Galia Ackerman « Les dissidents russes disaient : “Buvons à nos causes désespérées !” »
– Article paru dans Or Norme N°46 « Se retrouver »
Galia Ackerman est très engagée depuis longtemps, pour l’Ukraine et contre Poutine. Historienne et journaliste, elle est, entre autres livres, l’auteure de Le régiment immortel : la guerre sacrée de Poutine (Premier Parallèlle, 2019). Avec elle, nous faisons le point sur l’actualité ukrainienne… (interview réalisée le 12 août dernier)
Voici près de neuf mois que la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine. Ce conflit se déséquilibrant au profit de la Russie malgré l’aide internationale. Quelles sont encore les solutions possibles ?
Il faut obliger Poutine à reculer, la seule aide vraiment efficace est l’aide militaire, apportée notamment et majoritairement par les Américains. Il faut donc que ceux-ci renforcent encore leurs apports. Il faut livrer des avions en particulier, que personne n’envoie pour le moment, des chars, des lance-rockets, beaucoup de matériel à utiliser de suite. L’offensive russe se fera dans la durée. Les Russes n’ont pas l’intention de quitter les territoires annexés en 2014 et le sud de l’Ukraine où les terres sont si fertiles, et le président Zelinski ne cédera pas. L’avenir est très indécis.
Pensez-vous que la lointaine adhésion de l’Ukraine à l’Europe garantisse quoi que ce soit pour elle à court ou à moyen terme ?
C’était bien de vouloir dialoguer avec Poutine comme l’a fait Macron avant la guerre, mais actuellement il n’y a plus de dialogue possible. Poutine veut envahir l’Ukraine en la détruisant totalement, qu’il ne reste rien. La Russie a une puissance de feu énorme, il y a beaucoup de victimes en Ukraine même si l’armée ukrainienne a surpris par son excellente préparation militaire.
Comment les Ukrainiens peuvent-ils, s’ils le peuvent, tenir dans la durée ? Par quels moyens continuer de les aider ?
Il y a deux moyens, poursuivre et renforcer l’aide militaire et maintenir fortement les sanctions économiques, afin d’affaiblir le plus possible la Russie. Les Russes commencent à manquer de pièces détachées, de matériels électroniques, le ravitaillement est difficile, l’armée est affaiblie. Sur la durée cela peut faire plier Poutine. Il faut bien sûr continuer toutes les aides aux Ukrainiens.
Quel est le but à long terme de Poutine ? Est-ce un souhait et depuis quand, de rebâtir une grande Russie ? Est-ce sa haine contre l’Occident qui motive cette destruction programmée ? La question subsidiaire d’une pathologie est parfois soulevée, qu’en pensez-vous ?
Je pense que Poutine a toujours voulu reconstituer l’URSS, mais il a dû avancer lentement vers cet objectif. Après 20 ans au pouvoir, il a totalement détruit la société civile et les médias indépendants, endoctriné la population, renforcé et restructuré l’armée, accumulé des moyens considérables et des armements. La haine contre l’Occident est un élément nécessaire dans la construction de la seconde réalité, celle où la Russie victorieuse se bat contre les « nazis » ukrainiens aidés par des « nazis » occidentaux.
L’Europe s’est ressoudée à la faveur, hélas, de cette guerre, et l’OTAN s’est remobilisée autour de ses valeurs. Est-ce une garantie pour une paix future dans une Europe élargie ?
C’est vrai qu’il y a un rapprochement nouveau entre l’Europe et l’OTAN. Mais ce n’est en rien une garantie tant cet équilibre est fragile. Les dernières élections en France le montrent, le président Macron est au milieu des extrémistes. Il y a eu en France comme en Europe une déception démocratique qui a permis l’émergence de ténors de la propagande pro-russe, qui peuvent aussi bien décider un jour que la guerre en Ukraine n’est pas leur problème. Voyez les montées des populismes dans les différents pays… En Europe l’inflation monte et il commence à y avoir des pénuries de produits alimentaires et de gaz, cela peut engendrer des tensions, sans parler de l’antiaméricanisme toujours présent. La menace nucléaire de la part de Poutine est très réelle. Nous sommes en Russie au début d’un régime totalitaire à la Staline.
Galia Ackerman, un mot d’espoir ?
Les dissidents russes disaient : « Buvons à nos causes désespérées ». Ces dissidents, c’était une poignée d’hommes. Mais l’URSS a quand même éclaté, et le régime communiste est tombé. C’est pour dire qu’il faut toujours espérer.
Elle sourit, c’est un faible sourire. Mais un sourire quand même…