La restauration au défi du Coronavirus : rencontre avec Fanny Fuchs et Stéphane Wernert
En couple tant au niveau professionnel que privé, Fanny Fuchs et Stéphane Wernert, tous deux jeunes quadragénaire, gèrent trois restaurants à Strasbourg. Ils ont traversé cette longue période de confinement en essayant de garder malgré tout un bon moral et espèrent, comme la grande majorité de leurs confrères, que l’été apportera peut-être un début de réponse à leurs nombreuses interrogations…
On ne présente plus leurs trois enseignes : Il Girasole est cette merveilleuse petite parcelle d’Italie sur le quai Saint-Nicolas à Strasbourg. Adossés à deux des phares culturels de Strasbourg, le Café de l’Opéra de la place Broglie ne désemplit pas, de même que le Café du TNS, à deux pas de là…
C’est d’ailleurs à la terrasse de ce dernier que nous nous retrouvons, à peine une semaine après le déconfinement des restaurants, lors d’un des rares moments à peu près ensoleillés de la deuxième décade de juin. A au moins trois reprises, Stéphane pestera devant « ce manque de bol incroyable. Pendant tout le confinement, il a fait un temps d’été et là, maintenant que les terrasses sont ouvertes, il pleut et il fait trop frais pour un mois de juin… »
Ensemble depuis longtemps…
Fanny et Stéphane prennent le temps de nous raconter leur parcours atypique. « Fanny et moi, nous avons monté nos activités ensemble. Depuis le début… » souligne Stéphane. « Avec Fanny, nous sommes en couple depuis très longtemps » précise-t-il « et si nos chemins ont été quelquefois différents (lui dans l’organisation d’événementiels sportifs, elle dans la fonction d’attachée de presse – ndlr), ils n’ont jamais été très loin l’un de l’autre. Au point qu’à un certain moment, on est parti ensemble aux Etats-Unis, à San Diego en Californie. C’était il y a quinze ans et l’expérience a duré deux ans. Deux années extraordinaires où on a beaucoup appris… »
« En fait, on a fini nos études là-bas » surenchérit Fanny. « Et on a travaillé ensemble dans la restauration pour pouvoir subvenir à nos besoins sur place, car le coût de vie est assez cher par là-bas… Il y avait un petit café français au cœur de San Diego, le Café Bassam, qui existe encore aujourd’hui et il était tenu par un Pakistanais… Moi, j’étais la petite serveuse française et Stéphane aidait le propriétaire à manager l’équipe… »
« Je pense que c’est là qu’on a mis le doigt dans l’engrenage de la restauration » se souvient Stéphane. « Du coup, on s’est mis à rêver de créer un établissement similaire lors de notre retour à Strasbourg… »
Une fois rentrés en Alsace, les épisodes professionnels parallèles vont les faire un peu s’éloigner de leur projet – jusqu’à de nouveau s’exiler deux ans à Nice pour gérer le Palais Nikaïa, une grande salle de spectacle. Il y a dix ans, Fanny est enceinte et six mois après la naissance d’Alexandre, le couple décide de rentrer définitivement à Strasbourg. C’est là que se présente l’opportunité de gérer le Café de l’Opéra puis, dans la foulée, le Café du TNS, Stéphane se concentrant lui sur le secteur de traiteur dans l’événementiel, « avec beaucoup d’énergie et d’envie » comme il le souligne joliment aujourd’hui…
« On n’a rien vu venir… »
On en arrive peu à peu à cette crise sanitaire du Covid 19 qui a impacté si fort l’ensemble de notre société. « Sincèrement, on n’a rien vu venir » avoue Stéphane. « A un certain moment cependant, comme nous avons pas mal d’employés au Girasole qui ont de la famille en Italie, les échos provenant de là-bas n’étaient pas rassurants… Puis, les chiffres d’affaire ont un peu fléchi mais bon, notre activité est fluctuante par nature, alors… Ceci dit, les trois semaines qui ont précédé l’annonce du confinement n’ont pas été bonnes du tout. On a quand même fini par sentir qu’il allait se passer quelque chose d’ampleur. Et le 12 mars, on s’est pris « le camion de plein fouet… »
« Au moment de l’annonce» poursuit Fanny, « on est tous les deux assis au coin de la table de notre appartement, sur le point de nous rendre dans nos restaurants pour le service du soir. On a tout de suite commencé à nous organiser, à mettre en place un schéma pour les quatre prochaines heures, pour prévoir tout ce qu’il fallait mettre en œuvre en tenant compte de la fermeture irrémédiable… »
« En toute honnêteté, on a été encore un peu naïf. Un mois plus tard, nous devions partir tous les deux pour quatre semaines au Costa Rica. On a longtemps cru pouvoir le faire, ce voyage… » se souvient Stéphane.
Et le couple de se souvenir de ce qui fut l’impératif de tous les restaurateurs, vider les frigos, et offrir ou céder à vil prix la nourriture stockée. Le tout en n’ayant pas la moindre idée de la durée de cette brutale fermeture. « Au départ, je pensais que ce serait pour une dizaine de jours… » avoue Fanny…
« Les maux de notre métier »
Assez vite, il s’est avéré que le gouvernement allait réagir promptement et serait à la hauteur des enjeux, notamment ceux des restaurateurs. Les dossiers de chômage partiel et de l’emprunt garanti par l’Etat ont commencé à se monter… « Ceci dit, plusieurs défis liés au personnel en place ont été relevés » raconte Stéphane. «Notamment le maintien du salaire du mois de mars et pour le Café de l’Opéra et Il Girasole, la volonté de garder le personnel que nous venions de recruter à l’essai, mais avec une promesse de CDI ultérieur, pour faire face à la saison d’été qui s’annonçait… Tout ceci ayant été mis en route, je me suis lancé dans un projet de groupes d’échanges avec tous nos confrères, via les réseaux sociaux. Ce fut très intensif et ça nous aura beaucoup aidés, au final. On a échangé nos bonnes pratiques, le temps de s’apercevoir qu’il y allait avoir un gros problème avec nos assurances. On a appris ce qu’avait décidé le Crédit Mutuel en faveur des sociétés qui étaient assurées chez lui. C’était bien joué, je trouve mais je suis entré dans une grande colère avec Generali mon assureur. J’ai d’ailleurs créé un groupe « Generali m’a tuer » du nom de l’inscription sanglante lors de cette célèbre affaire criminelle dans le sud du pays. Depuis, je vise à rassembler tous les lésés de cet assureur en France ! Je suis allé très loin dans cette action et aujourd’hui (cet entretien a eu lieu le 11 juin dernier – ndlr), il semblerait que des négociations pourraient s’ouvrir… Je ne m’arrêterai pas en aussi bon chemin, je vais continuer à les bouger. »
Au moment du déconfinement, après s’être essayé un temps au click&collect , (« le temps de se rendre compte que ce n’était pas notre métier » reconnait honnêtement Stéphane), Fanny pense que « la priorité est de revenir au cœur de nos métiers, l’accueil, la convivialité et le relationnel car quand on se rend dans un restaurant, on n’y va pas que pour la cuisine, il y a cette foule d’autres qui font partie de l’expérience qu’on veut vivre… »
« Cette période aura également fait ressortir ce que j’appelle les maux de notre métier. Nous figurons parmi les plus observés et les plus critiqués, dès que quelque chose, même infime, ne va pas, on a droit à la remarque ou la critique sur Trip Advisor, sans parler de la pléthore des contrôles de toutes sortes » déplore Stéphane qui est vite rejoint par Fanny : « La pression quotidienne du « est-ce que j’ai tout bien fait ? » est impressionnante… »
« Et à Strasbourg, en raison de l’extrême densité des restaurants et de l’importante clientèle notamment touristique, les enjeux financiers sont énormes… D’ailleurs, depuis une semaine que près de 500 des 800 restaurants strasbourgeois ont pu réouvrir,» ajoute Stéphane, « on voit bien que certains segments importants de la clientèle ne sont pas là , les touristes et une partie de la clientèle d’affaires qui est encore en télétravail, notamment… »
« Se poser les bonnes questions… »
Au final, on se quittera sur une intense réflexion nous éloignant peu à peu du seul secteur de la restauration pour rejoindre une forme de profonde philosophie où Fanny et Stéphane révéleront des facettes humaines qui se sont manifestées lors de ces trois mois « pas comme les autres »
Il y sera question « du monde dont notre fils, Alexandre, héritera et des responsabilités énormes qui sont les nôtres pour qu’il ne soit pas invivable, de cette nouvelle génération qui va devoir vivre avec sa propre expérience du virus et du confinement, de cette crise économique gigantesque que nous allons vivre, inéluctablement et des répercussions dramatiques qui vont devenir à court terme des réalités bien concrètes, de toutes ces inégalités nouvelles qui sont nées durant cette période qui fut, en raison des conditions d’habitat, notamment, bien plus éprouvante pour certains que pour d’autres… »
Pour finir, il sera aussi question de nos comportements à tous face à ce brutal flot d’interdictions qui nous auront été imposées, de ce que cela signifie et signifiera peut-être encore plus pour notre démocratie.
Ce fut une belle rencontre avec un jeune couple bien installé dans son époque et qui a « profité » de ces longues semaines absolument inédites et sidérantes pour essayer de « se poser les bonnes questions ».
Ce soir-là, elle était bien agréable cette terrasse du Café du TNS. On s’est quitté finalement guilleret…