Limiter la récidive : Quel suivi pour les auteurs de violences ?

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Violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles : en parallèle de l’indispensable prise en charge des victimes, l’accompagnement des auteurs est l’un des leviers actionnés dans l’espoir de limiter la récidive. Comment s’organise cette prise en charge ? Avec quel impact ? Deux structures strasbourgeoises, l’Arsea et le Cravs, font le point sur ce qu’elles proposent.

J’ai été condamné parce que j’ai eu un geste violent envers ma femme. Je l’ai frappée, et elle a porté plainte », raconte sans se dérober celui que nous appellerons M. X, afin de préserver son anonymat. Condamné à suivre un stage de responsabilisation, il a été orienté vers le Centre de prise en charge des auteurs de violence conjugale (CPCA) de Strasbourg. Les CPCA ont été créés suite au Grenelle des violences conjugales de septembre 2019. Il en existe 30 aujourd’hui, répartis sur le territoire national.
Localement, c’est l’Arsea (Association régionale spécialisée d’action sociale, d’éducation et d’animation) qui anime le CPCA. « Nous avons été identifiés comme un acteur important de l’accompagnement des auteurs de violences conjugales et intrafamiliales », explique Claire Rossini, cheffe du service Accompagnement sociojudiciaire. Depuis une vingtaine d’années, l’Arsea déploie différents dispositifs, dont des médiations scolaires, des contrôles judiciaires socio-éducatifs, des stages de citoyenneté ou encore des places d’hébergement pour éloigner les auteurs de leur domicile.

Tout un travail à faire

Au titre du CPCA, ce sont notamment des stages de responsabilisation, qui peuvent être décidés par le juge, qui sont proposés sous forme de deux entretiens individuels et de six séances en groupe. « Nous accueillons également des personnes volontaires, qui n’ont pas été condamnées, mais qui veulent engager une démarche pour éviter de passer à l’acte », détaille Héloïse Lepelletier, travailleur social. Le CPCA propose aussi des suivis individuels dans le cadre d’obligations de soin, ainsi que différents accompagnements complémentaires, non obligatoires. « Nos stages sont étalés dans le temps pour laisser la réflexion mûrir, et l’on observe bien un changement entre le début et la fin chez la plupart des personnes suivies,  ajoute Héloïse Lepelletier. Notre objectif est de provoquer une prise de conscience. » Charge aux auteurs (des hommes, dans la grande majorité des cas), de poursuivre ensuite une démarche thérapeutique, au sein de l’Arsea ou ailleurs. C’est précisément ce qui s’est passé pour M. X. « Pendant le stage, les intervenants nous ont donné des informations sur différents sujets, comme le cycle de la violence ou les dynamiques relationnelles. Maintenant, j’ai tout un travail sur moi à faire pour comprendre comment j’ai pu en arriver à commettre ce geste, d’où vient cette violence… » Il a engagé une thérapie avec un psychologue libéral, sans lien avec l’Arsea, depuis plusieurs mois. « J’y pense tous les jours », souffle-t-il encore.

S’adapter à chaque cas

S’attaquer aux mécanismes qui provoquent le passage à l’acte : c’est aussi ce qui anime depuis douze ans l’action menée par le Centre de ressources pour les auteurs de violence sexuelle (Cravs). « Nous sommes l’un des deux seuls centres de France à assurer directement le suivi des auteurs, que ce soit dans le cadre d’une obligation de soins ou d’une démarche spontanée, détaille Dr Jean-Georges Rohmer, le responsable du Cravs Alsace. Dans les autres régions, les missions sont dirigées uniquement vers les autres professionnels qui les accompagnent. Ici, nous intervenons sur les deux tableaux. » La prise en charge individuelle est toujours précédée par un bilan psychologique et psychiatrique, afin de s’adapter à chaque cas. « On ne propose pas la même chose à un multirécidiviste de viols qu’à un exhibitionniste. De même, les soins ne sont pas les mêmes selon que le sujet présente des troubles dépressifs ou schizophréniques », résume le psychiatre. Des thérapies médicamenteuses peuvent être prescrites, en association avec un suivi psychologique, sous forme de consultations individuelles ou en groupe. Lorsque l’obligation de soins prend fin, la prise en charge peut malgré tout se prolonger. « Parfois, cela fait des années que le travail est engagé, et un lien transférentiel s’est tissé avec le thérapeute et la structure », détaille Nolwenn Scholler, psychologue clinicienne du Cravs. Certains choisissent de poursuivre leur thérapie ailleurs, et d’autres encore l’interrompent totalement lorsque plus aucune mesure ne les y contraint.

Des mois, voire des années

Les deux professionnels insistent également sur l’importance du temps long, et regardent d’ailleurs d’un oeil dubitatif les stages de responsabilisation répartis sur quelques séances seulement. « Il faut compter des mois, voire des années, pour que la prise en charge des troubles sous-jacents fonctionne, souligne Dr Rohmer. C’est une temporalité qui est parfois compliquée à faire entendre, et notamment à ceux qui nous demandent des comptes, mais elle est absolument nécessaire. » L’une des raisons évoquées est l’adhésion aux soins, qui se heurte souvent au déni des auteurs de violence. Leur prise en charge psychologique démarre alors par un travail sur ce mécanisme de défense, afin de faire émerger une prise de conscience plus personnelle.
Qu’il s’agisse de prendre en charge les auteurs de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ces dispositifs ont pu faire grincer quelques dents. « Certaines associations estiment que le budget alloué devrait bénéficier aux victimes, et non aux auteurs », rapporte Claire Rossini, de l’Arsea. Cette prise de position tend à s’estomper, que ce soit dans les milieux militants ou au sein du grand public. « Quand les gens vont mieux, le risque de récidive diminue. C’est prouvé scientifiquement par les initiatives mises en place dans plusieurs pays depuis trente ans », lâche Dr Rohmer. S’occuper des auteurs de violence, c’est donc aussi protéger leurs victimes.

CONTACTS
Cravs Alsace à Strasbourg : 03.88.11.62.16
CPCA Strasbourg : 03.88.22.71.60