Fondation Beyeler, Georgia on our mind

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Il avait fallu attendre trente-cinq ans après la mort de Georgia O’Keeffe pour qu’une rétrospective d’envergure soit dédiée à Paris à cette icône absolue du modernisme américain du tout début du siècle dernier. Ce fut l’automne dernier, à Beaubourg avec une centaine d’oeuvres venues du monde entier. La Fondation Beyeler a su rebondir sur l’événement, et présente à son tour 85 oeuvres de Georgia O’Keeffe, venues essentiellement des musées américains d’où elles sortent si rarement. La rétrospective bâloise est réellement somptueuse et à ne rater sous aucun prétexte…

« On prend rarement le temps de voir vraiment une fleur. Je l’ai peinte assez grande pour que d’autres voient ce que je vois… » Cette citation de 1926 colle parfaitement à l’oeuvre de cette peintre devenue très vite la figure emblématique de l’art moderne américain.
À cette époque, Georgia O’Keeffe n’a pas encore la quarantaine. Elle se souvient bien sûr de son enfance et de sa jeunesse, vécues essentiellement dans la campagne américaine, elle qui a grandi sur la ferme laitière de ses parents au coeur du Midwest américain, dans le Wisconsin. Repérée très vite comme possédant un don artistique indubitable, elle deviendra assistante puis ensuite enseignante en art d’abord à Charlottesville en Virginie, puis à Canyon, au Texas. D’ailleurs, l’expo de Beyeler n’oublie pas de présenter fusains et aquarelles de ses premiers travaux. Mais c’est en venant vivre à New York que sa carrière et sa vie vont prendre un tournant décisif…

Georgia O’Keeffe s’installe à New York en 1918 et devient vite membre à part entière d’un petit cercle d’artistes fédérés par Alfred Stieglitz, photographe, galeriste et promoteur éminent de l’art moderne américain. Dans sa galerie, le véritable coeur battant de l’art new-yorkais de l’époque, Stieglitz présente aussi souvent que possible l’avant-garde européenne, mais encourage également la jeune création artistique américaine, à qui il offre une vitrine qui leur permet de recueillir le soutien de nombreux mécènes parmi ses amis. C’est à cette organisation que Georgia O’Keeffe doit son émergence précoce et sa belle carrière qui s’ensuit. Sa relation sentimentale avec Joseph Stieglitz (qui deviendra plus tard son mari) renforcera bien sûr l’incontournabilité de son oeuvre lors de ces années où l’art américain émerge vraiment et ose se démarquer de son homologue européen qui, alors, fait pourtant feu de tous bois.

Jack in the Pulpit, 1930

La peintre des vagins

C’est donc un superbe voyage à travers les oeuvres exubérantes de cette peintre mythique que la Fondation Beyeler nous propose jusqu’en mai prochain. L’Histoire de l’Art a retenu de Georgia O’Keeffe ses fleurs géantes, leurs orgies de pétales envoûtants et leurs pistils gorgés de sensualité. Bien souvent, avant Beaubourg à l’automne dernier et maintenant Bâle, on ne les avait admirées que sur la plate surface des pages des livres d’art, en raison de la rareté de leurs présentations en Europe (elles ne quittent que rarement les quelques musées américains où elles sont accrochées, et encore plus rarement les collections privées).
Le choc n’en est que plus grand : si vous allez à Bâle, vous serez vous aussi ébahi par cette étrange sensation d’être littéralement aspiré par la béance du coeur de ces fleurs qui s’exposent enfin sous vos yeux. Il faut sans doute faire un grand effort d’imagination pour comprendre ce même choc ressenti dans les années vingt par une critique qui a été loin, de prime abord, d’applaudir les expos initiales de Georgia O’Keeffe.
En 1923, lors de la toute première expo, la révolution freudienne était déjà en cours et la pudibonderie américaine sévissait déjà aussi. La plupart des critiques se sont offusqués devant ce qu’ils imaginaient être l’exposition très crue du désir féminin et la provocation par l’exhibition d’images érotiques qu’ils jugeaient quasi indécentes. La peintre leur répliquera sèchement via la presse en les raillant et en suggérant qu’ils projetaient sur ses toiles leurs propres obsessions secrètes. Sans plus s’en soucier, elle poursuivra inlassablement son exploration du mystère des fleurs… Il faudra cependant attendre bien des décennies pour que disparaisse l’expression se voulant dégradante de « la peintre des vagins », longtemps accolée à l’oeuvre de cette peintre d’exception.

Abstraction Alexius, 1928

Une peintre rare

Aujourd’hui, l’oeuvre de Georgia O’Keeffe hypnotise plus que jamais par la sensualité, la lumière et les couleurs de ses toiles réellement fascinantes.
Comme toujours chez Beyeler, les rétrospectives n’oublient aucune facette des artistes présentés. Ainsi, on découvre aussi la nature et les paysages du Nouveau-Mexique que Georgia O’Keeffe a découvert en 1929 et où elle s’est mise à séjourner régulièrement pendant des années avant de s’y installer définitivement après la mort de Stieglitz en 1946. Ces oeuvres-là respirent tout autant la lumière et les couleurs et surtout confirment la coexistence étroite de la figuration et de l’abstraction qui aura marqué l’ensemble du travail de O’Keeffe. C’est donc une peintre rare (Le Centre Pompidou ne possède ainsi qu’une seule oeuvre de l’artiste !…) qui se voit superbement présentée par la Fondation Beyeler dont c’est, cette année, le 25e anniversaire.
Pour fêter dignement cet événement, deux autres expos sont d’ores et déjà annoncées, Mondrian à partir du 5 juin prochain et, au début de l’automne, l’exposition la plus complète à ce jour d’oeuvres de la collection de la Fondation, accompagnée d’une riche programmation.

Fondation Beyeler
Baselstrasse 101 – Riehen / Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8

Horaires d’ouverture
Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés

Oriental Poppies, 1927