OR NORME A DIX ANS I EDITO
« Tout organisme pour s’adapter doit innover, tenter une aventure hors de la norme, engendrer de l’anormalité afin de voir si ça marche, car vivre, c’est prendre un risque. »
L’ensorcellement du monde – Boris Cyrulnik, psychanalyste, écrivain
Vertige… Au moment d’écrire cet éditorial pour le numéro 40 d’Or Norme , c’est sans aucun doute le ressenti qui, comme beaucoup d’entre nous, caractérise, plus que d’autres, ce que m’inspire la situation que nous traversons actuellement. Bruno Latour, (sociologue, anthropologue et philosophe) dans son dernier ouvrage intitulé fort à propos Où suis-je ?, écrit : « … derrière la question politique – “Que faire ? Comment s’en sortir ?”-, est apparue une autre question : “Mais enfin où sommes-nous ?” Grâce au confinement, et même à cet horrible masque qui nous mange la figure et nous étouffe, on en vient à ressentir, derrière la crise politique, l’irruption d’une crise cosmologique. »
Toutes nos certitudes, et souvent nos valeurs, sont remises en cause par les multiples crises que nous traversons et qui touchent l’ensemble de la planète au même moment. Pour chacun d’entre nous, ces bouleversements peuvent, doivent même, prendre également un sens particulier, en nous interrogeant sur le sens de notre vie et donc de la place que nous souhaitons prendre, de la mission que nous voulons nous assigner. C’est un exercice exigeant et ambitieux pour nous tous, alors que les « pensées uniques », d’où qu’elles viennent, véhiculées par les réseaux sociaux jusqu’à l’écoeurement, agissent comme les pires stratagèmes nous empêchant de penser par nous-mêmes.
Le dossier sur le complotisme que nous vous proposons dans ce numéro est un exemple édifiant de ce à quoi nous sommes confrontés : la vérité ne devient qu’une opinion parmi d’autres, et le simple fait d’argumenter face au complot prouve au complotiste que vous en êtes ! En fait le malaise vient souvent du fait que les complotistes comme les anti-complotistes restent dans des postures, figures imposées par les « pensées uniques », et ressassent, chacun de leur côté, les discours qu’on leur sert « prêts à l’emploi » sur les chaînes d’information continue ou sur les différents réseaux sociaux. Notre responsabilité ultime, en tant qu’Homme, cet « animal raisonnable » (Aristote), est justement de raisonner, de penser, et il faut bien reconnaître que cette faculté, cette liberté qui est notre qualité la plus précieuse, semble être de moins en moins partagée… Sans appeler à un nouveau siècle des Lumières, essayons simplement chacun d’entre nous, en toute humilité, de nous poser cette question : quand fais-je l’effort, car c’en est un, de m’offrir le temps et la liberté de penser par moi-même, de prendre ce risque de vivre qu’évoque Boris Cyrulnik ? Très modestement, depuis dix ans, Or Norme essaye de vous proposer des articles et reportages, en tentant cet exercice, et je veux rendre ici hommage à toute l’équipe des contributeurs à ce magazine qui osent cette exigence, et à vous, chers lecteurs, qui osez lire nos articles dont la densité et la longueur sont clairement « hors de la norme » de l’écriture en mode tweet !
Dans ce numéro anniversaire, nous avons voulu également mettre à l’honneur ceux sans qui ce pari d’un magazine gratuit, accessible à tous, serait impossible : nos annonceurs, au premier rang desquels les 36 membres de notre Club des Partenaires, qui nous soutiennent à l’année, et qui méritaient bien que nous leur consacrions un cahier central qui leur est dédié. Malgré la période incertaine que nous traversons, ils sont restés «Or Norme ». Pour ce bel anniversaire, permettez-moi de faire un voeu pour nous tous : Pensons, innovons, prenons des risques… restons tous « Or Norme » !