Le Livre de Ma Vie #9
Sandra Inglese
La Nuit des temps, René Barjavel
Si je ne devais parler que d’un seul livre, ce serait le roman de science-fiction écrit en 1968 par René Barjavel intitulé La Nuit des temps. L’histoire concerne une mission scientifique dans l’Antarctique menée par une équipe internationale de chercheurs. Ces derniers découvrent, à « mille miles de toute terre habitée » une présence humaine dans les profondeurs de la glace.
C’est surtout cette histoire d’amour inconditionnelle qui m’a particulièrement touchée.
Un homme et une femme d’une beauté incroyable ont été cryogénisés depuis La Nuit des temps sous une sphère dorée. Ils se prénomment Eléa et Païkan et sont âgés de plus de 900.000 ans avant notre ère. Au-delà de la description d’une civilisation imaginaire, le livre nous permet de vivre une histoire d’amour magique, passionnante et envoûtante, qui laisse rêveurs les plus romantiques d’entre nous.
C’est surtout cette histoire d’amour inconditionnelle qui m’a particulièrement touchée. Elle a pris un sens tout particulier dans ma vie car le livre m’a été offert par mon mari lorsque nous nous sommes rencontrés il y a 8 ans. Bien qu’il semble impossible de vivre un amour aussi pur que celui décrit dans le livre, il représente pour notre couple la base de notre propre relation d’amour, nous rappelant dans la tourmente du quotidien ce qui nous a amené à nous aimer, les rêves que nous avons partagés et que nous partageons, nous poussant même à nommer notre petite fille d’après l’héroïne de l’histoire, Eléa !
Natacha & Patrick Adler
Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra
Cher Yasmina, cher Mohammed, avant 2008 vous aviez déjà fait des incursions dans notre vie littéraire avec Les hirondelles de Kaboul et L’attentat, mais c’est Younes/ Jonas (Janus donc !) et le fatum de son histoire, ou devrions-nous plutôt dire le « mektoub » de l’anti-héros de Ce que le jour doit à la nuit, qui nous a tant touchés, émus, exaspérés aussi.
Ce roman d’un amour impossible est également une parabole de la relation entre l’Algérie et la France, et surtout, pour nous deux, l’œuvre qui évoque, grâce à votre écriture unique, à la fois puissante et subtile, tragique et tendre, ce que peuvent engendrer des attitudes telles que la dignité, la loyauté, le respect, mêlées aux sentiments de l’amour, d’injustice et de trahison…
Cette trahison à laquelle se refuse constamment votre personnage, qui donc ne s’engage jamais, pris au piège d’un serment qui lui interdit l’amour, et d’une double identité qui brise ses amitiés.
En écrivant Ce que le jour doit à la nuit, sans doute avez-vous également réglé un petit compte personnel avec Camus dont vous avez dit par ailleurs « s’il n’a pas compris l’Algérien que je suis, il l’a enrichi. » Et de toute évidence, Younes/Jonas est une réponse à votre quête de percer le secret de Meursault : « pourquoi restait-il si distant par rapport au malheur qui le frappait et à celui qu’il allait infliger aux autres ? »… Younes/Meursault ?
Cher Mohammed, ce roman dont le titre est à lui seul un poème sublime, nous a offert la possibilité d’y lire chacun l’histoire que nous voulions y retrouver : celle de l’amour d’un père et du déracinement pour l’une, celle de la puissance et de la pureté adolescentes des sentiments pour l’autre, et, ensemble, celle, universelle, de la possibilité, ou pas, de réparer ses blessures d’enfance, qu’elles fussent celles d’un homme ou d’une terre.
Merci Mohammed, vous qui, par amour de la langue française, avez su, mieux que quiconque, nous mettre en accord sur l’essentiel.
Il n’y a rien avant l’amour, à part l’amour, après. Si tu le rencontres, gardes-le. S’il t’échappe, poursuis-le. S’il a disparu, inventes-le.
Clément Dorffer
L’Univers expliqué à mes petits-enfants,
Hubert Reeves
Alors que j’étais au collège, peut-être en classe de cinquième je ne me souviens plus exactement – j’avais un professeur de mathématiques passionné d’astronomie et d’astrophysique, qui ponctuait régulièrement ses cours de petites anecdotes historiques et scientifiques à ce sujet. Devant l’intérêt de ses élèves face à ces excursus, il se met à organiser ponctuellement, entre midi et deux, des diffusions de documentaires traitant de ces questions, dans sa salle de classe. Au fil d’une discussion, il nous propose la lecture d’un livre de cet astrophysicien québécois qu’est Hubert Reeves : l’Univers expliqué à mes petits-enfants.
Ce court livre d’une centaine de pages met en scène une conversation entre un grand-père et sa petite-fille, un soir d’été, observant les étoiles. À quelle distance sont-elles ? Depuis quand le soleil brille-t-il ? Pourquoi dit-on que nous sommes des poussières d’étoiles ? Qu’y avait-il avant le Big Bang ? De quoi sommes-nous constitués ? Voici les questions auxquelles répond ce cher grand-papa, dans ce petit recueil qu’on dévore d’un seul coup et qui risque à tout jamais de changer notre perception du monde. Cette première exploration astrophysique a amorcé ma prise de conscience de l’insignifiance de notre planète à l’échelle de l’uni- vers. Se rendre compte de ça, c’est retrouver une humilité nécessaire à sa protection, à la protection de la vie. Notre planète n’est pas seule, elle reste néanmoins isolée, et c’est la seule que nous ayons à notre disposition.
C’est un livre que je suggère à tout le monde, surtout à n’importe qui, surtout aux enfants, surtout aux adolescents, surtout aux adultes. Et si vous vous plaisez dans sa lecture, pourquoi ne pas continuer par les Dernières nouvelles du cosmos…
Vincent Gouvion
Les Cerfs-volants, Romain Gary
Ma première rencontre avec Romain Gary a été une immersion dans la résistance polonaise de la deuxième guerre mondiale avec son premier roman Éducation Européenne. Ma deuxième rencontre, celle qui m’a touché en profondeur l’a été avec son dernier roman Les Cerfs-Volants.
C’est une histoire de vie, l’histoires de plusieurs vies en réalité qui s’entremêlent dans les méandres de la Deuxième Guerre mondiale et de la Résistance en France.
C’est une histoire d’amour pour la France, par le prisme de la vie d’un petit garçon et de son premier amour, d’un homme pour ses cerfs-volants, d’un grand-père pour son petit-fils, d’un restaurateur pour la gastronomie, d’un peuple pour sa survie.
C’est une histoire écrite par un romancier d’origine russe pour son pays d’adoption, son pays de cœur, la France. Cet ouvrage est une ode à la vie, terminant en apothéose son corpus littéraire, Les Cerfs-volants est à mon sens son chef-d’œuvre. Romain Gary est le seul écrivain à avoir été récipiendaire à deux reprises du prix Goncourt, l’un à son nom l’autre sous un de ses pseudonymes Emile Ajar.
C’est une histoire d’amour pour la France, par le prisme de la vie d’un petit garçon et de son premier amour, d’un homme pour ses cerfs-volants, d’un grand-père pour son petit-fils…
Les Cerfs-volants est un roman et bien plus que cela. Il est d’une telle force, d’une énergie positive rare, un livre à lire par jour de pluie ou de blues. Un opus qui vous apportera beaucoup, vous fera grandir, il est ma plus belle lecture, sincère et entière.
Julia Vesque & Thierry Desaules
Kitchen, Banana Yoshimoto
Kitchen… Qui n’a jamais eu un lieu anodin, un lieu neutre que chacun jugerait sans importance et qui, pourtant, paraît être le plus doux des refuges contre les troubles de l’existence ?
Pour la jeune Mikage, c’est la cuisine. Elle les aime par-dessus tout, les cuisines ! Sa grand-mère meurt alors qu’elle n’a que 25 ans, elle n’a plus personne… Telle une plante qui végète mais qui s’apprête à faner par manque d’attention, Mikage se maintient en vie grâce au ronronnement du frigo jusqu’à ce que le charmant fleuriste Yûichi Tanabe et sa « mère » – l’énigmatique et troublante transsexuelle Eriko – la recueillent. Il ne se passera rien de plus, rien d’extraordinaire, jusqu’à la mort violente de cette dernière.
Et c’est là que réside le génie de Kitchen : voici un roman où il ne passe rien et où pourtant tout se joue. Il n’y a ni intrigue policière, ni rebondissement cinématographique, juste la vie et ses aléas. Mais tout est là, tout est apprentissage, entre les lignes au minimalisme flou de Banana Yoshimoto. Les non-évènements mettent en exergue chaque ressenti et invitent à l’introspection par le prisme des sentiments, de la solitude, du deuil, de l’identité de genre et, finalement, de l’identité tout court.
L’auteur pénètre l’âme de ses personnages perdus avec un regard sans fard, pétri de gratitude et de respect, dans la plus pure tradition de la littérature japonaise. Le minimalisme vise juste, invite à la réflexion avec une clarté époustouflante.
Kitchen creuse l’intime sans le maltraiter, effeuille notre enfance pour faire de nous de meilleurs adultes
Lors de sa publication en 1988, cet ouvrage est devenu un hymne pour toute une génération de jeunes japonais. Il fut question dans la presse internationale d’un Attrape-cœurs nippon, et force est de reconnaître cette gémellité avec le livre de Salinger qui secoua le monde.
Comment ne pas se reconnaître tôt ou tard dans les personnages de Mikage, de Yûichi ou d’Eriko ? Comment ne pas faire siens les micro-gestes du quotidien, les silences, les averses tokyoïtes si tristes qui se transforment en étoiles vibrantes lorsqu’elles s’étiolent sur le sol nocturne ?
Kitchen creuse l’intime sans le maltraiter, effeuille notre enfance pour faire de nous de meilleurs adultes. Le petit frigo de Mikage ouvre la porte de la tolérance, de la solidarité, de l’amour qu’il ne faut pas oublier de dire avant qu’il ne soit trop tard.
Alors aimons-nous, et pourquoi ne pas s’aimer devant un oyakodon fumant ?
Stanislas Nordey
Dans le musée de Reims, Daniele Del Giudice
Il y a de ces récits qui vous traversent directement et touchent à un endroit qui est bien celui que l’on appelle le cœur. On a beau chercher les raisons objectives elles finissent par échapper car c’est la force de la littérature : cette puissance d’emportement, de déchaînement de nos imaginaires profonds, ce remuement.
Dans le musée de Reims a eu l’effet sur moi d’une tempête : il parle du lien entre deux êtres, de la perte d’un sens, de la nécessité de la Beauté, de l’abandon.
C’est un petit livre. Immense.
Il y a de ces récits qui vous traversent directement et touchent à un endroit qui est bien celui que l’on appelle le cœur.
Crédits photos : Sophie Dupressoir