Cinq ans plus tard, la mémoire toujours aussi vive…
Ce soir du 11 décembre 2018, chaque habitant de Strasbourg peut encore le raconter dans le moindre détail. Oui, nous n’avons rien oublié de ce que nous faisions alors, des personnes qui étaient autour de nous, des sentiments par lesquels nous sommes tous passés pendant les jours qui ont suivi où nous avons tous essayé de faire corps… Abdesslam Mirdass, photographe de presse, fut le tout premier à être présent sur les lieux de la tragédie. Il se souvient et il témoigne, cinq ans plus tard…
Comme beaucoup, au lendemain de la neutralisation du terroriste Cherif Chekatt, nous avions été impressionnés par l’impact des photos de presse réalisées par un photographe de Strasbourg, Abdesslam Mirdass, jusqu’alors relativement anonyme. Avec sa modestie naturelle, et encore sous le choc des événements tragiques qu’il avait couverts, il avait accepté une seule interview, celle que notre titre lui avait proposée, sous la forme d’un entretien vidéo que l’on peut encore visionner sur ce lien.
Cinq ans plus tard, ses mots n’ont pas changé et l’émotion est encore bien présente quand notre confrère se souvient : « Après le coup de fil de Patrick Herzog du service photo de l’AFP à Strasbourg, je suis immédiatement redescendu de mon appartement de la place de la Cathédrale. La première chose qui me surprend, c’est que la place est vide ! À 20h, en plein Marché de Noël, c’est évidemment incongru. Je file tout de suite rue des Orfèvres, comme Patrick m’a indiqué. Et là, j’aperçois de loin comme un corps à terre, recouvert d’un tissu. Je reconnais le directeur du Marché de Noël, il y a la Police, des vigiles, des militaires. L’un d’eux m’interdit de photographier. C’est vite la cohue, ensuite et peu à peu, je domine mon émotion et je prends des photos puisque je suis là pour ça…. »
Abdesslam réalise peu à peu ce qui s’est passé. Un peu plus tard, à l’intérieur d’un périmètre évidemment complètement bouclé, il réalisera quelques-unes des photos qui seront reprises par la presse du monde entier mais non sans mal. Dans la zone, il y quelques journalistes, dont Elyxandro Segarra, photographe bien connu à Strasbourg qui travaillait pour SIPA Press ce soir-là et le vidéaste Gaspard Glanz. À un moment, pile sur le parvis de la cathédrale, Abdesslam sera mis en joue : « Je vois le laser surmoi, je lève mon appareil à bout de bras au-dessus de ma tête et je crie : “Presse ! Photographe !!” » Ça passe…
« Ensuite, je tombe très vite sur ce policier casqué posté au coin d’un immeuble de la rue des Hallebardes, près de la place Gutenberg. J’attends qu’il me regarde pour déclencher, je me souviens avoir pensé très fort : regarde moi, regarde moi… tant je sais que c’est le regard qui fait tout, dans ces cas-là. (Libération et La Croix reprendront ce cliché pour leur Une – ndlr).
Tout près, deux CRS, dos à dos, leur arme automatique prête à tirer, sont en état d’alerte maximum (Le Monde utilisera cette photo sur une demi-page intérieure – ndlr)…
Je ne ressens aucune peur, je suis là pour travailler et faire mon reportage… » Un reportage qui sera incroyablement repris un peu partout : « Cinq couvertures en France, dix-sept de par le monde… » a -t-il recensé. « Et un nombre incalculable de publications diverses. En France, tous les médias – y compris les télés – ont publié au moins une de mes photos… »
Aujourd’hui, le photographe se souvient aussi de « cette bulle dans laquelle il s’était enfermé » pour se protéger, les jours suivant la soirée tragique. « Je n’ai pas participé à la traque du terroriste, en Allemagne ou au Neudorf car je savais que tous mes collègues y étaient. Je n’ai fait que des clichés sur l’ambiance qui a régné dans les rues de Strasbourg, les 12 et 13 décembre. Mais j’étais un peu en mode robot, c’était presque irréel. En fait, avec le recul, j’ai mesuré plein de choses après ce que j’ai vécu à ma porte. Je pense à tous mes jeunes confrères qui prennent les risques les plus insensés, en zone de guerre, pour espérer être publiés… Après mes clichés de Strasbourg, j’ai obtenu une certaine reconnaissance de mon travail au niveau national, subitement je me suis mis à travailler plus régulièrement pour les titres les plus connus. Mais humainement parlant, ce qui s’est passé en décembre d’il y a cinq ans a imprimé des choses durables en moi. Il y a quelques semaines de cela, je me suis réveillé en sursaut vers trois ou quatre heures du matin avec cette pensée ; putain, j’ai fait des photos des attentats de Strasbourg ! Cinq ans après, ça me travaille encore, c’est encore en moi… Je pense que ça doit être le cas pour tous ceux qui ont été concernés de près par ces événements. Après on le partage ou non, ça reste intime ou pas, c’est chacun qui fait comme il peut… »
La vie a été plus forte
Parmi les nombreux blessés, nos lecteurs se souviennent du témoignage de Damian Myna, gravement blessé de quatorze coups de couteau après avoir lutté au corps-à-corps avec le terroriste devant le bar Les Savons d’Hélène. Un peu plus de deux mois après, nous avions rencontré Damyan et Rosana, sa compagne brésilienne, qui nous avaient confié, en exclusivité, leur récit du soir de la tragédie qui les avait frappés. Damian débutait sa rééducation et marchait alors très difficilement avec ses deux béquilles, la moelle épinière atteinte par l’un des coups assénés.
Il y a quelques mois, au détour d’une rue piétonne de l’hyper-centre de Strasbourg, nous avons recroisé Rosana et Damian. Le jeune musicien avait retrouvé une bonne mobilité et remarchait depuis longtemps sans assistance, Rosanna était souriante et épanouie à son bras.
Ils nous ont confié qu’ils venaient juste de se marier et qu’ils déménageaient pour le Brésil dans les semaines suivantes. Il y vivent heureux désormais, loin du drame du 11 décembre 2018. La vie a été la plus forte…
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