FIP I Ce « on » sans visage…

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Agnès, Amélie, Anne, Catherine, Marie-Lyne, Muriel, Natascha et Pascale, je vous écris à vous huit personnellement puisque c’est bien de vous dont il s’agit aujourd’hui, de prime abord…

Car vos huit voix sont FIP Strasbourg.
Vos huit voix, mais aussi vos talents d’écriture, vos expertises à toutes, à la fois sur vos auditeurs et aussi sur les milliers et milliers de manifestations culturelles d’un bout à l’autre de votre zone de diffusion et même au-delà que vous n’aurez jamais cessé de promouvoir ardemment, obstinément, magnifiquement… Avec ce talent inné pour détecter l’exceptionnel à travers un simple communiqué de presse, deviner les enthousiasmes avérés ou potentiels, comprendre intimement ce qui nourrit l’âme quand on s’assoit dans le fauteuil d’un théâtre, d’un cinéma ou d’un centre culturel ou quand on se masse debout au pied d’une scène, ou encore quand nos pas nous font surgir de façon imprévisible devant une œuvre accrochée aux cimaises d’une expo et qui va si mystérieusement nous parler au plus profond…
Ça n’a l’air de rien écrit comme ça, mais il faut savoir en quelques mots transmettre, sans rien galvauder, ce plaisir si précieux d’inciter à la découverte et de mobiliser autour de ce que les artistes s’ingénient à nous offrir : leur raison d’être.
Oui, tout cela a toujours été bien au-delà de la délicieuse suavité de vos voix, de leur douceur de mohair ou de leur rugosité si parfaitement maîtrisée, parfois…

Vos huit voix sont encore FIP Strasbourg pendant quelques heures, à l’heure où je publie ce post.
Car à 19h tout à l’heure en ce funeste 18 décembre 2020, le couperet va tomber. On va ligoter vos cordes vocales, on va vous bâillonner et vous obliger à rendre les clés de votre minuscule studio-bocal au sein des locaux de Radio France à Strasbourg.
Sincèrement, on n’aura jamais autant réuni de talents sur si peu de mètres carrés…

« On » a décidé qu’il en serait ainsi et cette fois-ci, ce « on » a fini par gagner, après maintes tentatives depuis des décennies, toutes repoussées pied à pied grâce à la mobilisation des auditeurs (n’est-ce pas chère Agnès, toi qui fus depuis si longtemps de tous ces combats)…

Ce « on », qui a gagné, n’a pas de visage. C’est un « on » des temps d’aujourd’hui, froid, anonyme, planqué…

Ce « on » n’est pas Sybile Veil, la présidente-énarque de Radio France, ce haut fonctionnaire qui a partagé jadis les bancs de la même promo de l’ENA à Strasbourg avec un certain Emmanuel Macron et dont le grand public n’aura retenu jusqu’alors que la façon jouissive dont les chœurs de Radio France ont dynamité sa matinée des vœux 2020, le 8 janvier dernier, en plein cœur de la plus longue grève de l’histoire du groupe.
Que peut un tableur Excel juché sur d’interminables Stylettos quand des dizaines de choristes entament le Choeur des esclaves de Nabucco de Verdi, chant de résistance s’il en est ?
Rien, sinon rester bras ballants et sans voix, ce qui est quand même un comble pour la présidente de la première radio de France. Les vœux de l’exécutrice des basses œuvres n’ont jamais repris puisqu’après ce moment d’anthologie, les salariés de Radio France ont envahi pacifiquement la scène du studio 104 en martelant leur slogan : « Sybile, ton plan, on n’en veut pas ! ». Le tableur Excel a alors actionné automatiquement la touche « Escape » et a quitté la scène.
On peut (re)déguster ce moment d’anthologie via ce lien.

Ce « on » qui a gagné n’a pas non plus le visage de Bérénice Ravache, la directrice générale de FIP. Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises (dont l’ultime fois durant près de deux heures d’une discussion sur le fond plus qu’intéressante), je peux témoigner qu’elle ne fut jamais que l’impuissante exécutrice du plan instigué par Mathieu Gallet, le précédent président de Radio France, condamné pour favoritisme, en première instance, en 2018, dans une affaire d’attribution de marchés lors de son mandat à l’INA, et alors démis de ses fonctions à Radio France par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Bérénice Ravache, la main sur la couture du tailleur Chanel, n’aura été que le pauvre adjudant de service…

Ce « on » qui a gagné n’a même pas le visage d’un des ministres de la culture qui se sont succédés sous les ors de la rue de Valois durant toute la durée de mijotation de ce plan. Pour en avoir personnellement parlé « entre quatre yeux » à Françoise Nyssen lors de l’été 2019 en préparant sa venue aux Bibliothèques idéales et en réalisant un long entretien pour Or Norme, je peux affirmer que celle qui venait de quitter son siège ministériel quelques mois auparavant ignorait jusqu’à la réalité de l’existence des trois stations « hertziennes » de FIP Strasbourg, Nantes et Bordeaux qu’on va décapiter dans quelques heures. On ne peut même pas décemment lui en faire le reproche personnellement, mais plutôt déplorer que dans son très fourni entourage ministériel, pas l’ombre d’un jeune énarque n’ait jamais attiré son attention sur ce point…

Ce « on » qui a gagné n’a même pas le visage d’un sous-directeur plus ou moins courtelinesque du service « Economies contraintes et forcées » logé sous les soupentes du bunker de Bercy. Je raille un peu certes, mais à peine au fond : que pesait le budget des vacataires des trois antennes locales de FIP dans le budget global de FIP qui est de moins de 1% des 650 millions d’euros de budget de Radio France, vous avez bien lu : moins de 1% des 650 millions d’euros de budget de Radio France ? A ce stade, même au microscope électronique, on a du mal à déceler la somme minuscule qui était en jeu, n’en déplaise aux éternels amoureux des économies budgétaires soi-disant impératives. A peu près la valeur résiduelle du tablier du patron dans le bilan d’une boucherie de quartier en difficulté financière…

Ce « on » qui a gagné n’a même pas le visage de l’un ou l’autre des politiques concernés par le dossier tel le député du Bas-Rhin Bruno Studer, par ailleurs (et surtout) président de la commission des Affaires culturelles et de l’Education à l’Assemblée nationale. Au sein du comité de soutien de FIP Strasbourg, nous avons été quelques-uns à avoir pensé un temps (moi le premier) que son rôle éminent au sein de l’Assemblée nationale aurait pu arracher in-extremis le maintien des trois équipes locales d’animatrices. Notre illusion s’est dissipée le jour où nous entendîmes de nos propres oreilles (nous étions trois représentants du comité de soutien à le rencontrer) ce député bien sage et obéissant nous annoncer : « J’ai voté le budget de Radio France, je n’ai pas l’intention de revenir dessus pour quoi que ce soit ». J’ai noté ensuite son regard froid et sans âme quand il ne daigna même pas commenter ma remarque : « donc, le sort d’une radio publique d’excellence, fabriquée sur votre propre circonscription vous laisse indifférent… ». C’était il y a dix-huit mois, je me suis juré depuis de plus avoir à rencontrer de nouveau un carriériste pareil…

Ce « on » qui a gagné n’a pas de visage du tout, en fait. C’est un monstre virtuel, nourri par les innombrables tubulures d’un système épouvantable qui dépasse de très loin les seuls enjeux du système audio-visuel et culturel français. Ce monstre virtuel, mais dont les tragiques agissements accablent des myriades de peuples à travers le monde, est engendré par un système où l’oligarchie et son bras armé la technocratie règnent en maîtres absolus, bien au-dessus des dirigeants élus par nos démocraties fatiguées.

Nous en arrivons aujourd’hui à neuf mois durant lesquels notre société a été totalement bouleversée par les effets d’un virus qui finit de ravager un système complètement à bout de souffle. Au même titre que les restaurants et bars qui, dans tant d’endroits de notre pays, remplissent cette indispensable mission de lien social, la culture est méprisée, asphyxiée, menacée par une embolie fatale. Et le martyre va encore durer de longs mois, vraisemblablement et malheureusement…
Quand ce sale cap sera passé, la culture fera cependant tout pour se relever le plus vite possible des décombres. Car tous ses acteurs, publics ou privés, géants ou tout petits, auront été tellement privés de cette disposition première et naturelle qui est la leur et qui est de distribuer de l’amour et de la fraternité qu’ils redoubleront d’efforts pour que tout renaisse.

Le ruban musical national de FIP va désormais être diffusé H24 par FIP Strasbourg. Mais des milliers et des milliers d’entre nous n’entendront que le silence des voix éteintes. Vos voix, Agnès, Amélie, Anne, Catherine, Marie-Lyne, Muriel, Natascha et Pascale, vos voix qui, au fond, ne diffusaient que cet amour qui avait fini par relier celles et ceux si nombreux qui vous écoutaient et à qui vous permettiez de soutenir toutes les initiatives des artistes et des maisons qui les accueillent d’un bout à l’autre de la région.

Ce « on » sans visage a donc fini par exterminer tout ça.
L’hiver débute. Il sera très long…

Jean-Luc Fournier
Directeur de la rédaction de Or Norme Strasbourg