La vie entre deux mondes : les Ukrainiens, modèle d’intégration ?
– Article paru dans Or Norme N°46 « Se retrouver-
Un statut de résident temporaire qui leur donne accès à l’emploi ; des cours de langue intensifs initiés par les binationaux et primoarrivants ; une volonté d’aider leur pays depuis la ville d’accueil ; un désir, surtout, de ne pas être perçus comme une charge et de rendre au plus vite à Strasbourg ce qu’elle leur a donné. Entre deux pays, deux espaces temps, deux réalités, les Ukrainiens, une communauté pas tout à fait comme les autres.
S’ organiser, aider une ville, sa ville, qui s’éclaire d’autres lumières que celle du soleil, de la lune ou de quelque réverbère. Les ogives qui drachent plutôt que la pluie. Une promenade qui peut être la dernière. Du haut de ses 53 ans, Natalya Pugach a fait le choix de fuir un quotidien que ni elle ni sa fille n’avaient choisi. De quitter Kramatorsk l’Ukrainienne pour rejoindre le 9 mars dernier Strasbourg l’Européenne. Et de laisser derrière elle mari, frère et mère. Un choix difficile pour celle qui, quelques mois en arrière, était encore enseignante en physique et en astronomie dans son pays.
Strasbourg ? Par « intuition », confit-elle. Son quotidien, depuis : suivre sa vie d’épouse, de soeur et de fille entre deux écrans digitaux, entre deux tirs de roquettes dont elle n’a plus à souffrir… au moins physiquement. Et aider, autant qu’elle le peut, son pays.
Logistique humanitaire, accompagnement des nouveaux arrivants en terre alsacienne, de 10h à 13h, trois fois par semaine, forment une grande part de son quotidien. Plus, parfois, selon les arrivages en denrées alimentaires, produits hygiéniques et autres médicaments déposés par quelques Strasbourgeois anonymes dans un entrepôt du Port du Rhin mis gracieusement à disposition par l’entreprise Soprema. Au cours des quatre derniers mois, plus de 100 tonnes d’aide humanitaire sont parties d’ici vers l’est de l’Ukraine, Kharkiv ou Izum. Une logistique déjà bien rodée à laquelle participent désormais plus d’une centaine de bénévoles.
Ancien concessionnaire automobile, Evgeniy Medyanyk avait trois garages en Ukraine et quelques économies en poche, qu’il redistribue en partie à l’armée de Kyiv, lorsqu’il n’achemine pas de convois humanitaires vers l’Ukraine. « À défaut d’avoir été enrôlé, c’est pour moi une manière d’aider, d’être utile à mon pays ». Depuis peu, l’homme de 31 ans achemine également des « ambulances à la frontière, qui participeront à l’évacuation des blessés ». L’achat et la livraison de véhicules : « une nouvelle activité pour la communauté ukrainienne de Strasbourg », commente Katerina Pushkar, en charge de la coordination de l’aide humanitaire.
LES PARIS GAGNANTS DE LA LANGUE
Mais au-delà de l’effort de guerre, les néo-résidents strasbourgeois ont tout autant à coeur leur propre intégration, déjà facilitée, disent-ils, par les pouvoirs publics locaux et les services de la préfecture même si quelques écueils subsistent encore dans l’accès au logement, comme le soulignent Alisa et Hanna, deux jeunes actives de Kharkiv, placées en « zone tampon », du côté d’Obernai avant qu’un logement plus durable ne se libère sur la capitale alsacienne où elles se construisent progressivement un avenir professionnel rendu plus facile par leur maîtrise initiale de la langue française.
Pour les autres, là encore la communauté ukrainienne s’organise avec le concours de professeurs bénévoles, qui officient depuis les locaux de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA). Oksana Leleka, psychologue, est l’une de leurs élèves : « Maîtriser le français nécessitera une à plusieurs années, mais nos progrès sont déjà stupéfiants ». Encore faudra-t-il que l’enthousiasme des enseignants ne faiblisse pas, tant fonctionner sans soutien budgétaire pourrait vite s’avérer intenable eu égard au temps qu’ils consacrent à leur partage de connaissances. Un choix à réfléchir pour les autorités publiques qui pourraient y remporter un double pari : celui d’un accès à l’emploi accéléré, et celui d’une réduction progressive de la charge portant sur le contribuable. Un voeu partagé par l’ensemble des Ukrainiens rencontrés, dont le rapport à leur cité d’accueil pourrait finalement tenir en trois verbes : aider, s’intégrer, travailler pour (re) donner en retour. S *Marina Moiseyenko est journaliste ukrainienne, originaire de la ville de Zaporijia, rattachée pour la France à l’AFP et au magazine eutalk.eu du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg.
*Marina Moiseyenko est journaliste ukrainienne, originaire de la ville de Zaporijia, rattachée pour la France à l’AFP et au magazine eutalk.eu du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg.