Nos montagnes, là-bas, si loin : le regard confiné d’un amoureux des grands espaces
Je suis un amoureux des grands espaces. J’ai grandi au-dessus de Lapoutroie, un petit village de montagne blotti entre les prés et les forêts des Vosges où poussent des arbres fruitiers exceptionnels et une certaine idée de la liberté. En juin à Lapoutroie, il n’y aura pas de second tour des élections municipales parce que ses habitants ont élu au premier tour leur nouveau maire sur un programme résolument écologiste et social. Je les reconnais bien là, fidèles à leur poste de veilleurs de la nature…
Je suis ce qu’on peut appeler un enfant du pays, élevé à l’amour des paysages. J’aime tellement les Vosges que j’anime depuis un an un blog qui partage des idées de randos dans le massif et qui s’appelle Vosges qui peut !. En temps normal, je passe plusieurs jours et nuits par mois en pleine nature pour parcourir des itinéraires qui me font me sentir chez moi et en découvrir de nouveaux pour les partager.
Cela fait maintenant plus de 45 jours que nous sommes tous confinés. Deux mois et demi passés à l’intérieur. Parfois, l’odeur de la floraison, un marqueur olfactif habituel du printemps, survient sans crier gare dans mes sinus. La construction de mon imagination. Six semaines que, quand je vois une photo sur Instagram d’une rivière des Vosges, je sens l’eau vive et froide appuyer contre mes doigts et ma langue se gonfler à l’idée de boire cette eau fraîche. En esprit seulement.
Je ne suis pas à plaindre, loin de là. Je suis même un privilégié : je vis dans un appartement à l’écart du centre-ville de Strasbourg et au dernier étage d’un immeuble avec vue sur le Mont Sainte-Odile depuis sa terrasse indécemment grande.
Qu’on se le dise : je suis un privilégié de la pire espèce.
Seulement, quand je sors applaudir sur mon balcon à 20h, après m’être tourné vers l’hôpital de Hautepierre, juste là derrière, je me tourne instinctivement vers le plateau du Hohenbourg qu’on aperçoit se dresser à l’horizon.
Quel avenir économique pour la montagne ?
Si je garde un œil sur mon village natal, l’autre œil regarde l’économie de nos montagnes.
Sans détour, la situation est très mal engagée. Pour la vallée de Kaysersberg, elle est simplement catastrophique. Le manque de neige de cette saison avait déjà mis à mal les fonds de certains acteurs mais la perspective d’un déconfinement plus tardif dans le Haut-Rhin fait s’éloigner encore un peu plus la perspective de meilleurs lendemains… “Notre crainte, c’est que les marchés de Noël ne soient pas autorisés cette année” avoue Christophe Bergamini, directeur de l’Office de Tourisme de la vallée de Kaysersberg. “Je ne suis pas en train de dire qu’il faut absolument les maintenir, mais s’ils sont annulés, l’impact économique sera catastrophique. Les structures qui ont pu profiter des mesures du gouvernement pourront peut être se relever, mais seulement avec la perspective de Noël” indique-t-il avant de conclure : “j’ai peur qu’on laisse beaucoup de gens sur le carreau”.
Pour Pascal Garny, accompagnateur en montagne dans le secteur de Thann, l’avenir est encore très incertain. La dernière sortie qu’il a encadrée remonte au 6 mars, au Ballon d’Alsace avec des scolaires. Le soir, on leur a indiqué que ce n’était pas la peine de revenir la semaine prochaine, les écoles allaient fermer quelques jours plus tard. Ensuite, “tous les devis ont été annulés et ceux en discussion n’ont pas abouti” raconte l’accompagnateur.
Mais pour les deux professionnels, cette situation exceptionnelle les conforte dans leur vision du tourisme de pleine nature. “Dans notre vallée, la randonnée est mise à l’honneur depuis des années” rappelle Christophe Bergamini. “Aujourd’hui, on adapte sa pratique aux usages. Nous avons mis en place les sentiers poussettes par exemple, des itinéraires pour que les familles puissent se balader sereinement”. Dès 2014, le pari a aussi été pris sur le vélo électrique et le VTT à assistance électrique : “en été, le Bike Park du Lac Blanc est le poumon vert des villes alsaciennes, et cet état va encore se renforcer à présent”.
Pour Pascal Garny, “beaucoup de gens qui vont marcher 1h autour de chez eux aujourd’hui redécouvrent leur environnement et cela va certainement créer des envies !”. Le professionnel de la montagne espère que ceux qui ont eu besoin d’oxygène après être restés devant leurs écrans plusieurs jours se souviendront de la chance qu’ils auront de pouvoir sortir.
Reste un mot d’ordre : l’adaptabilité du secteur. Un exemple avec la navette des crêtes – un service de bus qui permet de rallier les crêtes depuis les villes d’Alsace et des Vosges -, Christophe Bergamini voit mal “comment dire aux touristes de monter dans un bus, un nid à microbes autrement dit, pour aller respirer le grand air… Ça n’a pas de sens. Il faut se réinventer et s’adapter”.
Quel “monde d’après” pouvons-nous espérer ?
Pour ma part, je ne porte pas un regard particulièrement optimiste sur le futur. Cette pandémie, ce confinement et ce crash économique exacerbent notre “monde d’avant”.
S’il suffit de 45 jours à l’arrêt pour que les eaux de la lagune de Venise redeviennent transparentes, qu’attendons nous pour ralentir ? Mais Amazon ne s’est arrêté de tourner que sous la menace d’un million d’euros d’amende par jour…
Nous sortons d’un hiver trop chaud et pluvieux et déjà en avril les météorologues alsaciens s’inquiètent de sécheresses précoces après plus de 30 jours consécutifs sans pluie sur le massif vosgien ! Selon Météo des Vallées, “seul le mois de mai, pourra sauver la situation hydrique d’ici l’été”. L’été s’annonce mal.
Si l’on regarde du côté des comportements individuels ensuite, rien ne me porte à espérer un avenir meilleur. Chacun d’entre nous a pu voir des comportements incompréhensibles et égoïstes pendant ce confinement. J’ai retrouvé leurs reflets sur la page Facebook du Peloton de Gendarmerie de Montagne de Hohrod dans la vallée de Munster par exemple, où certains amoureux de la nature ne comprennent pas où est le mal de sortir faire une balade à 1300m en plein confinement. J’avais déjà soulevé cette attitude vis-à-vis de la montagne dans un article, “La montagne est à tout le monde, mais surtout à moi” où je relevais une attitude auto-centrée vis-à-vis de la nature qui pousse les pratiquants à se considérer comme les premiers bénéficiaires de ses bienfaits, quelle que soit la situation.
J’ai donc bien peur que ces jours passés chez nous ne fassent que renforcer et accélérer cet état des choses dans notre “monde d’après”.
Pourtant, je continuerai à marteler le même message que je partage entre ces lignes et sur mon blog : il est urgent de ralentir. Il est devenu vital de favoriser le sauvage. Il est essentiel de se partager équitablement une nature que l’on respecte mieux.