« L’œuvre, c’est le son » Gaëtan Gromer, directeur artistique des ensembles 2.2
Compositeur de musique contemporaine, Gaëtan Gromer est un touche-à-tout inspiré qui aime travailler avec des artistes d’horizons différents. Une démarche qui l’a mené à cofonder le collectif Les Ensembles 2.2, projet pluridisciplinaire qui fait dialoguer arts sonores et nouvelles technologies et qui créé des interactions libres entre le son et les espaces, le temps, les mouvements et les formes. Interview.
Quel est le projet artistique des Ensembles 2.2 et pourquoi ce nom ?
« Tout a commencé en 2009. Avec Antoine Spindler le cofondateur, nous cherchions alors à faire de la musique pour ou avec d’autres artistes. À cela s’est ajoutée l’installation sonore, ainsi que le croisement avec les technologies électro-acoustiques ; pour nous l’œuvre, c’est le son. Plus récemment, nous nous sommes intéressés au smartphone et aux possibilités qu’il offre, notamment dans l’espace public, via la littérature interactive. En ce qui concerne le nom, nous cherchions quelque chose qui allait symboliser le fait d’être au croisement de plein de choses, d’où la théorie des ensembles mathématiques. Le 2.2 c’est pour signifier la technologie, et nous étions 2 à créer ce projet. Ce qui est important, c’est cette idée d’intersection et la notion de pluralité : nous ne sommes pas un ensemble, mais des ensembles.
Vous dites que « les questions qui animent les Ensembles 2.2 résident dans la dichotomie entre solutions potentielles et dérives possibles ». Comment s’organise le processus créatif du collectif ? Peut-on parler de subversion ?
Il y a souvent un propos politique fort, parfois subversif mais pas toujours. En fait, il peut y avoir beaucoup de niveaux de lecture. Dans une œuvre récente, sur les conflits en cours actuellement dans le monde, je mets en scène des chiffres, des choses très neutres, mais qui en fait ne le sont pas. L’installation sonore correspond à un conflit, il y a des civils et des militaires qui meurent, chaque note correspond à une catégorie de personnes, il y a des notes aigües et graves, et en écoutant les sons, on saisit très intuitivement le fait que les civils meurent en plus grand nombre ; tout est dit, c’est à la fois simple et complexe. Il peut y avoir aussi un propos écologiste dans ce que je fais. Par exemple avec Scintillements je cherche à démontrer l’ampleur hallucinante de la catastrophe qu’est le réchauffement climatique. Parce qu’on nous dit que ça fond, que tant et tant de mètres cubes de glace disparaissent à telle ou telle fréquence mais c’est là-bas, très loin, on s’en fout un peu… Dans l’installation Scintillements, il y a une lumière qui s’allume à chaque fois que l’équivalent en glace du volume de la pièce dans laquelle vous êtes a disparu définitivement des glaciers de la planète. C’est une manière de redonner corps à des chiffres. L’installation comprend également une dimension sonore avec des sons de glaciers qui fondent et craquent… Là on vit la catastrophe, on la ressent.
Pourriez-vous nous parler du dispositif GOH ? En quoi est-il justement représentatif de l’approche des Ensembles 2.2 ?
C’est une application pour smartphone qui permet de créer des contenus sonores, géolocalisés en extérieur, dans l’espace public, disponibles pour tout le monde, 24h/24, 7j/7. C’est très vite devenu un outil de croisement avec la littérature, la poésie. J’ai directement pensé au Livre dont vous êtes le héros. Je trouve ça cool d’impliquer le lecteur. Là, c’est la même chose, mais au niveau audio. Vous avez une voix qui vous raconte quelque chose, par exemple qu’il y a un couple devant vous, que l’on arrive à une intersection, qu’ils se séparent… et là on peut décider de suivre l’un ou l’autre. Ça ouvre un tas de possibilités car l’environnement géographique va influencer la perception que l’on a de l’histoire. Politiquement ça nous permet une sortie du temple culturel qu’est le musée, et qui parfois peut constituer un frein, certaines personnes n’osant pas aller dans ce type d’endroits parce qu’elles ne s’y sentent pas à l’aise ou ne maîtrisent pas les codes… Avec ce dispositif on peut vivre une expérience artistique très simplement, dans la rue, seul ou avec des amis.
Quelle est l’actualité des Ensembles 2.2 ?
Il y a trois gros projets à venir pour nous. Tout d’abord, L’Industrie magnifique, qui aura lieu en juin 2021 et où l’on va présenter une œuvre monumentale sous la forme d’une sculpture d’animal… Puis il y a le projet Starlette, une œuvre évolutive. Sur une des façades du bâtiment, nous allons afficher une photo d’un glacier qui sera quadrillée. Derrière chaque panneau on aura un monochrome et chaque panneau sera branché sur une donnée relative à la consommation en énergie des habitants du bâtiment. Les panneaux afficheront soit l’image du glacier, soit le monochrome. Le principe est donc que l’œuvre reste jolie quand on est vertueux, mais qu’elle se retourne quand on dépasse les seuils de consommation acceptables. Avec notre comportement on vient littéralement cribler la représentation d’un environnement sain. Le dernier projet enfin, concerne la ville frontalière d’Esch-sur-Alzette au Luxembourg, capitale européenne de la culture en 2022. Le projet consiste, là encore, à concevoir des livres audio sur le principe du Livre dont vous êtes le héros. On va créer six épisodes écrits par des binômes, un ou une auteur(e), avec un ou une musicien(ne). Pour l’ambiance sonore, nous allons travailler avec des sons pris en direct dans la région. Les auteurs doivent ensuite prendre en compte le terrain, le décor réel et impliquer l’utilisateur qui devra faire des choix. L’univers se situera sûrement dans la science-fiction, dans un futur lointain, quelque chose comme une frontière inter-espèces. L’idée, c’est de créer une œuvre d’art, mais surtout que les gens du coin y participent. Nous voulons faire ressentir un vrai ancrage dans le territoire.