« L’objectif de la commission du droit local est d’éclairer le Gouvernement et le Parlement. »

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Josiane Chevalier, préfète de la région Grand Est, préside la commission du droit local d’Alsace-Moselle. Après une longue période d’inactivité, cette commission, sous son impulsion, se réunit depuis février 2024. La composition de cette commission a suscité des polémiques, mais c’était sans compter sur l’engagement d’une convertie passionnée par le droit local qui considère « qu’il n’y a pas de monopole » pour défendre le droit local d’Alsace-Moselle.

Quel est l’objectif de la commission du droit local d’Alsace-Moselle ?

Josiane Chevalier : L’objectif de la commission du droit local est d’éclairer le Gouvernement et le Parlement, qui sont amenés à voter les lois, de l’incidence de leurs projets dans la situation juridique spécifique que constitue le droit d’Alsace-Moselle. Comme vous le savez, le droit local d’Alsace-Moselle est régi par un droit distinct du droit général.
En fait, les avis de cette commission sont de deux ordres : concernant un projet de loi, une ordonnance ou un décret qui modifierait ou supprimerait des dispositions du droit local ; concernant toutes questions relatives à l’application du droit spécifiquement applicable dans les trois départements d’Alsace-Moselle.
Cette commission doit, chaque année, produire un rapport d’activité pour dire sur quels thèmes elle a travaillé.

Qui peut saisir cette instance ?

Tout d’abord, le Premier ministre bien sûr et son Gouvernement peuvent saisir la commission sur un projet de loi, d’ordonnance ou un décret.
Également, les trois préfets du Haut- Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle peuvent saisir cette commission. Dans ce cas, il s’agira plutôt de vérifier l’application du droit local sur tel ou tel domaine. Cela peut être notamment sur le pouvoir de substitution du préfet. Il y a des différences entre l’Alsace-Moselle et le reste du territoire. Je vais prendre des exemples pour illustrer. Pour les établissements recevant du public, le préfet ne peut pas se substituer au maire. Pour l’évacuation de camps de migrants, ce sont les élus qui doivent saisir le tribunal administratif et non le préfet.
En étant saisi en amont, nous pourrons ainsi faire remonter au Gouvernement les spécificités du droit local alsacien-mosellan, afin que dans la rédaction et l’application des lois et décrets il n’y ait plus de difficultés comme nous avons pu le connaître.

L’objectif est donc d’éviter juridiquement des trous dans la raquette du droit local ?

Exactement ! Cette commission a surtout un rôle d’expertise juridique. C’est pour cette raison qu’elle est composée d’éminents juristes : le procureur général près la cour d’appel, le président du tribunal administratif, les directeurs de l’administration centrale… Ce rôle d’expertise juridique est primordial. J’ai eu l’occasion de le rappeler plusieurs fois, cette commission n’est pas un parlement du droit local. Ce n’est pas un endroit où l’on parle de sujets identitaires. C’est un lieu d’expertise sur le droit local.

Depuis un décret du 7 décembre 2021, la commission du droit local est rattachée au Premier ministre, pourquoi a-t-il fallu attendre 2024 pour qu’elle se réunisse enfin ?

Il s’est posé le sujet des désignations dans la commission puisque le décret du 7 décembre 2021 avait fixé les catégories de représentants. Il faut bien reconnaître que cela a été un sujet délicat notamment pour les représentants des notaires et des avocats. Et pour les avocats, nous n’avons toujours pas abouti, car le représentant des avocats doit être désigné conjointement par les ordres des avocats du barreau de Strasbourg, Saverne, Colmar, Mulhouse, Metz et Thionville. En revanche dès que l’arrêté ministériel a été pris, j’ai pu réunir la commission. L’arrêté a été signé le 1er février 2024 et j’ai réuni la commission dès le 29 février 2024 : nous n’avons pas perdu de temps. Fin avril, une nouvelle réunion a été programmée puisque nous avons été saisis par le ministère de la Justice sur le livre foncier.

Vous êtes originaire de l’Isère, vous vous sentez concernée par le droit local alsacien-mosellan ?

Je vous le dis très sincèrement, cette question du droit local d’Alsace-Moselle est un sujet qui me passionne. Dans la chronologie de la constitution de cette commission du droit local, j’avais été chargée par le garde des Sceaux de consulter les anciens membres de la précédente commission pour savoir comment ils envisageaient l’avenir. J’avais remis, en temps et en heure, un rapport qui a permis la publication du décret. J’ai particulièrement porté ce dossier au plus haut niveau. Je tenais à installer cette commission du droit local d’Alsace-Moselle. Mes collaborateurs sont eux aussi extrêmement intéressés et passionnés par le droit local alsacien-mosellan. Je dispose en préfecture d’un pôle juridique vraiment compétent. Ces fonctionnaires connaissent parfaitement le droit local.

Au plus haut niveau ? Cela veut dire avec le Président de la République ou avec le secrétaire général de l’Élysée… qui est alsacien ?

J’ai eu des échanges avec le secrétaire général de l’Élysée (Alexis Kohler né à Strasbourg – ndlr). Il est évidemment très sensible au sujet du droit local alsacien-mosellan. Pour nous c’est un relais extrêmement précieux. Il comprend de quoi il s’agit et l’importance qu’il revêt pour les populations des trois départements.

Concernant la composition de la commission du droit local, de sévères critiques ont été émises par des parlementaires.

Des sénateurs ! Contrairement à ce qui a pu être affirmé, le gouvernement a veillé dans sa composition à un bon équilibre entre les élus, la société civile et les juristes.
J’ai reçu une lettre collective de sénateurs, du président de la Collectivité européenne d’Alsace et d’un député qui critiquaient la composition de la commission du droit local. Ils me reprochaient de ne pas y avoir associé des parlementaires alsaciens et mosellans. Cette lettre émanait du président de l’Institut du Droit Local et du président du conseil représentatif du droit local – qui est une structure qui n’a aucune existence juridique puisqu’elle n’est même pas formée sous forme d’association.
Le texte est très étonnant pour des personnes qui pensent être d’éminents juristes et parlementaires puisqu’ils oublient qu’une loi organique sur « la confiance dans la vie publique » votée en septembre 2017, indique que les parlementaires ne peuvent pas être membres d’une commission sauf si une loi le prévoit.
J’ai discuté avec plusieurs d’entre eux. J’ai également écrit un courrier à tous les parlementaires qui m’avaient interpellée pour leur rappeler le droit. Ils ont reconnu qu’ils ignoraient ce texte ou ne s’en souvenaient pas. Donc, fin de la polémique.
Et puis pour rassurer les parlementaires – c’est dans le règlement intérieur – ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas officiellement membres de la commission que je ne vais pas les inviter sur des sujets qui les concernent. D’ailleurs ils ont été invités en avril dernier.

©Nicolas Rosès

Qui vous a confié la présidence de la commission du droit local ?

La présidence de la commission du droit local m’a été confiée par le Premier ministre. C’est conforme à la Constitution : le préfet est le représentant de tous les ministres et bien sûr du Premier ministre sur son territoire. C’est l’article 72 de la Constitution. Donc juridiquement, le préfet est légitime pour présider cette commission. Dans un département, la seule personne habilitée à dire le droit c’est le préfet.
Après si on n’est pas d’accord avec ses décisions – et chacun en a le droit –, le juge de paix qui tranche, c’est le tribunal administratif ou le juge judiciaire selon le cas.

La commission est composée notamment de personnalités du Grand Est ou de Paris. Pour défendre le droit local, cela ne semble pas très logique ?

Vraiment, je souhaite que l’on arrête de faire de cette commission et de ses intentions un marqueur identitaire. Il n’est pas question dans cette commission de parler de l’avenir administratif de l’Alsace vis-à-vis du Grand Est. L’Alsace- Moselle a une histoire extrêmement lourde, extrêmement douloureuse. Personne ne le remet en cause ni en question. Personne ne veut gommer cette histoire.
La commission du droit local est un outil juridique. Je veux qu’on arrête ces procès d’intention qui provoquent des tensions. C’est très désagréable et extrêmement injuste pour le travail et l’investissement que mes services et moi-même y mettons ainsi que pour ses membres « qui ne seraient pas suffisamment alsaciens-mosellans pour comprendre ». Je voudrais tellement me montrer rassurante. Il n’y a aucune raison de craindre pour l’avenir du droit local.

Mais la crainte pour les défenseurs du droit local alsacien-mosellan c’est qu’une décision du Conseil constitutionnel prévoit que le droit local…

(vigoureusement)…Ne puisse pas s’écarter du droit général ! Mais la réalité c’est qu’aujourd’hui le droit général aussi puise dans le droit local. Je vais prendre un exemple : celui de la faillite personnelle. C’est le droit général qui s’aligne sur le droit local. Le régime d’assurance-maladie aussi, qui en plus est extrêmement bien géré en Alsace- Moselle. Pourquoi voulez-vous que l’État change quelque chose qui fonctionne bien ?
Non, ne faisons pas un mauvais procès à cette commission. Si le gouvernement avait voulu oublier le droit local, il n’aurait pas recréé cette commission. Bien au contraire, la volonté du gouvernement est de préserver le droit local alsacien-mosellan, de défendre cette spécificité.

Donc le procès de dire que l’objet de cette commission est de viser à la suppression à terme du droit local alsacien-mosellan…

(vigoureusement) Cette affirmation est fausse ! L’État aurait pu supprimer purement et simplement la commission sans jamais la reconstituer si son désir était celui-là. Le droit local fait consensus. Il a beaucoup de spécificités et de richesses. Nous voulons le défendre et le préserver !
Cette commission a d’ailleurs été placée auprès du Premier ministre. Auparavant elle dépendait du ministère de la Justice. C’est une évolution extrêmement positive, car le droit local touche à tous les domaines. C’est donc une garantie et une reconnaissance de son champ au niveau de toutes les politiques publiques.

Le droit local est un droit national d’application territoriale, est-ce que cela change quelque chose ?

Le droit local dans sa définition même ne s’applique évidemment qu’à trois départements, mais il n’échappe pas aux dispositions de nature législative et aux dispositions réglementaires. L’Alsace-Moselle est en France, c’est le droit français qui s’applique. Mais effectivement ce droit national précise qu’il existe néanmoins des exceptions territoriales. Certains règlements peuvent être adoptés par les autorités locales. Par exemple pour l’Alsace-Moselle, c’est le cas des statuts en matière de repos dominical : c’est le niveau local qui le gère et qui l’applique.

Que pensez-vous de l’initiative de l’Université de Strasbourg d’avoir mis en place un diplôme d’université du droit local pour former notamment des juristes ?

C’est une très bonne chose. Mais je vais suggérer au président de l’Université que nous puissions également intervenir dans ce cadre universitaire. Parce qu’il y a la théorie, mais aussi la pratique. Sur la partie intellectuelle du D.U., je n’ai pas de remarque. Mais je souligne la plus-value que pourraient apporter les praticiens du droit local que sont les préfets et leurs équipes.
Je ne voudrais pas qu’on oublie également les élus, et notamment les maires, qui sont aussi des praticiens du droit local alsacien- mosellan. Ce sont les premiers utilisateurs du droit local. Ils ont beaucoup plus de responsabilités dans nos trois départements qu’ailleurs, notamment dans les établissements recevant du public. D’ailleurs cela pourrait constituer une intéressante thématique du D.U. de droit local : la responsabilité des maires en Alsace-Moselle…

Vous faites allusion par exemple, au droit au secours des indigents qui revêt un caractère obligatoire dans le droit local. C’est la commune qui doit venir en aide aux personnes défavorisées « en engageant si nécessaire des dépenses » afin de leur assurer « un minimum vital ». Ces aides sont conçues pour gérer des situations d’urgence.

Les indigents oui. L’actualité devrait nous amener à en reparler prochainement, notamment dans de grandes communes de nos territoires. Les indigents sont de la responsabilité des maires en droit local. Qu’on ne l’oublie pas !

Le Président de la République a prévu une grande loi sur la décentralisation est-ce que cela aura un impact sur l’avenir du droit local ?

Je pense que ce n’est pas le même sujet. La « différenciation territoriale » touche davantage l’organisation des collectivités. Ce sont des questions qui vont se poser à ce moment-là. Mais cela n’aura aucun impact sur le droit local.

Le droit local a 100 ans. Qui est le mieux placé pour le défendre ?

La défense du droit local alsacien- mosellan n’a pas de monopole. Je ne conteste pas les organisations qui se prévalent de le défendre. Mais chacun doit rester dans ses compétences : la formation (l’Université), l’histoire (l’Institut du droit local), l’expertise juridique (l’État). Dans tous les cas, contrairement à la commission du droit local alsacien-mosellan que je préside, aucune de ces organisations ne joue un rôle régalien.

Josiane Chevalier
©Nicolas Rosès