Justice et confinement : rencontre avec Maître Bernard Alexandre

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Au plus proche des clients, le métier d’avocat a du se réinventer pendant le confinement afin de poursuivre son activité et faire avancer, malgré tout, les dossiers. Entretien autour des enjeux de la crise avec Maître Bernard Alexandre du cabinet Alexandre-Levy-Kahn-Braun et associés pour qui le télétravail ne doit pas faire oublier la présence physique et l’esprit d’équipe.

ON : Comment la profession d’avocat a-t-elle été impactée par cette crise sanitaire et par le confinement en particulier ?

La profession a été impactée de deux façons, d’abord il y a eu un arrêt quasi total de l’activité judiciaire, c’est-à-dire du fonctionnement des tribunaux, il n’y avait plus aucune audience sauf dans des domaines bien particuliers. Dans nos domaines d’activité, le contentieux était presque à l’arrêt total. Dans un deuxième temps, c’est la relation avec les clients pour le conseil qui a été impactée, essentiellement avec les entreprises. À partir du confinement, on a ainsi assisté à un arrêt brutal de l’activité des entreprises. La relation avec les clients a été stoppée. Nous nous sommes donc trouvés, au 17 mars, avec une activité judiciaire quasi nulle et avec des entreprises sous le choc. Ensuite, les entreprises ont progressivement repris des activités partielles et ont mis en place des solutions de télétravail, mais tout cela s’est fait lentement et progressivement.

Je suppose que certaines de vos activités ont pu se poursuivre, si oui par quels moyens ?

La particularité de notre profession tient en ce que si la « machine » s’arrête un jour, on a nécessairement dans les cabinets d’avocats un « stock », c’est-à-dire des affaires en cours. Si on voulait permettre au cabinet de poursuivre l’activité et, en quelque sorte, essayer de compenser cet arrêt brutal, il était important de continuer à travailler sur ces dossiers en cours. Même si les tribunaux étaient à l’arrêt, il n’était pas impossible, entre les cabinets d’avocats, de continuer à avancer. Dans toutes les procédures il y a une partie qui conclut, l’autre qui répond et ainsi de suite. Il suffisait que, même sans audiences, nous jouions le jeu, c’est-à-dire que si quelqu’un concluait, on lui réponde et ainsi de suite pour que l’on puisse faire avancer nos dossiers. Ce dans l’intérêt de nos clients, et pour ne pas créer des retards plus grands encore dans le fonctionnement de la justice.

Après 15 jours de déconfinement, quel tableau peut-on dresser de cette reprise, notamment sur le plan sociétal ?

Notre cabinet a plus une clientèle d’entreprises, mais dans notre clientèle nous avons aussi des dossiers qui relèvent du droit de la famille ou des relations privées et c’est vrai que l’on a pu constater, à notre niveau, que lorsqu’il y avait des tensions, que ce soit dans le couple ou des tensions familiales en général, que la période à la fois d’attente et de confinement rajoutait une surtension. Sur certains dossiers de divorces qui étaient latents, on a eu des demandes d’accélération des procédures ; les gens ont pu, durant cette période, aller au bout de leur raisonnement. Je ne pratique pas dans le domaine des violences conjugales ou de la maltraitance au sens large mais je sais par d’autres confrères qu’il y a eu de vrais problèmes durant cette période, que ce soit à l’égard du conjoint ou des enfants. Donc oui, les tensions se sont ravivées avec le stress et le confinement engendrés par cette crise.

Quelle « leçon » la profession a-t-elle su tirer de cette crise ?

Personnellement, j’en tire une leçon un peu paradoxale. D’un côté, nous avons constaté que le télétravail, et plus particulièrement les moyens technologiques du travail à distance, étaient parfaitement au point et constituaient un outil tout à fait efficace. On a ainsi pu voir notre secrétariat déporté au domicile de chacun, de chacune des secrétaires… Avec ces moyens technologiques qui fonctionnent parfaitement, on peut transmettre de façon numérique à distance des dictées qui nous reviennent ensuite en documents rédigés; nous utilisons beaucoup la dictée numérique, c’est un outil qui se prête parfaitement au travail à distance. Que ce soit à l’égard des équipes administratives ou à l’égard des avocats, chacun a donc pu travailler de chez lui, s’il le souhaitait et si la part de l’activité maintenue durant cette période de crise le permettait. Même confiné, le cabinet a pu poursuivre son activité.
Pourtant, cette situation a aussi montré les limites de cette technologie car même si elle évite une fermeture, il n’y a plus de présence coordonnée sur place, il n’y a plus de travail en équipe, et dans notre métier, je pense que cela demeure primordial. Bien évidemment, heureusement que nous avons eu le télétravail mais pour autant, cela ne me parait pas être LA solution pérenne. Je pense que la présence au sein d’un cabinet reste largement préférable car le travail d’équipe, en présentiel, a des atouts irremplaçables. Dans l’intérêt collectif et global du cabinet je pense qu’on ne passera pas au télétravail systématique, ce n’est pas notre philosophie.