Le jour où… Louis-Napoléon a tenté un coup d’état depuis Strasbourg

Partager

En 1836, Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas encore Napoléon III. Il est Napoléon, c’est déjà beaucoup, mais pas assez pour lui. Exilé en Angleterre, il rentre clandestinement dans Strasbourg le 30 octobre et tente de soulever la troupe qui y stationne pour marcher sur Paris et renverser le roi Louis-Philippe. Fiasco.

Voilà ce que c’est de vivre à l’ombre des grands hommes. Ça vous échauffe les sens et ça fait naître des rêves immenses que tout le monde n’est pas capable d’assumer. Prenez Louis-Napoléon, neveu de qui l’on sait. Avec la lignée qui est la sienne, la grandeur qui s’attache à son nom et son tempérament de feu, comment pourrait-il ne pas croire qu’il est appelé à un destin immense ? Et un destin, ça se forge, même quand on est un Bonaparte et que votre oncle qui avait l’Europe à ses pieds vous faisait sauter, enfant, sur ses genoux.
Alors, c’est sûr, les choses n’ont pas tourné comme elles auraient dû. Il y a évidemment eu le désastre de Waterloo, le 18 juin 1815, quand les Britanniques alliés aux Allemands, aux Néerlandais et à l’instant décisif aux Prussiens ont précipité la chute de l’Empire. Et puis tout s’est enchaîné. La deuxième abdication de l’Empereur le 22 juin, l’exil sur un caillou perdu au milieu de l’Atlantique dont le nom est Sainte-Hélène, la disgrâce de toute la lignée et pour finir le retour de la monarchie.
Louis-Napoléon n’a pas huit ans quand son oncle, auquel il continue de vouer une admiration sans bornes, est irrémédiablement vaincu. Le voilà contraint de se cacher à Paris avec ses parents, Joseph, le frère aîné de l’empereur, Hortense, sa mère, fille de Joséphine de Beauharnais. Un bagage toujours bouclé, prêt à décaniller à la moindre alerte. Jusqu’au moment où ce n’est plus tenable. Le 12 janvier 1816, tous les Bonaparte sont bannis et contraints de céder leurs biens. Il faut quitter la France pour s’installer en Suisse et pour partie en Autriche.
Au château d’Arenenberg, sur la rive droite du lac de Constance, le clan s’est scindé. Les parents se sont séparés, Hortense est là avec Louis-Napoléon, son frère aîné à Rome avec son père. Celui que Victor Hugo appellera un jour « Napoléon le petit », mais que l’on surnomme alors « oui-oui », parce qu’il ne dit jamais non, profite de cet exil forcé pour se construire un bagage intellectuel et se forger une conscience politique sous la férule de l’helléniste Philippe Le Bas.

Louis-Napoléon Bonaparte à Strasbourg

STRASBOURG ET LE 30 OCTOBRE 1836 SONT ENCORE LOIN, MAIS ON S’EN RAPPROCHE

Pour l’instant, Louis a appris l’allemand et découvert l’histoire de la Révolution française, il veut changer le monde, rêve de gloire et de champs de bataille. En novembre 1830, il a 22 ans. Dans sa famille on pense déjà à commémorer les dix ans de la mort de Napoléon Ier (le 5 mai 1821), Louis-Philippe vient d’être sacré « roi des Français » et en Italie les patriotes ont pris les armes pour se libérer de la domination de l’Autriche et de la tutelle du Saint-Siège. L’Italie, ça lui parle. Son cousin Napoléon François Joseph, le fils de l’empereur déchu et défunt, avait été proclamé « roi de Rome » à sa naissance quand la capitale italienne n’était plus que le chef-lieu de l’un des 130 départements de l’empire français, au même titre qu’Amsterdam ou Barcelone.
Alors sus aux Autrichiens aux côtés de libéraux italiens qui veulent unifier leur pays et se libérer de l’emprise papale aussi. Son frère Napoléon-Louis est de la partie. Le jeune homme veut se faire un numéro puisqu’il a déjà le nom. Le soir en s’endormant, il s’imagine triomphant, vengeant à distance son oncle et redonnant tout son éclat à sa dynastie.
Sur place, il se distingue et plonge au coeur des combats aux côtés des Carbonari, cette société secrète « protomaçonnique » à laquelle il a adhéré. Il n’a peur ni du feu ni du sang. En première ligne lors du soulèvement de Parme et de Modène, il participe activement à la prise de Civita-Castellana dans le Latium et, dans les cours européennes, ses faits d’armes font jaser. Un Napoléon, et même deux, sur les champs de bataille, voilà de quoi donner des sueurs froides aux monarques.
Évidemment, tout ça tourne mal. Rapidement, l’Autriche siffle la fin de la partie et envoie 20 000 hommes rétablir l’ordre. Les frangins Napoléon sont acculés du côté de Forli. Leur mère vole à leur secours, tout ça est très beau, sauf qu’entre-temps une épidémie de rougeole a emporté Napoléon-Louis et que son frère, Louis-Napoléon, est très malade. Déguisé en laquais avec un faux passeport britannique, ce qui est un comble pour un Bonaparte, il revient à Paris pour se faire soigner le 14 avril 1831 avant de retourner en Suisse. Mais la graine qui germait en lui a éclos. Il sait qui il est, un Bonaparte, et ce qu’il veut, le pouvoir.

REFAIRE LE COUP DE L’ÎLE D’ELBE

Finies les révolutions de salon fomentées en bâillant et en avalant des petits fours, lui veut agir. Vraiment. Reprendre ce qu’il pense être un dû, la France donc. Les Français l’aideront, ils n’ont besoin que d’un déclic pense-t-il. Et le déclic c’est lui, qui d’autre ! Alors, pendant près de cinq années, il va écrire des lettres, des traités militaires, échafauder son plan et se constituer un réseau partout en Europe.
L’idée, c’est de refaire le coup de l’île d’Elbe ! Le 1er mars 1815, son oncle, jusqu’alors exilé sur cette petite île au large de l’Italie, avait débarqué sans prévenir avec un embryon de troupe à Vallauris et avait remonté le pays, ralliant à lui casernes et régiment. Pour finir par arriver triomphalement à Paris et reprendre le pouvoir le 20 avril. Voilà, c’est ça l’idée, il va entrer en France et rallier à son panache une première garnison, les autres suivront.
Aussitôt dit (presque) aussitôt fait. Le 30 octobre 1836, Louis-Napoléon Bonaparte muni de faux papiers entre dans Strasbourg accompagné d’une quinzaine de conjurés. Pourquoi Strasbourg ? Parce que la place militaire est d’importance d’abord avec près de 10 000 hommes stationnés, mais aussi parce que la ville et l’Alsace ont toujours été des soutiens indéfectibles à son oncle. Il y a ici plus de généraux napoléoniens qu’ailleurs, les noms de 24 d’entre eux sont inscrits sur l’Arc de Triomphe. Les exploits de Kléber, de Kellermann, de Rapp sont dans toutes les mémoires. L’Alsace aime tellement Napoléon qu’elle lui a donné un surnom « D’r Napi » et que son portrait est encore accroché dans bon nombre de chaumières.
La brume matinale n’est pas encore dissipée que la petite troupe qui brandit un étendard surmonté de l’aigle impérial pénètre dans le quartier du 4e régiment d’infanterie dirigé par le colonel Claude- Nicolas Vaudrey. Il est de mèche et leur ouvre grand les portes. Louis-Napoléon distribue des billets, promet décorations et galons : « Soldats ! Marchons ensemble contre les traîtres et les oppresseurs de la patrie… ». C’est parti ! Voilà la troupe qui s’arme, se met en ordre de marche et en branle. Elle défile à moins qu’elle ne parade dans les rues de Strasbourg qui en ont vu d’autres. Cap sur la préfecture d’abord : le préfet est arrêté par les insurgés. Le général de la place est également mis aux arrêts, le plan fonctionne parfaitement. Sauf que les fantassins du 46e de ligne n’ont, eux, aucunement l’intention de se rallier à l’aventure. Et là, tout déraille. On imagine les palabres, le ton qui monte, les menaces, le bruit des culasses que l’on arme. Mais le rapport de force étant ce qu’il est, les artilleurs baissent les armes, Louis-Napoléon, les bras. La tentative de putsch aura duré moins de deux heures. Le préfet et le général Voirol sont libérés et le petit aigle se retrouve en prison.
Une nouvelle fois, sa mère vole à son secours. Elle intervient auprès du roi Louis-Philippe, implore sa clémence, il est jeune, c’est une tête brûlée, mais pas un mauvais garçon au fond vous savez bien, et s’il partait en exil plutôt que de rester en prison et d’être comme une épine dans votre pied ? Mais oui, c’est ça l’idée, exilez-le Votre Altesse, aux États-Unis, c’est bien ça les États-Unis, il ne viendra plus faire le zouave à l’improviste, on le verra arriver de loin.
Louis-Philippe ne se fait pas prier trop longtemps. Il en a soupé des Bonaparte alors si en plus, il faut se farcir un procès, déchirer encore davantage le pays et offrir une raison à ses opposants de ruminer… Va pour le Nouveau Monde. Un mois plus tard, Louis-Napoléon le petit embarque à Lorient à bord d’une frégate militaire qui l’emmène vers New York après une escale de plusieurs mois à Rio de Janeiro. Ses rêves de grandeur et de pouvoir sont remis à plus tard. Ils viendront.

à lire également :