La naissance du modernisme : Anni et Josef Albers, To open eyes…
– Article paru dans ORNORME n°43, SPLENDEURS –
To open eyes, c’est en effet ainsi que Josef Albers définissait sa mission, cherchant à sensibiliser ses étudiants du Bauhaus à une nouvelle façon de voir les choses. Avec son épouse Anni, il constitua un couple d’artistes majeurs du début du XXe siècle, indissociables de ces années 1930 en Allemagne où, dans le contexte déjà épouvantable de la montée du nazisme, se construisirent néanmoins les bases de la modernité…
Jusqu’au 9 janvier prochain, le Musée d’Art Moderne de Paris expose plus de 350 œuvres (peintures, photographies, meubles, œuvres graphiques et textiles…) significatives du développement artistique de Anni et Josef Albers, le mythique couple d’artistes de la célèbre époque du Bauhaus en Allemagne.
Tout au long de leur vie, Anni et Josef Albers se sont en effet soutenus et renforcés mutuellement, dans un dialogue permanent et respectueux. Ils ont non seulement produit une œuvre considérée aujourd’hui comme la base du modernisme, mais ont aussi imprégné toute une nouvelle génération d’artistes de leurs valeurs éducatives.
Car, en même temps qu’artistes, ils furent aussi des enseignants, se rencontrant en 1922 au Bauhaus de Weimar, école qu’ils n’abandonnèrent pas quand celle-ci émigra à Dessau, en pleine montée du national- socialisme en Allemagne. C’est d’ailleurs dans cette ville qu’ils se marièrent, peu de temps avant l’inauguration du nouveau bâtiment du Bauhaus en décembre 1926.
Toutes les facettes de l’abstraction
L’exposition suit un parcours chronologique dans lequel s’instaure un dialogue entre les deux œuvres, tout en soulignant leurs différences et leurs ressemblances.
Car chacun de leurs côtés (mais résolument ensemble), ce couple unique explora littéralement toutes les facettes possibles de l’abstraction. En récupérant des chutes de verre dans la décharge publique de Weimar, Josef Albers a créé des assemblages et des compositions hétéroclites qui lui valurent d’être sollicité pour ouvrir le fameux Atelier de verre, intégré au sein du Bauhaus. Un certain Paul Klee le rejoignit alors, devenant directeur artistique de l’Atelier. C’était déjà la martingale magique du Bauhaus : les étudiants faisaient l’acquisition d’un solide bagage technique et d’une connaissance extrêmement pointue des matériaux et des méthodes de travail avant de bénéficier d’une très forte stimulation artistique leur permettant de s’exprimer entièrement.
De son côté, Anni rejoignit l’Atelier de tissage de cette même école où elle put investir pleinement cette discipline et elle trouva vite son inspiration dans ce nouvel environnement en y goûtant, de fait, une totale liberté d’expérimenter.
Ainsi, Josef développant un langage de formes architectoniques reposant sur le verre doublé (une technique qui permet le recouvrement d’un morceau de verre blanc, opaque ou transparent, par une fine couche de verre soufflé, coloré arti- sanalement) et Anni produisant de larges pans de soie tissée aux formes similaires, les Wallhangings, tous deux travaillèrent en phase : leurs œuvres se faisaient écho. Ils partageaient la même vision d’un équilibre formel, chacun dans sa technique, exploitant les diverses propriétés de son matériau de prédilection.
L’expo du Musée d’Art Moderne regorge d’exemples illustrant ce dialogue prolifique, mais, un peu à l’image des Wiener Werkstatte (les ateliers d’art viennois) qui, à la même époque, développaient formidablement cet art sans cloisonnement, le couple investit aussi d’autres domaines artistiques : le design, la photographie, entre autres exemples…
« Apprenez à voir et à ressentir la vie, cultivez votre imagination, parce qu’il y a encore des merveilles dans le monde, parce que la vie est un mystère et qu’elle le restera. »
L’innovation, sans cesse…
En 1933, sous la pression du régime nazi, les membres du Bauhaus décidèrent unanimement la dissolution de l’école. La réputation d’Anni et de Josef Albers était déjà bien établie. Sur la recommandation de Philip Johnson, alors conservateur au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, le couple a été appelé pour ensei- gner aux États-Unis, au Black Mountain College, une école expérimentale qui reprenait en grande partie les principes pédagogiques du Bauhaus. Située dans un environnement rural dans les montagnes de Caroline du Nord, cette école d’art progressiste avait été fondée sur les principes éducatifs du philosophe américain John Dewey (« apprendre par l’action »), impliquant des méthodes expérimentales d’enseignements et la vie en communauté qui évidemment ne pouvaient que plaire à Anni et Josef Albers.
Après-guerre, ils ne cessèrent d’innover, explorant une multitude de pistes créatrices. Recruté dans les années 50 à Yale pour diriger l’atelier de design de l’université, Josef y réalisa jusqu’à sa mort en 1976, la série Homage to the Square (Hommage au Carré) qui comprend plus de deux mille tableaux explorant l’interaction des couleurs entre elles et avec leur environnement. Josef y choisit de se limiter à quatre formats élémentaires de carrés emboîtés. Fascinant…
Pendant ce temps, Anni se consacra au design et à la gravure, expérimentant diverses techniques telles que la lithographie, la sérigraphie, l’impression offset, l’es- tampe ou la gravure à l’eau-forte. Comme pour le tissage, elle se laissait guider par le processus d’impression : « Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que le matériau est un moyen de communication. Que l’écouter, et ne pas le dominer, nous rend vraiment actifs – c’est-à-dire que pour être actifs : soyons passifs ! » avait-elle coutume de dire avec un sourire entendu.
Anni Albers est décédée aux États-Unis, à l’âge de 93 ans, le 9 mai 1994…
Cette rétrospective parisienne est un formidable hommage au travail artistique de ce couple germano-américain et sa réalisation soignée et exhaustive est tout à l’honneur du Musée d’Art Moderne de Paris et de ses équipes qui formalisent en cette fin d’année une longue séquence de six ans ayant été nécessaire pour parvenir à monter cette superbe exposition..
« Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que le matériau est un moyen de communication. Que l’écouter, et ne pas le dominer, nous rend vraiment actifs – c’est- à-dire que pour être actifs : soyons passifs ! »
MUSÉE D’ART MODERNE DE PARIS
11 avenue du Président Wilson 75116 Paris
Tél. 01 53 67 40 00 www.mam.paris.fr
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Horaires d’ouverture
Du mardi au dimanche de 10h à 18h Fermeture le lundi et jours fériés
Tarifs
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Tarif réduit : 12€
Gratuit pour les moins de 18 ans
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