L’extraordinaire destin de Pippa⎢Rififi, la comédie musicale
Article publié dans ON N°52, paru au mois de mars
Déjà enthousiaste sur l’état d’avancement de la création de sa comédie musicale Rififi, c’est Jean-Luc Falbriard qui nous a immédiatement parlé d’une « des chorégraphes les plus connues de la scène mondiale » avec qui il collaborait étroitement. Et nous avons rencontré Pippa Simmons. C’était juste avant les fêtes de fin d’année et tout à coup, le bar du grand hôtel strasbourgeois qui nous accueillait s’est mis à pétiller de toutes parts. Sacré bout de femme !
J e suis née à Londres, en 1947. Deux ans et demi plus tard, constatant que je marchais très mal, ma maman en a parlé à notre médecin de famille, qui, en véritable visionnaire qu’elle était, du moins pour l’époque, lui a recommandé de m’inscrire à une école de danse. À cette époque, et ça subsiste encore aujourd’hui, chaque banlieue de Londres avait son école de danse pour jeunes filles, avec des profs qualifiés. Dès deux ans et demi, j’ai donc dansé et jusqu’à l’âge de dix ans, j’ai franchi toutes les étapes, les festivals, les examens très rigoureux… Mais, arrivée à l’âge d’entrer au collège, j’ai échoué à l’examen d’entrée. Mon père s’est retrouvé avec un dilemme : il y avait le choix entre une école de secrétariat qui accueillait les filles en échec et, comme j’étais plutôt douée pour la danse, m’inscrire dans cette école, Arts Educational, qui est devenue depuis ArtsEd, la plus importante école indépendante d’arts du spectacle d’Angleterre. Je dois reconnaître que Papa s’était « serré la ceinture » comme on dit en France pour me payer cette école. À la fin des années cinquante, 45£ par trimestre, était une petite fortune !… J’ai suivi tout le cursus de cette école, jusqu’aux examens pour devenir professeur, notamment ce défi d’avoir à son actif au moins 49 semaines de tournées en province avant de pouvoir enfin passer des auditions… »
Entre-temps, Pippa se souvient d’avoir fait sa première émission de télévision (un énorme événement à l’époque) à l’âge de onze ans. À l’âge de quinze ans, ce fut sa première audition, pour Funny Girl avec Barbra Streisand : « On était plus de deux cents à attendre autour du quartier où se situait le théâtre des auditions, on rentrait vingt par vingt. C’était vraiment Chorus Line (une allusion à une comédie musicale américaine célèbre mettant en scène de jeunes danseuses et danseurs en audition – ndlr), c’était toi, toi, toi… merci, les autres, donnez vos coordonnées. Les auditions ont duré une semaine !… » se souvient Pippa qui parle encore avec beaucoup d’émotion dans la voix de l’issue de cette sélection. Presque arrivée au but du processus après avoir été retenue de prime abord, elle n’a pu intégrer la troupe : trop petite pour pouvoir être associée avec un danseur !
À peine le temps de surmonter la déception (« on nous avait préparées à ce type de situation dès notre école », dit-elle), Pippa connaîtra finalement le plaisir d’assumer une intense activité : « J’ai fait énormément de télé, j’ai tourné beaucoup de films, je me souviens d’un de mes premiers, c’était Oh ! que la guerre est belle avec Jean-Pierre Cassel, une pure merveille que ce film… » ajoute-t-elle avec une belle émotion dans la voix. « Pour gagner sa vie, chaque danseur comme moi avait son cabaret-club attitré, deux spectacles par nuit, un Kirwiller en miniature… » ajoute-t-elle en riant.
« J’AI TOUJOURS ÉTÉ TRÈS PHILOSOPHE… »
C’est dans ce cabaret que va se produire un véritable drame qui marquera à jamais la vie de Pippa. Un soir, en empruntant un escalier abrupt pour changer à la volée de costume entre deux rôles, c’est l’accident : la chute, si violente qu’une de ses jambes casse net une chaise en deux. Pippa s’accrochera pendant un mois, mais se résoudra à consulter un médecin qui sera clair. « Tu veux danser ou tu veux perdre ta jambe ? ».
Six mois d’immobilisation totale vont suivre. « Au bout de six mois, dans ce monde draconien qu’était le showbusiness à Londres, tu étais oubliée. Et même si tu étais rétablie, tous les producteurs, tous les metteurs en scène ne pouvaient que se méfier en se disant que tu pouvais faire une rechute… »
Pour autant, et encore aujourd’hui, Pippa Simmons estime que ce ne fut pas une véritable catastrophe : « J’ai toujours été très philosophe », confie-t-elle, « et j’ai décidé de faire l’école hôtelière dans l’intention de pouvoir ouvrir un restaubar- cabaret. J’ai réussi l’examen sans problème et je me suis retrouvée à la campagne dans un hôtel-restaurant tenu par un pianiste-saxophoniste fou qui passait ses soirées au bar, à picoler les bénéfices, alors que je faisais marcher son établissement ! Mais c’est là que j’ai fait la connaissance d’un homme annoncé comme très important, venu séjourner à l’hôtel un soir avec sa famille. C’était l’un des dirigeants d’une très grande chaîne hôtelière au niveau mondial et il m’avait laissé sa carte me disant : “Si un jour, vous avez un projet et si vous avez besoin d’un coup de main dans votre carrière…”. J’ai pensé à lui quelques temps plus tard, j’ai osé l’appeler et un mois après, je me suis retrouvée à travailler dans le secteur de la restauration… à Strasbourg ! »
À partir de là, tout s’enchaînera presque idéalement jusqu’à ce que Pippa, assez entière, décide de quitter le poste : « Nous n’étions pas d’accord sur tout », dit-elle pudiquement. En ce début des années 1980, le « démon » de la danse et de la chorégraphie ne l’a pas quittée : un premier accord avec la Maison des jeunes de Drusenheim sur des cours de danse façon jazz américain tout à fait inédit dans la région, et même en France : « Les Français sont très franco-français sur la question artistique », commentet- elle avec malice. Puis Soufflenheim, Brumath, Lauterbourg, entre autres, font appel à Pippa. La chorégraphe fait face, armée de sa seule « Simca 1100 en ruine et d’un “cassettophone” guère plus vaillant » pour donner ses cours chaque soir de la semaine dans les villages alsaciens.Beaucoup de spectacles annuels dans chaque village seront ainsi montés. Ces années-là seront également marquées par un événement important : « Au milieu des années 1980, j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. Mon fils est né et j’ai voulu l’élever. J’ai tout arrêté, mais en 1993, je l’ai jugé assez âgé pour reprendre mes cours et mes spectacles. »
« LA DANSE FAIT PARTIE INTÉGRANTE DU SCÉNARIO »
Tout se passera harmonieusement et il faudra même, en 2007, la création d’une association, Pippa on Scene, pour faire face au développement de l’activité. La présence d’une salle à sa disposition, dans le village de Pfaffenhofen où elle réside, contribuera grandement à l’essor de l’association.
Et c’est lors d’un des spectacles montés par Pippa on Scene que la connexion avec Jean-Luc Falbriard va s’effectuer. Début 2022, Romain Schmitt, un musicien avec lequel Pippa Simmons collabore régulièrement, lui parle du projet Rififi, « une grande comédie musicale à l’américaine dont je suis l’auteur des musiques, je suis sûr que tu peux t’occuper de la chorégraphie… » lui dit-il. Il ne faudra pas plus d’une réunion, suivie « d’un repas un peu trop copieux pour moi » se souvient Pippa, pour que la chorégraphe soit séduite par le projet présenté par le patron de l’Espace K.
« C’est un projet magnifique, résolument centré sur la comédie musicale à l’américaine. Je pense même que Rififi pourrait largement avoir une audience bien au-delà de la seule Alsace… » commente Pippa
. Pour l’heure, elle a supervisé, avec Jean- Luc Falbriard, les auditions pour les danseuses et les danseurs. « Elles m’ont ravie, je suis super contente du résultat. Mais j’ai déjà convenu avec Jean-Luc que je serai également aux répétitions des acteurs et aux répétitions des chants et des musiciens. Sans la perception du global, mon travail n’a pas de sens : je ne peux pas prendre un morceau de musique et imaginer une danse. C’est là que se situe le succès des comédies musicales anglosaxonnes : la danse fait partie intégrante du scénario. Je vais être complètement associée à la partie mise en scène que Jean-Luc va assurer… »
Ça promet…