Culture, Elles…

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Eva Kleinitz (Opéra national du Rhin), Barbara Engelhardt (Théâtre Le Maillon) et Marie Linden (Orchestre philharmonique de Strasbourg). Ces trois femmes sont à la tête d’institutions culturelles majeures de Strasbourg et cette rentrée culturelle 2018-19 a été le prétexte pour les réunir en une même table-ronde…

Or Norme : Un mot tout d’abord, en forme de bilan, sur la saison qui vient de se terminer…

Barbara Engelhardt : « Ce fut ma première saison en tant que directrice de ce théâtre mais elle avait commencé à être programmée par mon prédécesseur avant que j’intègre mon poste, je n’ai fait que compléter cette programmation ce qui a permis qu’elle porte aussi les couleurs du projet artistique que je défends et qui va donc encore plus s’aiguiser dans les mois à venir. Je voudrais préciser aussi que nos chiffres de fréquentation sont bons : 97% de la jauge spectateurs que nous gérons directement est atteinte, avec une grande diversité de publics puisque nous avons d’intéressants partenariats avec les établissements scolaires et étudiants et les associations…

Marie Linden : Pour être tout à fait claire, je suis arrivée à la direction de l’OPS en septembre 2017. Ce qui veut dire que la saison dernière était déjà entièrement programmée et, compte tenu des délais dans notre activité, une partie de la saison qui s’ouvre aujourd’hui était également déjà ficelée. Même si ça ne passionnera pas forcément les lecteurs de Or Norme, j’ai surtout mené un gros travail de réorganisation. Sur le plan artistique, les salles ont été plutôt bien remplies. D’ailleurs nous étions récemment avec Barbara à une réunion de restitution d’une enquête sur les pratiques culturelles des Strasbourgeois qui a fait apparaître ces chiffres très élevés en matière de fréquentation de nos trois institutions. Si j’en juge par nos résultats à toutes trois en matière de recherche de partenariats, je crois pouvoir dire que l’image de marque de nos institutions est très bonne. À l’OPS, l’entente a été rapidement trouvée avec Marko Letonja, le directeur musical de l’Orchestre. Je crois pouvoir dire que nous formons à présent un bon binôme…

Eva Kleinitz (Opéra national du Rhin)

Eva Kleinitz : Marie a complètement raison quand elle cite nos réussites communes en matière de partenariats. Ce n’était pas gagné d’avance, pourtant. Je voudrais aussi souligner cette belle synergie qui existe entre les lieux de culture de Strasbourg, au-delà même de nos trois institutions. Concernant l’Opéra, j’ai été très touchée par le magnifique accueil que le public a réservé à noter programmation à Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Plus personnellement, le binôme que nous formons avec Bruno Bouché qui est à la tête du Ballet de l’ONR me réjouit, nous formons, je crois, un beau couple artistique. En fait, la saison dernière m’a comblée, vraiment, tant en ce qui concerne notre programmation classique que toutes ces opérations hors murs que nous avons montées avec nos partenaires, dont Arsmondo qui fut une première selon moi très réussie…
Quels sont les grands axes de votre programmation pour la saison qui s’ouvre cet automne ?

Barbara Engelhardt : Elle sera très européenne et encore plus ancrée dans la création contemporaine, à la recherche de toutes les tendances et évolutions de l’époque que nous vivons. Le spectacle vivant, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le théâtre, énormément d’artistes et pas seulement les nouvelles générations développent des créations hybrides qui se nourrissent des arts plastiques, de la musique, des œuvres littéraires ou des matériaux documentaires et qui permettent aux différents publics de réfléchir en profondeur sur ce qui se passe ici et maintenant. On travaillera aussi sur le cirque, sur la danse, sur le théâtre musical, et bien sûr la relecture d’œuvres classiques mais toujours dans le cadre de ce métissage de genres, de courants esthétiques et d’influence culturelles…

Marie Linden : Sous forme de boutade, une question hante les responsables d’orchestres symphoniques : on fait quoi quand on a programmé toutes les symphonies de Beethoven ? Chacun s’attache à démontrer que Debussy avait tort quand il disait que la preuve de l’inutilité de la symphonie était faite après l’avènement de la Neuvième… Notre saison sera très variée avec un parcours de Haydn à Chostakovitch que Marko Letonja a souhaité mettre en regard. Pour moi, c’était important de mettre l’accent sur des grandes œuvres du XXème siècle comme Le Sacre du Printemps qui ouvre notre saison et qui marque l’entrée de la symphonie dans la modernité. On aura aussi pas mal de créations dont les premières dans le cadre de Musica, en ce mois de septembre. Parmi nos partenariats, je voudrais souligner celui avec le musée Tomi Ungerer avec l’adaptation d’un album de cette grande figure strasbourgeoise et celui avec l’Opéra pour ses concerts de musique de chambre salle Bastide au moment du déjeuner ou encore à l’Aubette. L’occasion pour nous de toucher d’autres publics qui ne viennent pas forcément au PMC pour les rendez-vous de la saison classique et de mettre en lumière la grande variété de nos offres…

Marie Linden (Orchestre philharmonique de Strasbourg)

Eva Kleinitz : Je tiens beaucoup à ce que j’appelle la palette de couleurs que nous offrons puisse se diversifier encore plus. C’est vraiment au centre de notre démarche. On va commencer avec le Barbier de Séville pour terminer avec Don Giovanni mais entretemps, on aura aussi une œuvre totalement inconnue que je trouve personnellement magnifique, La divisione del mondo dans la grande tradition du baroque italien avec le retour de Christophe Rousset à la direction musicale avec ses Talents lyriques que je sais très appréciés à Strasbourg. Arsmondo, cette saison, sera consacré à l’Argentine. La programmation complète sera révélée en janvier prochain mais je peux déjà annoncer l’opéra Beatrix Cenci d’Alberto Ginastera et l’opéra-tango Marias de Buenos-Aires d’Astor Piazzola…

Il y a ce point que vous évoquez toutes régulièrement et qui concerne les synergies qui se bâtissent plutôt spontanément entre les différents acteurs culturels de Strasbourg. Ne pensez-vous pas que la taille de cette ville joue un grand rôle pour ces rencontres et ces partenariats ?

Barbara Engelhardt : Oui, assurément. Moi qui viens plutôt du secteur des festivals, j’en ai beaucoup dirigés, je ressens une ambiance assez voisine, ici. La taille de la ville joue beaucoup dans ces sens dès que l’on souhaite se rapprocher et coopérer dans le cadre de partenariats à inventer. Strasbourg est une ville idéale dans ce sens et la preuve est que ce parti pris marche bien, ici. À Paris, à Berlin, à Londres, les choses se noient beaucoup plus facilement dans le flux…

Marie Linden : C’est beaucoup une question de volonté des responsables des structures culturelles. Bien sûr, il y a la nécessité de ces partenariats, leur inscription dans la politique globale de chaque lieu. Mais sincèrement, il y aussi tout simplement l’envie et surtout le plaisir de réaliser ces synergies. Je crois que nous trois, nous travaillons aussi sur ces critères-là. En raison de nos temporalités qui sont très différentes, nous ne pouvons pas systématiquement répondre positivement à toutes les propositions de partenariat. Mais on sait faire preuve de la souplesse nécessaire, c’est évident. Encore une fois, je vais dire que l’ingrédient majeur pour mener à bien cette politique-là ne vient pas des autorités de tutelle ou de l’extérieur en général : ce sont nos propres envies à nous tous, les professionnels qui sommes en charge de ces structures. À Strasbourg, cette envie ne manque pas, c’est une évidence…

Nous vous avions demandé de préparer chacune une question à l’attention des autres participantes à cette table-ronde. Qui commence ?

Eva Kleinitz : Je veux bien. Ma question s’adresse à Barbara. As-tu pensé un jour que tu pourrais toi-même faire de la mise en scène ?

Barbara Engelhardt : Non, je n’ai jamais eu envie de faire ça, ni d’ailleurs de figurer sur un plateau de théâtre d’une façon ou d’une autre. Ma place est derrière les décors… En revanche, initier ou accompagner des projets, ça oui. En tant que dramaturge, on a ce privilège de pouvoir être très étroitement en contact avec un metteur en scène et un ensemble d’artistes pour rendre les choses possibles dès le départ puis ensuite apporter ce regard extérieur dont ils ont besoin et dialoguer avec eux durant toute l’élaboration du spectacle…

Barbara Engelhardt (Théâtre Le Maillon)

Marie Linden : Eva, toi qui as travaillé dans de nombreux pays, qu’est-ce ce qui te séduit dans notre manière de travailler en France et, a contrario, qu’est-ce qui serait perfectible ? Y a-t-il des façons de travailler à l’étranger que tu aurais pu observer et qui pourraient nous inspirer en France ?

Eva Kleinitz: Ce qui me séduit, c’est cette générosité, cette empathie et cette curiosité du public qui se manifestent quand je rencontre les gens. Le public français est très vite enflammé au point que je n’ai vraiment pas l’impression de travailler en France depuis à peine plus d’un an, j’ai déjà beaucoup d’amis et de relations. En revanche, j’avoue que je suis surprise de l’importance de la bureaucratie dans beaucoup de domaines. Je n’en avais pas spécialement conscience auparavant mais je fais avec… Ceci dit, pour répondre à la deuxième partie de la question, je ne suis pas tellement adepte des comparaisons parce que c’est trop difficile et même quasi impossible, à mon avis, de comparer le travail effectué dans une maison de répertoire en Allemagne et ce qui se passe ici, à l’Opéra du Rhin. Ce qui pourrait nous inspirer en France, ce serait ces débouchés comme les Opéra Studios qui existent en Allemagne et qui permettent aux jeunes artistes émergents de faire partie de troupes et de faire leurs premiers pas sur scène. En France, l’éducation dans les conservatoires est de premier ordre, c’est ensuite qu’il y a un problème. De plus en plus de nos jeunes regardent vers l’étranger, à ce moment-là, et c’est un peu dommage…

Barbara Engelhardt : Ma question t’est également destinée, Eva. Tu as eu l’habitude, en Allemagne, de travailler avec beaucoup de collaborateurs artistiques puisque ces postes-là sont structurellement très nombreux, par tradition, de l’autre côté du Rhin. Est-ce que cette forme d’entourage te manque ici à Strasbourg ?

Eva Kleinitz : J’ai tout de suite recruté un conseiller artistique, Christian Longchamp avec lequel j’avais déjà travaillé à Bruxelles. Il ne travaille pas à plein temps pour l’Opéra du Rhin, il a ses propres collaborations avec des metteurs en scène ou dramaturges mais j’ai besoin de lui à mes côtés. Il me connaît parfaitement, il me comprend et je m’appuie aussi pour lui, pour être honnête, pour certaines subtilités de la langue française qui me manquent encore. Mais c’est vrai, la profession de dramaturge est beaucoup moins développée en France qu’en Allemagne . Ça tient au fait que la structure permanente de l’Opéra du Rhin est infiniment plus petite que celles des Staatstheater allemands, que ce soit Stuttgart, Karlsruhe ou même Freiburg. Cela s’explique : eux jouent beaucoup plus. Même si nous jouons moins, nos équipes restent néanmoins sous-dimensionnées par rapport à notre charge de travail…

Pour terminer, Mesdames, une question qui n’a rien à voir avec vos responsabilités dans le monde de la culture à Strasbourg. Vous êtes toutes trois très heureuses de vivre ici. Quel est votre endroit favori, celui qui vous procure les plus belles sensations ?

Marie Linden : Alors là, sans hésiter, je vais vous parler de ce que ma famille et moi-même appelons le pont du bonheur. C’est une petite passerelle face aux locaux de Arte que j’ai souvent empruntée en vélo pour conduire mon fils à l’école. La lumière y est si belle, l’ambiance si paisible que souvent, je m’y suis arrêtée pour que mon fils s’imprègne du lieu et de l’atmosphère qui y règne. Aujourd’hui, il va seul à l’école mais souvent je lui demande s’il prend le temps de continuer à goûter le pont du bonheur…

Barbara Engelhardt : J’ai si peu eu le temps de me promener depuis un peu plus d’un an que je suis à Strasbourg… très banalement, je vous parlerais du patio du Wacken qui est aussi mon lieu de travail bien sûr. Mais ces murs racontent l’histoire de ce quartier et, au-delà, une partie de celle de Strasbourg. Il y a une patine dans ce bâtiment qui me plait beaucoup…

Eva Kleinitz : Pour ma part, moi qui n’ai ni voiture ni vélo, j’adore marcher. Alors je dirais que j’aime particulièrement aller à pied de l’Opéra vers la passerelle des Bateliers et ses cadenas posés par les amoureux avant de rejoindre la place d’Austerlitz via la petite place des Orphelins. Sur tout ce parcours, je m’arrête souvent pour regarder de plus près une maison, il m’arrive même de revenir quelquefois sur mes pas. Je ne m’en lasse pas…

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