Fondation Beyeler : Goya, de la peinture de Cour à la liberté artistique …
– Article paru dans OR NORME n°43, SPLENDEURS –
275 ans après sa naissance, Francisco de Goya se voit consacrer à la Fondation Beyeler une des plus importantes expositions jamais réalisées à ce jour. 70 tableaux et plus de 100 dessins et gravures projettent en pleine lumière une évidence : le maître espagnol est bel et bien un des précurseurs majeurs de l’art moderne. Et Sam Keller et ses équipes n’ont rien oublié : des œuvres maîtresses en provenance des grands musées européens et américains, mais aussi d’importantes collections privées côtoient d’autres œuvres plus confidentielles dont certaines n’avaient jamais quitté leur écrin originel. Une déambulation exceptionnelle vous attend à Riehen…
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) occupe dans l’histoire de l’art européen une position paradoxale : il fut en effet un des derniers grands peintres de cour d’une part, mais fut également annonciateur de la figure de l’artiste moderne.
L’exposition chez Beyeler présente tout l’éventail des genres et des sujets de prédilection de Goya (du rococo au romantisme) et permet de mieux cerner la richesse formelle et thématique de son œuvre peinte, dessinée et gravée. Conçue de manière chronologique, elle réunit des tableaux de représentation grand format tout comme des pages de carnets de croquis, mettant l’accent sur l’œuvre tardive de l’artiste. Aux cimaises sont évidem- ment accrochées les toiles du peintre de cour qu’il fut, réalisées pour le compte de la maison royale, de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Mais y figurent également (et surtout) des œuvres d’univers pic- turaux énigmatiques et inquiétants, son œuvre sacrée comme son œuvre profane, ses représentations du Christ et de sor- cières, ses portraits et ses peintures d’his- toire, ses natures mortes et ses scènes de genre. Dans ce domaine, on peut découvrir des œuvres que Goya crée dans un espace de liberté artistique conquis à la force de sa volonté et de son talent, et parmi elles des peintures de cabinet sou- vent réservées à un cercle intime. Dans l’histoire de l’art européen, Goya est l’un des premiers artistes qui s’élève avec une opiniâtreté rebelle contre les dogmes et les règles qui entravent la création artistique, plaidant au contraire pour l’impulsivité et l’inventivité de l’artiste.
Temps forts et raretés …
Aux côtés des temps forts de l’accrochage (le portrait de la duchesse d’Albe [1795] et l’emblématique Maja vêtue [La maja vestida, 1800–1807], tout comme deux tableaux rarement exposés en provenance de collections privées européennes, Maja et Célestine au balcon et Majas au balcon, que Goya peint entre 1808 et 1812), on peut admirer des peintures de genre de petit format détenues pour la plupart dans des collections privées espagnoles et à ce jour rarement montrées hors d’Espagne. Dans ces tableaux, Goya – de même que dans ses dessins et ses gravures – donne libre cours à ses inspirations intimes. Pour la première fois depuis son unique présentation à ce jour au Museo Nacional del Prado, le public pourra ainsi découvrir à la Fondation Beyeler la série complète de huit peintures d’histoire et de genre qui nous sont parvenues de la collection madrilène du marquis de la Romana. Elles seront accompagnées des quatre célèbres panneaux dépeignant des scènes de genre de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando à Madrid, prêts d’une grande rareté. Parmi les décors récurrents de ces scènes figurent les marchés et les arènes, les prisons et les institutions ecclésiastiques, les asiles de fous et les tribunaux de l’Inquisition. Les sorcières constituent également un motif majeur, par lequel Goya illustre la superstition de son temps.
Outre un remarquable et superbe groupe de gravures des Désastres de la guerre (Los desastres de la guerra, 1811– 1814), l’exposition présente une sélection de planches de la série des Caprices (Los caprichos) parue en 1799, parmi elles la célèbre gravure n°43 au titre éloquent Le Sommeil de la raison enfante des monstres, qui reflète le constat résigné de Goya : ni la raison ni l’ironie et le sarcasme ne peuvent lutter contre la déraison.
La quinta del sordo, un film rare à ne pas rater
Tout comme elle le fit en 2020 pour l’ex- position Edgar Hopper, pour laquelle Wim Wenders tourna en 3D un somptueux court métrage seulement visible durant l’expo, la Fondation Beyeler a confié à l’artiste plasticien Philippe Parreno le soin d’évoquer par l’image les célébrissimes quatorze peintures murales à l’huile – connues sous le nom de « peintures noires » en raison de leurs couleurs sombres – dans deux des pièces de la maison de campagne que l’artiste avait rénovée et agrandie et dans lesquelles les principaux thèmes de son œuvre trouvent leur expression cri- tique finale sous une forme monumentale. Les peintures murales de Goya, réalisées entre 1819 et 1824, n’ont été découvertes que post-mortem. Lorsque le baron Émile d’Erlanger a acquis la maison en 1873, il a transféré les peintures sur toile et en a ensuite fait don à l’État espagnol. Depuis 1889, ces chefs-d’œuvre visionnaires sont exposés au Museo Nacional del Prado à Madrid dont elles ne sortent jamais, en raison de leur extrême fragilité.
Le film de Parreno permet au public de voyager dans le temps et de découvrir les Pinturas negras dans leur cadre original.
Lors du tournage au Prado, l’artiste a pu capturer les peintures de très près, avec un souci du détail incroyable, et créer ainsi une proximité et une intimité uniques entre les peintures et l’observateur, où chaque détail et chaque coup de pinceau sont visibles. Lors des tournages, Parreno a créé une ambiance lumineuse qui imite la lumière des bougies et d’une cheminée ouverte, créant une atmosphère similaire à celle dans laquelle les peintures étaient proba- blement vues à l’époque. L’espace prend vie avec le grincement des planches, le crépitement de la cheminée, le bruit du vent dans les arbres ou le tintement des cloches de l’église au loin. Les sons et la lumière changent également en fonction de l’heure de la journée. La synthèse granulaire permet de créer un changement permanent du son, générant ainsi une acoustique glo- bale qui n’est jamais la même.
Ce remarquable film est un des points forts de l’exposition GOYA à Bâle, à découvrir jusqu’au 23 janvier prochain.