Une étude essentielle est née et se réalise à Strasbourg

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Samira Fafi-Kremer, 48 ans, est la Chef de Service du Laboratoire de Virologie au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. En collaboration avec l’Institut Pasteur, elle a dirigé depuis Strasbourg la première étude cherchant à s’assurer qu’un patient ayant été touché par le coronavirus a bien développé des anticorps protecteurs capables de l’immuniser contre la maladie. Le résultat de ses travaux est évidemment attendu avec la plus grande impatience par la communauté médicale mondiale…

Elle arrive avec une discrétion très naturelle et s’attable sans façon à la terrasse d’un salon de thé de la Grand’Rue, pas trop loin du labo qu’elle dirige à la Faculté de Médecine (« c’est que mon temps est compté… » s’excuse-t-elle sincèrement aussitôt).
Bien conscient de la chance de pouvoir converser directement avec cette virologue dont la notoriété a depuis belle lurette dépassé les murs du Laboratoire de Virologie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg qu’elle dirige, on lui propose immédiatement de récapituler, la problématique et les enjeux de l’étude qu’elle conduit depuis plus de soixante jours (la précision est importante) à l’heure où nous la rencontrons, le 8 juin dernier, et qui vient de délivrer ses premiers résultats…

Si l’on a bien compris, il s’agit, à terme, d’étudier une population qui a été touchée par le coronavirus pour s’assurer qu’elle a bien développé des anticorps dits protecteurs et de mesurer pendant combien de temps elle sera ainsi protégée de la maladie…

C’est exactement ça. L’étude, qui se poursuit encore à ce jour et qui sera ensuite réactivée au troisième, sixième et neuvième mois est prévue pour concerner 1 500 personnes ayant été en contact avec le virus. L’Institut Pasteur avait développé son propre test et nous avions ici à Strasbourg, à Illkirch très précisément, le test développé par Biosynex qui n’était pas encore homologué au début de l’étude (Il l’a été le 20 mai dernier – ndlr) Ce laboratoire nous avait demandé d’évaluer son test. Nous avons donc testé un premier groupe de 160 soignants et c’est sur cette cohorte, comme on dit, qu’on peut aujourd’hui confirmer la présence d’anti-corps neutralisants qui, comme leur nom l’indique, protège durablement le patient et l’immunisent contre les effets de la maladie. 40 jours ont passé depuis le début du test et l’immunité des premiers testés reste réelle… Les trois premiers ont été testés il y a 69 jours aujourd’hui et l’immunité perdure chez eux aussi… L’échantillon de 1500 personnes aura été complètement testé avant la fin juin… (en raison de notre date de bouclage le 23 juin, nous n’avons pas été en mesure d’actualiser cet article – ndlr)

Samira Fafi-Kremer dirige le Laboratoire de Virologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg  © Nicolas Roses

Tout l’enjeu consiste donc à s’assurer d’une immunité la plus longue possible, quasi pérenne donc. Pour cela, il faudra bien évidemment attendre plusieurs étapes d’ores et déjà prévues pour ces 1 500 patients : 3 mois, 6 mois et 9 mois…

Oui. Si une deuxième vague venait à se produire, les patients toujours porteurs de ces anticorps neutralisants seraient totalement protégés. Et tout l’enjeu porte sur l’ampleur de cette éventuelle deuxième vague : pour qu’elle ne soit que légère, il faudrait qu’une majorité de personnes soient immunisées. La science de l’épidémiologie a prouvé qu’une épidémie s’éteint lorsque 60% d’une population est déjà immunisée. On ne sait pas où nous en sommes exactement à ce sujet, on n’y est de toute façon pas encore… Il faut savoir que ce virus ne mute pas beaucoup, on le sait avec certitude …

Sait-on formellement si ce virus est un virus saisonnier ? On espère bien sûr qu’il serait détruit par la chaleur naturelle des mois d’été…

On connait assez bien les particularités de la famille des coronavirus. Ils possèdent une importante masse graisseuse qui les enrobe. La plupart d’entre eux sont en effet dits saisonniers, c’est-à-dire qu’ils finissent par provoquer de simples rhumes et ne présentent plus le moindre danger létal, dans une immense majorité des cas. On pense qu’il est probable que ce soit le cas pour Covid19… Je précise bien : « on pense » et il faut que vous l’écriviez encore avec des guillemets car on ne sait pas encore tout sur lui.

On a bien compris qu’il va donc falloir encore attendre pour bénéficier de réponses certaines à encore pas mal d’interrogations. En tout cas, ces mois de crise sanitaire auront permis de braquer les projecteurs sur la situation de l’hôpital public. A plusieurs reprises, le président de la République s’est exprimé sur les quatre « piliers » sur lesquels devrait, selon lui, reposer la politique publique de santé de notre pays : parmi eux, la revalorisation des salaires et des carrières, l’investissement dans les bâtiments et le matériel, la mise en place d’un système plus souple et « plus déconcentré » et, enfin, une nouvelle organisation du système de santé basée sur le territoire. A votre niveau, avez-vous bon espoir que nous en arrivions rapidement au début d’application de ces promesses ?

Une des problématiques majeures est que les directeurs des hôpitaux ne sont pas des médecins, ils ne comprennent donc tout simplement pas les véritables enjeux de la santé publique. Au niveau de mon service, je ne peux pas dire que nous sommes pénalisés par un manque criant de moyens. Mais, derrière certaines paroles, il y a une réalité. Là, par exemple, on nous vient juste de nous inciter à voir comment on peut « réduire les ressources humaines » et mieux optimiser, comme ils disent. C’est à dire, en parlant clair, supprimer du personnel…

C’est insensé d’apprendre ça comme ça. On n’est pas loin de la caricature : votre service est sous les feux des projecteurs avec cette étude qui a fait l’objet d’un très fort retentissement et qui se poursuit alors, qu’en fait, les tableurs Excel ont décidé qu’il fallait encore supprimer des postes…

C’est la réalité vraie. Mais ce qui est vrai aussi, c’est que les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont fortement soutenu mon idée de tester les personnels soignants pour savoir si une immunité pérenne pouvait être espérée après avoir été touchés par le virus. C’est grâce à ce fort soutien que Strasbourg a pu commencer les tests avant tout le reste du pays et bénéficier d’une biothèque considérable avec des collaborations aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne… Dès la première semaine de l’épidémie, j’ai insisté pour rencontrer la direction de l’hôpital pour la convaincre qu’il fallait créer ici une banque d’échantillons et de données pour nous permettre de comprendre ce virus et je dois dire qu’à partir de là, la direction et les cliniciens ont tout fait pour qu’on y aille très rapidement. Grâce à cet apport, une vingtaine de projets s’apprêtent à être publiés. On n’a jamais vu une telle compréhension se matérialiser en à peine deux mois, c’est impressionnant. Auparavant, on demandait l’achat d’un congélateur, il fallait attendre des mois et des mois, voire plusieurs années après avoir entendu une multitude de fois : « Il n’y a plus d’argent »… Là, on a précisé ce dont on avait besoin et le feu vert tombait dès le lendemain. Evidemment, l’autorisation de dépenses est venue directement du ministère… »

 © Nicolas Roses

 

 

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