncier n’existe qu’en droit local d’Alsace-Moselle. Forcément il doit pouvoir évoluer et se moderniser. Il a même été informatisé et cela n’a jamais posé aucune difficulté. Tout ce qui est propre au droit local peut évoluer puisqu’il n’y a pas d’équivalent en droit général. C’est d’ailleurs la raison qui explique la vivacité et la modernité de notre droit local. Il est tout à fait possible de moderniser le droit local existant.

Donc, vous êtes plutôt positifs pour l’avenir du droit local ?

Les trois ensemble : Oui !
Olivier Beltzung : (en riant) Le président Ricou ne nous aurait sans doute pas confié cette mission s’il pensait que nous n’étions pas positifs sur l’avenir du droit local.

Johanne Lotz : Très clairement, le droit local est une source d’inspiration pour le droit général. Nous voyons bien que le législateur vient s’inspirer de nos textes.

Stéphane Robin : Vraiment, il faut voir les choses positivement. Ce seront d’ailleurs sans doute les conclusions de l’équipe scientifique à la fin de ses travaux.

Olivier Beltzung : Le droit local, ne l’oublions pas, est un droit français. Son application est certes territoriale, mais nous parlons bien d’un droit national. Je ne perçois pas la loi de 1924 comme un point de départ, mais plutôt comme l’aboutissement d’une longue construction législative qui s’est faite depuis 1870, et même bien avant avec des dispositifs comme le concordat.

Diriez-vous que le droit local est en avance ?

Stéphane Robin : Oui. Regardez par exemple sur la publicité foncière. Nous avons un outil qui sécurise les propriétés, qui évite du contentieux et qui en plus a su s’informatiser. Quand on compare les deux outils entre le système de publicité foncière d’Alsace-Moselle et le livre foncier du reste de la France, c’est sans commune mesure.

Stéphane Robin est notaire à Thionville (57). Il a participé aux congrès interrégionaux des notaires
de 2012 à Mulhouse où il était rapporteur, en 2019 à Metz où il était président de commission. ©Nicolas Rosès

Le livre foncier en Alsace-Moselle est tant performant que « probant » : il est source de preuve…

Johanne Lotz : C’est tout à fait exact. Il a une présomption d’exactitude ce qui sécurise par exemple les ventes immobilières. Les exigences en matière de procuration sont plus fortes et ce pour être sûr que vous avez le « bon » vendeur devant vous.

Stéphane Robin : Quand les notaires du reste de la France découvrent notre livre foncier, ils sont interpellés par l’efficacité du système et de son informatisation. Le livre foncier est un bijou du droit local d’Alsace-Moselle.

D’autres exemples qui prouvent que le droit local est en avance ?

Olivier Beltzung : Le partage judiciaire. Dans le reste de la France, il y a une vraie réflexion pour s’inspirer du droit local sur ce sujet. Le partage judiciaire intervient par exemple après un divorce ou une succession si les époux, les partenaires de pacs ou les héritiers ne s’entendent pas. C’est le moment où les protagonistes décident de saisir la justice. La particularité en Alsace-Moselle, c’est que le notaire agit comme « délégué » du juge. Son objectif va être de concilier les parties, de trouver un accord qui peut ne pas être totalement juridique d’ailleurs. Il s’agit d’un savant mélange entre conciliation et médiation. C’est un système qui sort un peu des sentiers battus, mais cela reste un partage dit « judiciaire » bien que cela soit une procédure gracieuse. Ici le notaire est à la manoeuvre de la procédure, le magistrat n’intervient qu’en cas de difficultés.

Stéphane Robin : La procédure de saisie immobilière aussi. L’exécution forcée immobilière est vraiment un système original. Alors évidemment, il y a une part de folklore pour les gens, les enchères immobilières se faisant encore en Alsace-Moselle à la bougie, alors que dans le reste de la France c’est au chronomètre et à la barre du tribunal. Mais ce que les gens oublient, c’est qu’avant d’en arriver aux enchères en Alsace-Moselle, il faut d’abord passer devant le notaire. Et le notaire a devant lui le créancier et le débiteur. Quel va être son rôle ? Faire de l’amiable. Convaincre les parties de trouver une solution. Le notaire va essayer de rapprocher les points de vue. La plupart du temps c’est ce qui se passe d’ailleurs. Des solutions sont trouvées pour éviter la vente à la bougie. Le notaire va chercher à convaincre le débiteur qu’il vaut mieux pour lui une vente amiable où il va s’en sortir financièrement beaucoup mieux qu’une vente aux enchères. Le droit local permet dans un cadre judiciaire de mettre tout le monde autour d’une table, même lorsque les protagonistes ne se parlent plus. C’est la justice de l’amiable et de la concertation. C’est là où on voit que le droit local est vraiment moderne et en avance.

Olivier Beltzung : De la concertation avec tout de même une obligation à comparaître, les absents ont toujours tort. Souvent, je découvre lors des échanges que les problèmes ne sont pas forcément juridiques, mais répondent à des enjeux personnels ou familiaux. Le droit local évite ainsi des procédures judiciaires trop longues. Pour l’anecdote, dans l’exécution forcée, j’ai acheté un bougeoir pour ma première nomination, finalement il est toujours dans son carton d’origine.

À une époque où on judiciarise tout, vous n’avez pas le sentiment de nager à contre-courant ?

Johanne Lotz : Les populations d’Alsace- Moselle ne connaissent pas ce rôle déterminant du notaire. Ils ne connaissent pas les enjeux derrière le droit local et qui font qu’il y a une supériorité sur le plan technique notarial pur. C’est pour cela que nous voulons aussi communiquer sur cet aspect : les mécanismes du droit local protègent mieux les Alsaciens et les Mosellans que partout ailleurs. Lors d’une vente par exemple, si vous êtes absent, vous pouvez vous faire représenter par une procuration. Dans les trois départements, cette procuration est davantage sécurisée, car elle n’est pas juste certifiée, elle est légalisée. Par ailleurs, dans les trois départements le certificat d’héritier permet de prouver la qualité d’héritier. Ce certificat, conjugué à l’acte d’affirmation sacramentelle est un acte plus fort que l’acte de notoriété connu dans le reste de la France. Le certificat d’héritier ayant force probante.

Olivier Beltzung : Le droit local a 100 ans et il est toujours aussi stable, rendez-vous compte, c’est exceptionnel ! La loi de 1924 qui réintègre le droit local en droit français a peu changé. Les législateurs de l’époque ont pris le temps de bien faire. À l’inverse aujourd’hui, on fait souvent des lois dans l’urgence pour répondre à une émotion de la société. Nous ne nageons pas à contre-courant, c’est nous qui sommes dans le courant !

Johanne Lotz est notaire à Val-de-Moder (67) et maître de conférences à l’Université
de Strasbourg. Elle a déjà participé au congrès interrégional des notaires
de 2019 à Metz et à un congrès national. ©Nicolas Rosès

Peut-on considérer que le droit local alsacien-mosellan est humaniste ?

Olivier Beltzung : Le droit local d’Alsace- Moselle est universel. C’est un droit qui rassemble plus qu’il ne divise. Sans doute parce qu’il est né d’une construction issue de l’histoire franco-allemande. Il dispose d’aspects protecteurs assez singuliers qu’on ne retrouve pas ailleurs.

Stéphane Robin : Le droit local s’applique à tous, qu’importe sa nationalité ou son lieu de naissance. Vous vivez en Alsace-Moselle, le droit local s’applique. Oui, le droit local est humaniste, car il remet l’Homme au milieu. Notre droit remet de l’humain dans les procédures. Ce n’est pas un droit froid. C’est un droit qui veut que les gens se parlent.

Quel est le premier constat de l’équipe scientifique sur le droit local aujourd’hui après votre travail de recherche et d’auditions, puisque vous avez aussi rencontré des professeurs d’université, des chercheurs, des avocats, des magistrats ou des représentants institutionnels ?

Johanne Lotz : Le consensus sur le droit local alsacien-mosellan. Tous ceux que nous avons interrogés, qu’ils soient d’ici ou du reste de la France sont d’accord : le droit local est une chance. Nous nous sommes aperçus que le droit local est défendu, en dehors des notaires, par de nombreuses autres professions. Nous ne pouvons que constater un engouement global, un enthousiasme, pour le droit local. J’ai même le sentiment qu’il est revenu à la mode. Quant au projet du centenaire, tout le monde s’en réjouit.

Qu’est-ce que vous attendez du congrès des notaires qui va célébrer le centenaire du droit local ?

Olivier Beltzung : Nous aurons vraiment réussi notre défi si au soir du congrès des personnes qui ne viennent pas de nos trois départements et qui n’ont aucune connaissance du droit local nous disent : « franchement on est convaincu du fait que votre droit présente des atouts, qu’il faut que ce droit se pérennise parce que c’est un bijou législatif ».

Stéphane Robin : Ce que j’aimerais bien, c’est prouver que le droit local peut être un laboratoire pour le droit général. Concernant les confrères, je n’oublie pas l’aspect formation du congrès. Et puis, sur des sujets techniques, nous voulons le faire évoluer. Ce congrès va nous permettre de porter des réformes pour continuer à le faire rayonner.

Johanne Lotz : Soyons ambitieux ! Nous allons porter effectivement certaines propositions de réformes, mais notre volonté est de les faire aboutir. Le congrès 2024 doit être l’occasion de pouvoir moderniser le droit local comme cela a toujours été le cas auparavant. Nous voulons faire évoluer le droit local avec son temps. Le notariat s’est toujours organisé pour défendre le droit local alsacien-mosellan en organisant de façon répétée des congrès qui portaient des voeux législatifs et/ou réglementaires. Certains ont abouti, d’autres pas, mais nous restons force de propositions. Nous voulons maintenir cette énergie positive.

L’équipe scientifique ©Nicolas Rosès