Adrien Thomasson « Il peut arriver que l’on fasse des choses folles, par instinct et sans imaginer qu’elles vont être exceptionnelles… »

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À l’exception de quelques matchs vers la fin de saison qu’il aura manqués pour raison de blessure (et qui auront prouvé à quel point il fut précieux dans le jeu du Racing cette saison), Adrien Thomasson aura été de tous les bons coups, étalant en pleine lumière sa vista, sa constance et son opportunisme, en parfaite complicité avec le reste de l’équipe…

On précise que les contraintes de calendrier nous font réaliser cet entretien quelques jours avant le dernier match à Marseille et au lendemain de la victoire contre Clermont, avec ce but déterminant de votre part. Vous pouvez désormais analyser cette saison comme il se doit. Est-ce qu’un tel parcours est le parcours dont rêverait tout joueur au moment de ses débuts ou lors de ses premiers pas dans le monde du football professionnel ?

Oui, à coup sûr. À la base, en début de saison, rien n’était prévu dans ce sens, on sortait d’une très difficile saison 2020- 2021 où on avait acquis le maintien du club lors de la toute dernière journée. Au fil des journées qui s’enchaînaient, on a su peu à peu bonifier nos performances. Mais c’est vrai que chaque joueur a au fond de lui l’envie de vivre une telle saison…

Mais quand vous débutiez, tout jeune, chez vous en Savoie, la perspective de vivre de tels moments était-elle déjà inscrite quelque part en vous ?

Absolument, oui. Quelquefois je rêvais d’encore plus : gagner des titres à foison, jouer la Coupe d’Europe. Côté titre, ce fut la Coupe de la Ligue il y a deux ans et cette année, on tutoie l’Europe. Ces rêves étaient les miens depuis toujours, oui…

Pour revenir sur cette saison magnifique, le doute vous a-t-il habité à un moment ou à un autre avec ce début de saison un peu quelconque avec une équipe manifestement pas complète dans tous ses rangs ? Non, pas un instant et je ne dis pas ça avec le recul. Pas un instant parce que, très honnêtement, je savais qu’on travaillait très bien depuis le premier jour de la préparation. On avait fait une série de très bons matchs amicaux et même si les premières journées du championnat n’avaient pas reflété cette bonne préparation, je savais que le club allait faire des retouches avant la fin du mercato et au fond de moi je sentais qu’on allait vite progresser ensuite. J’étais confiant et je voyais déjà tout ce qu’on était capable de produire à l’entraînement. Il nous fallait une victoire probante, on l’a obtenue contre Brest ici à la Meinau. Il fallait ce déclic pour décoller…

Vos premières perceptions du nouvel entraîneur du club, Julien Stephan ?

Très bonnes. Au-delà de mes espérances, même. Dès le début de la préparation, on s’attendait à beaucoup courir et à beaucoup suer. Et on a beaucoup couru et beaucoup sué (rires), mais on sentait de nouvelles méthodes auxquelles on a tout de suite adhéré… Beaucoup de jeux avec le ballon, beaucoup de travail tactique dès le début de la préparation, on a retrouvé un plaisir qu’on avait peutêtre perdu les années précédentes, en tout cas la saison d’avant.

À ce stade de la saison, dès le début de la préparation, pour un nouvel entraîneur tout est à découvrir. Est-ce que Julien Stéphan vous a tout de suite expliqué là où il voulait en venir ou alors, a-t-il fait en sorte que par touches successives les joueurs comprennent et intègrent ses options ?

Julien Stephan n’a eu de cesse d’exposer ses grandes idées tout au long de cette longue période qui précède le premier match du championnat. Même si on était un certain nombre de joueurs avec une forte expérience, nous avions tous ce besoin que le coach s’exprime sur ce qu’il souhaite mettre en place et là où il veut précisément aller. Quand c’est fait, on rentre ensuite dans un long processus de travail à l’entraînement durant lequel l’entraîneur apprend lui aussi à nous découvrir en profondeur. Même si durant les premiers matchs on n’avait pas encore tout à fait assimilé ce qu’il voulait, c’est venu finalement très vite ensuite, avec les matchs qui s’enchaînaient.

Il y a ce fameux pressing qui est devenu un casse-tête pour bon nombre des adversaires du Racing. Comment s’adapte-t-on à une telle demande de l’entraîneur ?

Pour moi, c’est dû au travail quotidien. Dès le début de la semaine, on travaille tactiquement ce pressing, ce jeu sans ballon que le coach a mis en place dès le tout début : il nous l’a annoncé d’entrée. Durant les matchs amicaux, on n’était pas habitués à ça, on a été un peu surpris. Ce jeu-là, on était beaucoup de joueurs de l’effectif à vouloir le mettre en place, je pense que Julien Stephan s’en est convaincu lors des nombreux entretiens individuels qu’il a menés avec nous tous. On savait aussi qu’avec la ferveur du retour des supporters à la Meinau, le public allait nous pousser à fond dans ce sens. L’entraîneur a su nous persuader que nous pouvions aussi reproduire ce pressing loin de chez nous. Alors, on n’a pas changé de stratégie. Cette débauche d’énergie tout au long de la saison a également été rendue possible par tout le staff qui nous entoure, notamment les préparateurs physiques. C’est un tout !

Y a-t-il eu un moment de doute, au coeur de cette formidable saison ?

Non, pas vraiment. Même avec notre défaite un peu bébête à Bordeaux, on reçoit Nantes juste derrière et on remet en route la machine. On n’a jamais laissé le doute s’installer et on a su gérer les matchs-clés, vaincre Metz ici au mois de septembre avec une première mi-temps de rêve, cette semaine de décembre où on réalise le match nul à Monaco, on gagne chez nous contre Bordeaux trois jours plus tard et on s’en va gagner à Nice dans la foulée…

« Quand on n’a jamais joué au football, on ne se rend pas compte de l’importance d’un stade plein et d’un public enthousiaste à nos côtés. »

Un mot sur l’impressionnante force collective dégagée par l’équipe cette saison, et notamment l’ambiance extraordinaire qui régnait entre vous tous. De l’avis de beaucoup, elle aura largement conditionné la performance exceptionnelle du Racing cette saison…

Et c’était une réalité. Les gestes d’altruisme, de générosité et de solidarité se sont multipliés sur le terrain. J’en veux pour preuve les tirs des pénaltys. Il n’y avait pas de tireur attitré, alors un roulement s’est mis en place spontanément. Dès qu’un joueur manquait un peu de confiance en lui, les deux autres lui laissaient tirer le pénalty… Ces gestes-là sont tellement rares dans le football d’aujourd’hui où souvent les comportements individualistes passent avant le collectif. Nous, cette saison, on a inversé cette tendance individualiste et c’est d’une réussite globale dont je parle là : ça va de celle du président, de la cellule de recrutement de Loïc Désiré qui en ciblant les joueurs a aussi ciblé les hommes, de celle de l’entraîneur et ça se traduit par la nôtre…

Lors de l’avant-dernier match de la saison, ici contre Clermont, il y a un moment que beaucoup ont considéré comme formidablement symbolique de cette saison extraordinaire. Je parle bien sûr de l’action qui amène le but victorieux. C’est Maxime Le Marchand, revenant alors après un long arrêt pour blessure qui vous transmet un amour de ballon que vous transformez en but après une tête lobée stratosphérique qui se loge dans la lucarne auvergnate…

Oui, c’est exactement ça, c’est un but symbolique. Maxime a été éloigné de longs mois des terrains, mais il n’a jamais renoncé et il a été un exemple pour nous tous : il a toujours été bienveillant et positif durant sa longue rééducation et moi-même, j’ai connu pour la première fois de ma carrière une blessure aussi longue en manquant cinq matchs entre la fin de l’hiver et le début du printemps, durant lesquels j’ai dû ronger mon frein en regardant depuis les tribunes les copains s’arracher pour la gagne. Alors oui, ce fut un but incroyable, d’ailleurs il m’a fallu attendre de revoir les images pour me rendre compte de son caractère somme toute assez rare. La beauté du foot est là : il peut arriver que l’on fasse des choses folles, seulement par instinct et sans imaginer une seule seconde qu’elles vont être exceptionnelles…

On va terminer cet entretien par le fantastique public de la Meinau. Il faut dégainer tous les superlatifs possibles pour décrire sa présence et son influence…

Oh oui ! C’est ma quatrième saison au Racing et cette saison-là est très largement au-dessus des trois autres. On a senti que les gens étaient terriblement impatients de revenir au stade et nos résultats et notre façon de jouer les ont amenés avec nous. Cette saison, lors de chaque match, quand on est sur le chemin de notre venue à la Meinau depuis l’hôtel de la mise au vert, j’ai eu cette petite boule au ventre en sachant très bien que notre public nous attendait et que quoiqu’il puisse arriver durant le match, il allait nous pousser et nous sublimer. On en a fait une force, regardez notre parcours à domicile, on est invaincu depuis le début de l’année 2022 ! Les gens ne se rendent pas compte à quel point on a pu souffrir la saison d’avant, quand le public n’était pas là en raison de la pandémie. Quand on n’a jamais joué au football, on ne se rend pas compte de l’importance d’un stade plein et d’un public enthousiaste à nos côtés. Quand on entre sur le terrain pour l’échauffement, je vous jure, on a des frissons… »

 ©Alban Hefti