Le Livre de Ma Vie

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Aurélien et Fanny Montinari

Asakusa Kid, Takeshi Kitano

Takeshi Kitano, comédien et réalisateur de renommée internationale, nous raconte ses débuts, décrivant la vie d’un quartier traditionnel de Tokyo dans les années 70.
C’est lors de notre année au Japon que nous avons découvert ce merveilleux texte. Orphelins de notre bibliothèque, nous avions pris soin de bourrer nos valises de livres, d’autant plus qu’ayant des goûts bien distincts, nous lisions alors chacun des choses très différentes. Mais voilà, au bout de quelques semaines, nous avions déjà épuisé nos précieuses réserves. Famille et amis ayant eu vent de notre carence, certains nous ont envoyé des ouvrages. D’autres, de passage, prenaient également soin de nous ramener des livres, de véritables trésors pour nous, gaijins (étrangers), perdus au milieu d’une culture inconnue. Lire en français nous rattachait à nos anciennes habitudes désormais complètement chamboulées, cela nous rassurait.
À force de recherches, nous avons fini par trouver une librairie française, la boutique Omeisha. Quel plaisir de se balader dans des rayonnages aux sonorités familières. Le choix allait être décisif, il nous fallait trouver quelque chose qui nous plairait à tous les deux, tirer le meilleur de cette oasis. Spontanément, nous nous sommes dirigés vers les auteurs japonais. Le titre du livre, Asakusa Kid, nous a tout de suite rappelé notre tout premier voyage au Japon, car nous avions alors logé dans ce quartier. Une découverte qui allait se transformer en aventure quelques années après.
Chacun son tour, nous avons dévoré ce récit de vie, échangé nos impressions. Durant notre séjour, nous sommes souvent retournés dans la petite boutique du quartier d’Iidabashi et avons pris l’habitude de lire le soir sur notre petit balcon, le Mont Fuji au loin.

Ce voyage, comme ce livre, a confirmé ce que quelque part nous savions déjà : nous étions faits pour tout partager.

Bénédicte Junger

Les gratitudes, Delphine de Vigan

J’ai tissé un lien très particulier avec Delphine de Vigan. En effet, elle fut la première auteure à venir rencontrer les lecteurs de la médiathèque Mélanie de Pourtalès. C’était il y a dix ans pour son roman No et moi. Une fable moderne sur les sans-abris qui met en lumière le regard que l’on porte sur la différence. Sans sa bienveil- lance, sa passion et son écoute lors de cette première interview, ma vie n’aurait jamais pris cette direction. Aujourd’hui, et parce qu’il n’y a pas de hasard, c’est avec Les gratitudes, un livre sur la valeur du merci que je souhaite lui exprimer ma sincère reconnaissance.

À travers le personnage de Michka, une vieille dame qui perd ses mots, l’auteure dévoile les liens souterrains qui unissent, asservissent et délivrent les gens. Que serions-nous sans l’expression de notre reconnaissance envers ceux qui un jour nous ont sauvés de la fausse route, de la perdition, de l’atonie ?

Le huis-clos de la chambre d’EHPAD de Michka va faire ressurgir secrets, espoirs et même donner lieu à des révélations. Ce livre est d’une grande beauté parce que l’auteure dit tout, n’épargne pas le lecteur. Elle exprime tout par les mots mais aussi par les silences. Et c’est finalement un peu comme si le texte lui-même devenait le reflet de cette vieille personne si attachante qui réinvente le monde avec ses fantômes, ses terreurs, et ses mots particuliers.

 Avec grâce et délicatesse, Delphine de Vigan offre un livre solaire sur la fin de vie, sur l’urgence de dire merci.

Une vraie réflexion sur le langage se dégage en filigrane du roman. Les mots peuvent-ils nous sauver ? Le travail d’orthophonie est décrit avec minutie et se révèle assez passionnant. Il montre aussi à quel point le lien soignants / soignés déborde souvent du cadre médical pour remplir une fonction sociale, amicale et essentielle au maintien dans le monde sensible des patients.

Avec grâce et délicatesse, Delphine de Vigan offre un livre solaire sur la fin de vie, sur l’urgence de dire merci. Et quoi de plus beau que de se laisser bouleverser par un livre pour redonner du sens à la vie ?

 

Pierre Pauma

Bête et méchant, François Cavanna

Quand on m’a demandé de choisir un livre, le choix a été facile. Pour être honnête, la réflexion sur le fond de la photo a été plus longue. Il fallait du rouge, pour rappeler la couleur dominante de la couverture. Le rayon des éditions Dalloz par exemple. Belle idée que de lire du Cavanna accoudé sur une pile de Codes Civils. Ce n’est pas comme si à propos de l’auteur du gros livre rouge, l’écrivain avait un jour scandé « Bonaparte = SS ! » sur le plateau de Bernard Pivot, devant un parterre d’invités médusés ! Quant à l’étude du droit, c’est un luxe que ne s’offrait pas le « Rital », tout occupé qu’il était à dessiner, écrire, traduire, corriger, et convaincre le ministère de l’Intérieur que non, son journal Hara Kiri n’était pas un danger pour la jeunesse.

Dans ce troisième livre autobiographique, Cavanna raconte des débuts laborieux dans la presse. En rentrant de la guerre, le gamin de Nogent-sur-Marne à la rage au ventre. Contre les vaincus qui lui ont infligé le STO, mais aussi contre le vainqueur soviétique qui lui a arraché sa chère et tendre. Aux hommages et aux glorieux héros, il oppose son humour qui tache autant qu’il décape.
Il se lance alors dans une carrière de dessinateur de presse, et découvre les frustrations du métier. La « pige » précaire, la petite société de cour autour de rédacteurs en chef parisiens, qui décident chaque semaine s’ils lui donnent à manger ou non… Sans oublier les dessins géniaux qui ne trouvent pas preneur, quand les gags insipides se vendent. Sa rencontre avec Georges Bernier, alias Professeur Choron le fait passer de l’autre côté du miroir. Il découvre la confection d’un journal en créant Hara Kiri, journal bête et méchant, et tous les ennuis qui vont avec.

Toi le jeune qui rêve d’un métier pour lequel il n’existe pas de formation et qui fait tomber tes parents de leurs chaises. Lis Cavanna. Inspire-toi de Cavanna. Cite-le dans tes devoirs. Vénère-le ! Mince, il détestait les hommages. Raté.

 

Alain Fontanel

Un sage est sans idée, François Jullien

Il y a des livres qui vous passent dans les mains au bon moment et qui vous éclairent comme une évidence. Au Vietnam depuis plusieurs années, déboussolé par la perte de repères culturels, j’ai croisé avec soulagement et jubilation, la route de François Jullien. Son livre Un sage est sans idée m’a ouvert les portes de la pensée chinoise, il m’a parallèlement permis de mieux comprendre notre propre système de pensée.

Pour François Jullien, la philosophie et sa quête absolue de vérité nous ont fait perdre de vue « la sagesse » comme si l’approche binaire, entre le vrai et le faux, le bien et le mal, ne nous permettait pas d’appréhender la complexité du réel.
Le « sage », dans la pensée chinoise, n’est pas celui qui a raison, bardé de ses vérités et certitudes, mais bien celui qui ne se laisse accaparer par aucune thèse. Toutes les idées ne se valent pas, mais elles sont toutes possibles et elles doivent toutes être accessibles, le sage ne cherche pas à prouver mais bien à « élucider les cohérences ».  « Tous ont raison, mais d’un certain point de vue. Aucun d’eux ne se trompe, mais tous sont réducteurs car ils ne prennent pas le faux pour le vrai, mais un coin pour le tout ».

Le sage est donc sans idée parce qu’il n’en a pas de préconçues, il est ouvert et sans parti pris, il suit la voie du « juste milieu ». Mais ce milieu n’est pas, contrairement à ce que l’on voudrait parfois nous faire croire, l’immobilisme du ni trop ni pas assez, ou le conservatisme du tout est bien, il est au contraire la capacité de voir le réel par les deux bouts, en harmonie, et à imaginer la cohabitation des contraires dans un étonnant « en même temps ».

François Jullien, que j’ai eu le plaisir de recroiser à Strasbourg dans le cadre des Bibliothèques idéales, semble ainsi bien malgré lui éclairer, avec la pensée chinoise, un récent débat franco-français.
Mais il nous rappelle aussi tôt la contrepartie de cette pensée, le sage ne pouvant « prendre parti » et se voulant « apolitique » il est de facto privé de sa capacité de révolte et de contestation.

Au Vietnam depuis plusieurs années, déboussolé par la perte de repères culturels, j’ai croisé avec soulagement et jubilation, la route de François Jullien.

Alors, peut-être que moins que les vérités, ce qui compte c’est le doute de celui qui aspire à être dans le vrai. Le doute pourrait être ce passage nécessaire pour celui qui, avec humilité, refuse de se décider « pour de faibles raisons ».

À la fin du livre on se demande naturellement s’il est préférable de s’engager au nom de « vérités absolues », de pratiquer le doute fécond ou plutôt d’accéder à la sagesse du juste milieu. À chacun d’en décider !

 

Lison Obrecht

La Confusion des sentiments, Stefan Zweig

Ce livre, je n’avais pas prévu de le lire spécialement, mais il était offert pour deux autres ouvrages de la même collection achetés. Ok, si c’est cadeau, je prends ; le titre m’évoquait  vaguement quelque chose qu’il valait mieux connaitre. J’ai commencé par le laisser longtemps trôner sur une étagère, avant de l’oublier carrément, trop occupée à me perdre dans mes volumes de jurisprudence et de droit international. Je ne sais toujours pas par quelle magie il s’est retrouvé empaqueté dans mes valises lorsque je suis partie vivre à Rome, mais si on croit au destin, au karma, ou à l’alignement propice des planètes, alors c’était le bon moment. L’enchantement quotidien dans lequel j’évoluais à cette période-là s’accompagnait d’une naïveté curieuse, comme si je découvrais le vrai monde seulement maintenant. J’avais décidé d’abandonner la bibliothèque  pour vadrouiller et faire des milliers de choses bien plus intéressantes qu’étudier. C’est dans la félicité du printemps que j’ai ouvert La Confusion des Sentiments. C’était la première fois que je lisais du Stefan Zweig, je ne connaissais rien du bonhomme. Autant dire que dès les premières pages, le texte faisait écho à ma vie. Je me reconnaissais dans le tourbillon de la jeunesse, dans ce sentiment de liberté vécu pour la première fois, dans cette envie de tout faire à fond, de toute connaitre, de tout découvrir… Surviennent ensuite les tourments intérieurs, le rappel de l’autorité parentale que tu ne veux pas décevoir, la recherche d’un but qui te transcende, la découverte des autres et de leur complexité, les premiers attachements… Toutes ces choses qui te chamboulent jusqu’au fond du ventre sans que tu comprennes bien comment, qui arrivent en même temps et qui se mélangent dans un flot de pensées continu, comme si la vie te donnait trop d’un seul coup et que tu n’arrivais pas à tout assimiler. C’était exactement ce qu’il se passait dans ma propre existence.

A ce moment là, les sentiments étaient partout et la confusion c’était moi.

 

Yannick Lefrançois

Fais moi des choses, Frédéric Dard

Vous ne pensiez pas que j’allais vous parler d’un ouvrage de Proust ou de Céline, quand même ! Bien des lecteurs l’ont fait et le feront mieux que moi. Vous vous attendiez peut-être à ce que je vous sorte une bande dessinée, en bon illustrateur que j’essaie d’être ? Quelques BD m’ont servi de modèle et ont inspiré mes premiers crobards de gamin, mais rien de fondateur pour autant.

C’est plutôt du côté de San Antonio que je suis allé chercher les bases de ce qui constitue une bonne partie de mon « univers », comme on dit de nos jours. Et particulièrement Fais-moi des choses parce qu’il m’a été offert par un gars rencontré dès les premiers jours de mon entrée aux Arts déco de Strasbourg et qui deviendra mon meilleur ami. Thierry Chapeau, l’homme le plus drôle que je connaisse ! On s’est tout de suite plu : même manière d’agencer les mots, même humour, même recul sur la vie… c’est peut-être parce qu’on a eu tous les deux le même genre de père : biberonné aux vraies brèves de comptoir, en banlieue parisienne.

Ce livre, Thierry me l’a offert il y a trente ans. Je l’entends encore me dire : « Tiens, lis ça, tu vas t’poiler ! ». La couverture de l’édition originale montrait une poignée de sucettes Chupa Chups, c’était prometteur. Mais l’intérieur allait bien au-delà de la petite sucrerie : des néologismes à tout-va, des descriptions et situations scabreuses, une histoire qui n’est qu’un prétexte à mettre en scène un Bérurier déchaîné qui va, avec Madame, donner un cours d’éducation sexuelle à des Américains devenus frigides !

Plutôt que de reprendre un passage, lisez de la page 30 à la page 41 et vous aurez la substantifique moelle de ce livre (celle de Béru aussi). Frédéric Dard au sommet de son art ! Et le plus beau dans tout ça ? Thierry avait délicatement placé entre deux pages du livre une de ses plus belles peaux de taupe (qu’il avait tannée lui-même à l’âge de 14 ans) en guise de marque-page. La grande classe, Chapeau ! Fais moi des choses était devenu notre bible.

 

 

Coraline Lafon

Watchmen, Alan Moore et Dave Gibbons

Pour la première fois, je réalisais pleinement la complexité du monde réel…

J’ai toujours aimé les super-héros : quand j’étais petite, fascinée par les personnages de mes comics préférés, je rêvais de savoir me battre contre « les méchants » et d’être capable de sauver « les gentils ». Quand on est enfant, face aux aléas d’une vie parfois douloureuse et dans un monde qui semble mani- chéen, comment ne pas rêver d’être protégée par des personnes extraordinaires, qui, grâce à leurs super-pouvoirs, peuvent empêcher les injustices ? Et puis, j’ai lu Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons. Des super-héros sinistres, has-been, sans pouvoirs, et qui pourtant continuent de traîner dans l’ombre de leurs capes une rage de justice et de vérité face à la guerre, la corruption, la folie, la dépression. Pour la première fois, je réalisais pleinement la complexité du monde réel : comment ça, les « gentils » peuvent être de gros psychopathes névrosés et violents ? Quoi ? Les « méchants » peuvent faire des choix terrifiants pour en fait sauver toute l’humanité ? Ce livre, que dis-je, cette œuvre d’art, a été pour moi une vraie révélation sur la nature humaine, dans tout ce qu’elle a de plus pur et de plus terrible. Au-delà du roman philosophique, j’ai aussi été happée toute entière par chaque dessin, par chaque case de la BD, comme si chacune d’elles était une petite pièce d’un puzzle parfaitement imbriquées les unes avec les autres, pour former