Libre opinion : élections et manifestations
– Article paru dans Or Norme N°42, Cultures –
Chaque trimestre, la rubrique Libre opinion reflète la vie publique de notre ville et de notre région. Ni partisane ni flagorneuse, elle se veut le reflet de l’actualité politique et citoyenne.
Le second tour des régionales a confirmé les tendances du premier tour : tout d’abord, un résultat catastrophique quant à la mobilisation des électeurs… Notamment dans le Grand Est, où 7 électeurs sur 10 ne se sont pas déplacés. Pourquoi donc un tel désintérêt ?
Que vont changer les élections régionales ?
Certes, les habitants cernent très mal le rôle des Régions ; institution encore toute récente dans le paysage français, fondé sur les communes, les départements et l’État, les compétences de la Région demeurent limitées. D’ailleurs, le débat régional a porté sur des compétences qui n’étaient pas celles de la Région. En rester aux questions des transports ferroviaires intra régionaux, de la formation professionnelle et de la construction des lycées n’était sans doute pas de nature à marquer des différences significatives entre les candidats… qui ont préféré parler sécurité ou environnement.
Les résultats du Grand Est s’inscrivent dans le paysage national ; tous les présidents sortants ont été réélus, quel que soit leur parti, et Jean Rottner a ainsi été réélu comme tous ses confrères. Avec certes le score le plus faible de tous les présidents appartenant aux Républicains (40%), mais largement supérieur à ses concurrents du RN (26%), de l’écologie et de la gauche (20%), et d’En Marche (13%).
Quel enseignement en tirer pour l’Alsace ?
Plusieurs listes s’étaient prononcées pour la sortie de l’Alsace du Grand Est ; au vu des résultats, ce sujet est-il encore vraiment d’actualité ? On peut se le demander. Même en Alsace, où les observateurs attendaient un résultat médiocre de Jean Rottner, dont le revirement à 180° sur la grande région apparaissait difficilement pardonnable, le président sortant a fait mieux que la liste conduite par Brigitte Klinkert, qui s’était engagée elle à un referendum sur l’avenir de la grande région. En réalité, les habitants n’ont pas mesuré de changements dans leur vie quotidienne, qui pourraient être liés à la création des grandes régions. Compte tenu des compétences réelles des régions, ce n’est pas étonnant en effet. Même si la taille des nouvelles régions demeure une absurdité, fondée sur une chimère qui voudrait que plus on est grand, plus on est fort, la réalité du rôle des régions administratives fait que ce n’est plus vraiment un sujet. Et que le réflexe légitimiste a partout joué en faveur des sortants.
Abstention et mobilisation contre les pouvoirs publics : une contradiction ?
Le niveau d’abstention incroyablement élevé aux régionales laisse penser qu’il ne s’agit plus d’une attitude conjoncturelle, mais vraisemblablement d’une attitude structurelle. Les municipales de 2020 avaient connu un niveau d’abstention quasiment aussi élevé, mais cela a d’abord été interprété comme un impact de la crise du COVID et de la simultanéité entre élections et début du confinement. Et ce, même si les Européennes de 2019 avaient, elles, battu un record de mobilisation. Faut-il voir une contradiction entre ce désamour pour les élections, et plus globalement pour le monde politique local et les élus, et la mobilisation visible contre les pouvoirs publics, à l’occasion de la vaccination et du pass sanitaire en ce moment, et plus généralement, contre toute consigne de la puissance publique ? À notre connaissance, il n’y a pas eu d’analyse sur le vote ou le non vote des personnes qui se retrouvent chaque samedi dans les rues à manifester contre… tout.
Mais il nous semble peu vraisemblable que ces manifestants fassent partie des votants. Ils sont plutôt à chercher parmi les déçus de la démocratie.
Le carpe et le lapin, unis contre les pouvoirs publics
Qu’y a-t-il en commun entre ceux qui manifestent contre la vaccination et/ou le pass sanitaire, et ceux qui ont manifesté contre les 80 km/h et la hausse du prix du gasoil, qui sont les mesures à l’origine du mouvement des gilets jaunes ? Sans doute peu de choses sur le plan idéologique, mais une chose les rassemble : la contestation de la décision publique, et la défiance à l’égard des gouvernants, qu’ils soient locaux ou nationaux. Pourquoi le doute s’est-il instillé ainsi dans un grand nombre d’esprits, face à la décision publique ?
La culture française, et c’est sans doute une qualité, repose largement sur l’esprit critique. L’enseignement universitaire français est lui-même fondé sur l’apprentissage de cet esprit critique. Mais lorsque l’expression de cet esprit critique passe par l’affichage de certitudes le plus souvent infondées, relayées aujourd’hui par les réseaux sociaux, comment réintroduire de la rationalité dans les débats ?
Il est stupéfiant de voir dans les rues des manifestants demander, au titre de leur liberté, le droit de ne pas se faire vacciner, ou pire, le droit de pouvoir déambuler librement en pleine pandémie, sans rendre aucun compte à qui que ce soit. Cela revient donc à revendiquer le droit de contaminer librement autrui ! Et quelques politiques, très minoritaires toutefois, il faut le dire, se sont engouffrés dans cette thématique, espérant en tirer quelques voix dans de prochains scrutins. Vient naturellement à l’esprit la citation de John Stuart Mill « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres… » Mais dans le cas d’espèce, je lui préfère celle de Victor Hugo : « La liberté commence où l’ignorance finit ». Car le complotisme, comme les arguments défendus, repose d’abord sur l’ignorance. La nouveauté, c’est que l’ignorance bénéficie aujourd’hui d’une formidable caisse de résonnance avec les réseaux sociaux… et qu’elle croise quelques cyniques qui tentent d’en profiter.
Et à Strasbourg, quoi de neuf ?
Si Strasbourg n’échappe pas au mouvement de contestation, la ville a trouvé un rythme particulièrement tranquille. Les touristes ne sont plus là, les hôtels sont restés largement vides, et depuis le sursaut de l’Industrie magnifique, nos rues paraissent bien vides. À défaut de visiteurs, nous croisons en revanche une mendicité d’un niveau jusque là inconnu. Il est vrai qu’à force de dire que la ville est désormais accueillante pour ces personnes… les réseaux se sont organisés.
Au moment où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas si Strasbourg va sortir de sa torpeur à la rentrée, ou si d’autres sujets seront relancés, sur lesquels des polémiques viendront à nouveau entacher l’image de la ville. Mais le pire n’est-il pas l’endormissement ? Sans doute serait-ce le pire chemin…
« Pourquoi le doute s’est-il instillé ainsi dans un grand nombre d’esprits, face à la décision publique ? »