Start-up : les Licoornes réenchantent le marché
Pour proposer un modèle alternatif de consommation, de gouvernance et de financement, neuf sociétés coopératives se sont unies et développent des projets en commun sous le nom de Licoornes. Un clin d’oeil malicieux aux grosses start-up.
Pour changer le monde, on ne peut compter que sur les licornes. Qui se reconnaît dans ce point de vue fait preuve soit de poésie désabusée, soit de libéralisme économique effréné. Car non, les licornes ne sont pas que des créatures enchanteresses à l’appendice frontal doué de pouvoirs surnaturels. Dans le monde des start-up, ce sont aussi des jeunes entreprises innovantes valorisées plus d’un milliard de dollars avant d’être cotées en Bourse.
Le site web national de la Chambre de commerce et d’industrie précise : « 48 % des licornes dans le monde sont domiciliées aux États-Unis, comme le site de location immobilière Airbnb ou la plateforme d’information et de divertissement en ligne Vice Media. (…) Seulement (…) quatre sont françaises : le réseau de covoiturage BlaBlacar, le site de vente en ligne Vente-Privées.com, la plateforme de streaming audio Deezer et la plateforme de rendez-vous médicaux en ligne et de téléconsultation Doctolib. » Une certaine idée de la magie, donc.
Mais souvent dans les histoires d’ogre, il y a un Petit Poucet qui s’efforce de semer ses cailloux. Dans notre business-conte, ils sont en réalité neuf. Neuf sociétés coopératives d’intérêt général (Scic, lire l’encadré) qui se sont associées en 2021 pour créer les Licoornes, avec deux « O » comme dans « coopérative ». Leur objectif : faire valoir leur modèle alternatif dans le paysage économique français.
STRASBOURG, TERRE DE COOP’
Trois de ces Scic ont leur siège en Alsace : Citiz, Commown et Railcoop. Un hasard ? « Peut-être pas ! Les habitants de Strasbourg et ses environs sont connus pour leur sensibilité sociale et environnementale forte, peut-être en raison de notre proximité avec l’Allemagne où ces sujets sont plus avancés », constate Jean-Baptiste Schmider, PDG de Réseau Citiz. « La Région Grand Est a été la première collectivité à devenir sociétaire de Railcoop. L’Alsace est une terre de coopératives », renchérit Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de l’opérateur ferroviaire.
Pour résumer, une coopérative, c’est une entreprise à la gouvernance démocratique : personne ne peut détenir plus de 50 % du capital, chaque sociétaire a une voix en assemblée générale, quel que soit le montant de sa participation, et les salariés sont systématiquement parties prenantes. Les Scic intègrent une dimension « intérêt général ». « Notre fonctionnement est à l’opposé des start-up, puisqu’on ne cherche pas à faire de l’argent à partir de l’argent », insiste Adrien Montagut, cofondateur de Commown.
Autre point commun entre toutes ces Licoornes : elles sont positionnées sur des marchés dits « de masse ». « L’idée, c’est de proposer une option alternative aux grands groupes dans les domaines courants de la consommation de biens ou de services. Que ce soit pour se déplacer, se nourrir, s’équiper, communiquer, se chauffer ou financer toutes ces dépenses, nous offrons un modèle plus vertueux, qui repose sur une logique d’usage plutôt que de propriété », déroule Jean-Baptiste Schmider. En unissant leurs forces, les Licoornes espèrent pouvoir changer d’échelle et sortir des cercles déjà convaincus, voire militants.
LEVÉE DE FONDS
Comment comptent-ils s’y prendre, face à des mastodontes économiques à la force frappe difficile à contrer ? « Nous avons fait en juin une première opération commune en lançant un appel aux contributions. C’était une campagne de communication, pour nous faire connaître, et pour proposer à de nouveaux de rejoindre nos gouvernances, mais c’était aussi un pied de nez aux levées de fonds pharaoniques des start-up », s’enthousiasme Adrien Montagut.
Résultat de l’opération : quelque 500 000 euros, ventilés entre les neuf entreprises selon les souhaits des nouveaux associés. L’appel a été relayé auprès de leurs usagers, mais aussi sur les réseaux sociaux, notamment professionnels, qui sont le terrain de jeux des start-up. Au-delà de l’opération financière, il était évidemment aussi question de convaincre de potentiels investisseurs, ou à tout le moins de les faire s’interroger sur le type d’innovations qu’ils souhaitent encourager.
« C’était une première action commune visible pour le public, mais au quotidien, nous menons déjà beaucoup de projets partagés », complète Alexandra Debaisieux. Railcoop travaille par exemple avec du matériel informatique fourni par Commown et un abonnement téléphonique Télécoop. Pour le mobilier en gare, ils ont fait appel à Label Emmaüs et leurs comptes bancaires sont hébergés par la Nef. « Il y a aussi des partages plus informels, sur les pratiques professionnelles, sur l’animation de la vie coopérative, poursuit- elle. Il s’agit de créer une chaîne de valeurs, en se soutenant dans nos développements respectifs. » En l’espèce, les entreprises plus jeunes comme la sienne peuvent s’appuyer sur l’expertise des sociétés qui ont davantage de bouteille, à l’image d’Enercoop et de Citiz.
ENTREPRISES RÉSILIENTES
On le comprend, l’énergie est là, la dynamique semble lancée et les Licoornes prêtes à ensorceler de nouveaux territoires. Mais, même si on a envie d’y croire, on ne peut s’empêcher de se demander : n’y a-t-il pas un peu une part d’utopie, par essence irréalisable, dans tout ça ? Fatima Bellaredj, déléguée générale de la Confédération générale des Scop, se veut pragmatique et rassurante. « Certes, les coopératives (Scop et Scic), ne représentent que 4000 entreprises et 80 000 emplois en France, mais c’est un modèle en très fort développement. En cinq ans, les emplois ont augmenté de 30 % et le chiffre d’affaires global de 40 %. »
Dans un contexte de morosité économique, c’est plutôt prometteur… « Nos entreprises ne sont pas surhumaines, elles restent soumises aux aléas des marchés. Cependant, on observe que comme lors de la crise de 2008, les coopératives ont fait preuve d’une grande résilience. Il n’y a jamais eu de solde d’emploi négatif, par exemple », poursuit-elle.
Pour le projet Licoornes, elle ne cache pas son enthousiasme. « Cette initiative propose un zoom intéressant sur l’innovation sociale, par opposition à l’innovation technologique. Il y a un volet d’acculturation des acteurs économiques et politiques sur ces sujets qui doit être fait, et les Licoornes y répondent de manière intelligente », insiste-t-elle.
Encore au tout début de leur aventure, les Licoornes espèrent à terme pouvoir élargir leur cercle à d’autres entreprises, et créer une structure juridique solide pour accueillir leurs projets communs. « L’enjeu est vraiment de prouver qu’il est possible d’entreprendre sans être capitaliste, conclut Adrien Montagut. Ce que nous proposons, c’est de reprendre la main sur les outils de production et sur la protection des biens communs. Parce que, soyons clairs, seules les entreprises qui n’ont pas inscrit la lucrativité dans leur statut ont un avenir, les grands groupes ne seront pas capables de penser la sobriété. » Souhaitons-leur de faire beaucoup d’enfants…
En savoir plus
www.licoornes.coop
Qui sont les neuf Licoornes ?
Les Licoornes sont l’union de neuf sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic). Ces entreprises associent les producteurs de biens ou de services (salariés, cadres), les bénéficiaires (clients, usagers…) et d’autres personnes physiques ou morales qui contribuent à l’activité (associations, bénévoles, collectivités territoriales, autres sociétés…). Dans les Scop (sociétés coopératives de production), 51 % du capital est réservé aux salariés : un plancher qui ne s’applique pas aux Scic.
Les neuf Licoornes sont :
- Citiz, un réseau coopératif d’autopartage
- Railcoop, un opérateur ferroviaire
- Commown, un fournisseur d’appareils électroniques écoconçus
- Enercoop, un fournisseur d’électricité verte
- Télécoop, un opérateur téléphonique
- Mobicoop, une plateforme de covoiturage sans commission
- Coop circuits, une plateforme pour les circuits courts
- La Nef, une banque éthique
- Label Emmaüs, un site d’e-commerce dont le catalogue est alimenté par des acteurs de l’économie sociale et solidaire