Valentin Fels-Camilleri, le battant…
Article publié dans le cadre du dossier Destination de Légende sur l’Islande, publié dans Or Norme N°47 et à découvrir également en ligne
Aussi loin qu’il se souvienne, ce Haut-Rhinois d’origine, passé par Strasbourg pour ses études supérieures à la Faculté des Sciences du sport, a toujours voulu voyager et élargir son horizon. Après quelques étapes déterminantes, il s’est fixé à Reykjavik où nous l’avons rencontré. Il nous parle avec une belle jubilation de sa nouvelle vie en Islande…
On découvre le Mjölnir (le nom islandais du marteau du dieu Thor) en haut d’une mini-colline, quasi protégé des regards dans une zone sans commerciale sans âme de la proche banlieue de la capitale islandaise. Le bâtiment ne paie pas trop de mine, mais sa visite, aussitôt entamée en suivant les pas de Valentin Fells-Camilleri, révélera vite qu’il est plutôt bien pensé, suffisamment en tout cas pour avoir gagné assez vite ses galons de premier club de sport de Reykjavik. Autour d’une tasse de café, Valentin se prête avec un entrain non feint au jeu des souvenirs…
Tu n’as que 31 ans, mais ton parcours révèle déjà une belle appétence pour l’ailleurs, les voyages, la découverte de beaucoup d’horizons…
C’est certain. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu voyager, mais j’ai commencé somme toute assez tard. L’Islande, une première fois, fut mon premier grand voyage sans mes parents. J’avais 21 ans. Et j’ai passé des vacances ici après avoir rencontré un Islandais, Gunnar, qui était jeune homme au pair à Colmar et avec lequel j’ai bien accroché. C’est lui qui m’a fait découvrir l’Islande durant trois semaines à l’été 2012. J’ai été immédiatement et totalement séduit. C’était avant le boom touristique de ces dernières années et j’avais été fasciné par ces paysages grandioses quasi vides de toute présence humaine. J’ai ensuite continué mes études à Strasbourg et s’est présentée une superbe opportunité à six mois de la fin de ma cinquième année de Master à Strasbourg où j’ai pu bénéficier d’un stage de fin d’études en Australie, au laboratoire de sport et de nutrition de l’Université de Brisbane. Six mois fantastiques où j’ai pu continuer mes entrainements de jiu-jitsu et même participer à quelques compétitions, en même temps que je finissais ma thèse. Une fois le stage terminé, j’ai passé quelques jours en Asie puis en Nouvelle-Zélande, j’ai fait le tour du coin, quoi (rires). De retour en Alsace, mon diplôme en poche, j’ai fini par tourner un peu en rond, j’ai eu du mal à développer l’activité de coach que j’avais prévu d’exercer et, pour être franc, j’ai compris que si je voulais continuer à développer mon entrainement et être au top de mon sport, il allait falloir que je parte. J’ai pensé à Paris, aux États-Unis, j’étais très indécis… Au printemps 2016, je suis revenu à Reykjavik, à Mjölnir, pour préparer les championnats d’Europe et le staff du club m’a alors dit que le club allait se développer en ouvrant une structure plus grande et m’a fait comprendre qu’il y aurait sans doute une opportunité pour moi. À mon retour en France, j’ai mis un maximum d’argent de côté et je suis finalement revenu en Islande au début de l’automne en me disant que je ne risquais rien à tenter ma chance au club, d’abord en m’y entraînant puis peu à peu, en y prenant des responsabilités en tant que salarié. Je raccourcis le récit, mais le hasard a bien fait les choses, vers la fin de l’année : le responsable de la section de compétition de jiu-jitsu a annoncé qu’il quittait son poste pour un autre job et, immédiatement, on m’a proposé sa place ! J’ai accepté, mais franchement, je me sentais un peu nerveux : cet homme était mon modèle et je me suis dit qu’il allait vraiment falloir que je sois convaincant pour m’affirmer. Je me suis lancé, et, au fur et à mesure, tout s’est bien passé côté professionnel puisque je suis devenu entraîneur en chef de cette section de compétition, mais aussi au niveau sportif avec une belle troisième place à l’équivalent des qualifications européennes pour les JO, une victoire aux championnats nationaux chaque année depuis quatre ans et récemment une prestation remarquée lors du plus grand show européen de mon sport. Enfin, j’ai ouvert ma propre structure à Akranes (une localité à une cinquantaine de kilomètres du nord-est de Reykjavik – ndlr). Bon, j’ai volontairement occulté jusque-là une des raisons principales qui m’avaient fait m’établir durablement dans ce pays : je suis tombé amoureux d’une Islandaise, Tina, que j’ai rencontrée il y a cinq ans. On a eu notre bébé, Lena-Katrin, il y a deux ans… Tina est originaire de Akranes, voilà pourquoi nous vivons là-bas.
C’est une très belle histoire. Parle-moi maintenant des Islandais, vus avec les yeux de l’Alsacien que tu es toujours, mais qui vit à demeure depuis plus de six ans dans ce pays surprenant…
Sincèrement, je vois que beaucoup de mes habitudes ont changé. Je pourrais raconter une multitude d’anecdotes, évidemment… L’une est assez révélatrice, surtout avec l’époque que nous vivons aujourd’hui. Au début de ma vie de couple avec Tina, j’avais du mal à comprendre un truc qui était incroyable à mes yeux : les gens gardaient tout le temps les lumières allumées et ils n’étaient absolument pas économes avec l’eau, par exemple. Tout cela me paraissait aberrant, au vu de mon éducation française même si la latitude de l’Islande fait qu’en décembre ou janvier, on n’a au mieux que trois heures de lumière du jour quotidiennement. Au début, je passais systématiquement derrière elle pour éteindre la lumière et elle la rallumait aussi sec. C’est d’ailleurs devenu un jeu entre nous, depuis. Mais le prix de l’électricité, ici, c’est peanuts compte-tenu qu’elle est quasiment entièrement d’origine géothermique ou hydraulique. C’est pareil pour le chauffage, les gens laissent couramment les fenêtres grandes ouvertes et le chauffage à fond, ce n’est pas un problème. Les voitures électriques sont en plein boom dans le pays et la recharge est tout aussi peu coûteuse…Sur un autre plan, il m’a fallu m’adapter. Tiens, rien que la traditionnelle bise à la française. Tant au niveau des hommes que des femmes, elle n’est pas du tout dans la culture islandaise. Ça ne se fait pas du tout ici. D’ailleurs, assez souvent, même dire bonjour ou au revoir n’est pas usuel non plus. Ça doit tenir au fait que nous sommes, au fond, une petite communauté, moins de 400 000 personnes sur toute l’île. Avec mes potes on se quitte le soir sans se saluer et le lendemain, en se retrouvant, on peut même redémarrer la conversation là où on l’avait laissée la veille. C’est assez étrange hein ?
Quelles sont les deux ou trois qualités, en général, que tu apprécies le plus chez les Islandais ?
Il y a cette valeur bien spécifique au peuple islandais qui est l’entraide. Sans doute là encore est-ce dû à cette petite communauté que nous formons. Les connexions spontanées sont beaucoup plus importantes que partout ailleurs. Si je rencontre quelqu’un que je ne connais pas, je peux être à peu près certain que pas mal de mes amis le connaissent. Alors, si on essaie de promouvoir des valeurs comme la bonté ou l’empathie par exemple, il y a de bonnes chances que beaucoup de rencontres deviennent très vite très positives. Bon, ça marche aussi dans l’autre sens, s’il y a un problème ça se sait très vite. Du coup, énormément d’opportunités inattendues se présentent : par exemple, je me suis souvent retrouvé dans des tournages de séries hollywoodiennes ou chinoises qui recherchaient des acteurs pour des séquences de combat. Dans un autre pays, il y aurait un casting d’acteurs, mais ici, c’est tellement petit qu’ils passent au club de sport le plus renommé et ils tombent vite immanquablement sur toi… Si je me base sur les gens que j’ai connus ici, dès qu’on dépasse la première couche de personnalité juste après la rencontre, ils deviennent vite très authentiques et s’étalent alors volontiers sur qui ils sont, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils vivent, ce qu’ils pensent. Mais je reviens sans cesse sur cette solidarité qui les caractérise tous. Je crois bien qu’elle est là la toute première qualité des Islandais. Elle se manifeste d’autant plus dans les tout petits villages : quand tu y arrives, tu n’auras sans doute pas droit tout de suite aux grands sourires et aux grands discours, mais l’entraide se manifestera assez vite. Du côté du très positif, je pense aussi à la façon dont est considérée la maternité. J’en ai évidemment bien pris conscience en devenant père il y a deux ans, c’est bluffant. Le congé de maternité, ici, c’est six mois pour la mère et cinq mois pour le père, sans parler d’un ou deux mois supplémentaires auxquels tu peux avoir accès en option. Au total, ton bébé peut rester avec toi pendant plus d’un an et tu es encore payé. Et ça vaut aussi pour les indépendants, ce n’est pas que pour les salariés. J’ai eu de la chance : en ajoutant les effets du Covid, j’ai eu ce privilège et ce bonheur d’être près de ma petite fille pendant presque deux ans. Elle comprend le français aussi bien que l’islandais et la connexion que j’ai avec elle est merveilleuse…
Et puis, il faut que je parle de cette ville étonnante qu’est Reykjavik. Bien sûr, elle n’est ni Londres ni Paris, mais il y a ici des intellectuels, des artistes, des créateurs et toutes sortes de gens curieux de tout, qui ne cessent de développer des modes et des tendances… Et comme la ville est petite, on les rencontre très facilement. Et je ne te parle même pas de l’atout le plus fantastique de la capitale : en moins de dix minutes de voiture, tu as accès à cette nature brute, l’océan, les montagnes… ça c’est un vrai, un gros, un énorme atout.
Ici, le mix entre l’urbain et la nature est fantastique.
Et, a contrario, le négatif ?
En toute sincérité, pas grand-chose, vraiment… En me creusant fort, je dirais que nos quatre saisons traditionnelles en Alsace me manquent et il en va de même avec la langue française : comme je suis en contact avant plein d’Islandais, je parle tout le temps en anglais. Mon islandais est celui d’un gamin de cinq ans, j’avoue, mais je comprends l’essentiel de ce qui se dit. Du coup, en te parlant de ça, me vient à l’idée un trait de caractère qui serait un tantinet négatif : quand ils sont en groupe et que tu es avec eux, ils basculent très vite de l’anglais à l’islandais. Bon, rien de grave, c’est malgré eux, rien de volontaire… Finalement, ce qui est le plus handicapant est lié à l’insularité. En partir et y revenir est très coûteux, c’est une réalité. Mais, tu vois, je cherche et je cherche pour trouver des choses à redire et au fond, il y en a si peu. Il y a un dicton, ici, qui dit un truc du genre : « Bah, pas de souci, ça va le faire… » Les Islandais sont un peu les Brésiliens de l’Europe : ils vont être un peu en retard, pas tout à fait carrés, mais, pas de souci, ça fonctionnera quand même, ils vont s’adapter tout en restant cool, mais, au final, tout se fera toujours comme prévu ou comme promis…