Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg « Il n’est pas question de baisser les bras…

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Article publié dans le cadre du dossier « L’incroyable fiasco du REME »   (Or Norme N°48 en mars)  à découvrir également en ligne

Avec Thibaud Philipps, Alain Jund forme un duo qui a su dépasser les clivages politiques traditionnels pour se consacrer corps et âme à l’avènement de ce REME aujourd’hui si controversé après ses débuts calamiteux. Lui non plus ne cache pas sa colère envers la SNCF, mais ne veut pas perdre foi en l’avenir…

Vous partagez bien sûr la narration de l’historique de ce projet du REME strasbourgeois avec Thibaud Philipps. En partagez- vous les leçons qu’il en tire, pour l’essentiel un projet trop ambitieux, non phasé et dont la faisabilité a été mal évaluée par la SNCF qui aurait agi en le considérant comme une sorte de super TER là où une logique de RER Transilien aurait dû être de mise dès le départ ?

Personnellement, je suivais ce dossier depuis deux ans dans le cadre d’une construction commune avec la Région Grand Est aux côtés de David Valence (le maire de Saint-Dié, devenu aujourd’hui député – ndlr) auquel Thibaud Philipp a succédé, brillamment, je tiens à le souligner. Dès 2020, donc, nous savions que nous étions dans une logique qui dépasse de loin l’échelle de la ville et l’agglomération de Strasbourg. La logique a donc été la mise en place d’un réseau express métropolitain qui puisse permettre aux gens qui habitent à vingt, trente ou quarante kilomètres de rejoindre la capitale alsacienne, mais aussi, et ça on l’oublie quelquefois, aux autres usagers de se rendre dans les autres villes du Bas-Rhin. C’est sur ces bases que le projet s’est progressivement concrétisé et si nous en sommes arrivés à ce nombre de 800 trains supplémentaires par semaine, c’est bel et bien qu’il a été proposé par la SNCF, sur la base de sa propre expertise. Je me souviens parfaitement d’une réunion qui date de juillet dernier où siégeaient la Préfète de région, Jean Rottner le président de la Région Grand Est, les deux directrices opérationnelles de la SNCF, Mmes Dommange et Berrut, réunion où je représentais Pia Imbs… À un certain moment, la Préfète a formellement demandé aux représentantes de la SNCF si leur société allait pouvoir relever le défi. La réponse a été claire et limpide : « Pas de problème, on s’y engage… » Cet engagement a même été confirmé par écrit. En ce qui me concerne personnellement, j’avais bien sûr entendu les avis des syndicats du ferroviaire qui n’hésitaient pas à évoquer leur scepticisme, mais dans la mesure où la directrice régionale ainsi que le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, étaient formels, nous n’avions pas de raisons particulières de nous inquiéter même si, bien sûr, nous savions que ce défi était important à relever pour la société nationale. D’autant que nous savions aussi que la SNCF avait un grand besoin de prouver une fois de plus au gouvernement et aux collectivités qu’elle était le principal opérateur ferroviaire en France, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence qui se profile. De plus, le président Macron, au détour d’un dimanche soir, avait déclaré sa volonté de voir naître une vingtaine de projets similaires dans les grandes agglomérations de France. Alors, il nous paraissait évident que la SNCF ne pouvait pas se permettre un échec sur le REME strasbourgeois. Un objectif de 120 trains supplémentaires par jour ne paraissait pas démesuré à atteindre. Et ce projet, pour Strasbourg, mais aussi pour toutes les communes de la métropole et même au-delà qui étaient concernées, était la réponse idéale pour faire face aux enjeux climatiques, notamment, d’autant plus que la ZFE se mettait en place au 1er janvier dernier pour restreindre le nombre de voitures pouvant pénétrer dans l’Eurométropole. Bref, si nous n’étions certes pas dans une confiance aveugle, nous avions toutes les raisons de penser que la SNCF tiendrait son pari…

Aujourd’hui, avec deux mois de recul puisque nous nous rencontrons ce 13 février, une semaine avant le bouclage du présent numéro, un manque de confiance flagrant envers la SNCF s’est installé au niveau des usagers. On peut même parler de colère…

C’est flagrant, en effet et c’est justifié. La défiance et le mécontentement sont partout : chez les usagers d’avant le 11 décembre, premier jour de mise en place du REME : ceux-ci ont carrément perdu des trains parmi ceux qu’ils affectionnaient, j’en connais personnellement un certain nombre, dans la vallée de la Bruche ou à Limersheim par exemple… Beaucoup ont perdu de saines habitudes : « Auparavant je descendais de ma vallée vosgienne, je stationnais ma voiture à Sélestat et je prenais le train » m’a dit l’un d’entre eux, un retraité actif qui vient chaque semaine à Strasbourg. « Et bien, désormais, je viendrai en voiture dans la capitale régionale… » m’a-t-il avoué d’un air désemparé. Mais la défiance est également présente chez les potentiels nouveaux passagers qu’un REME fonctionnant normalement aurait immanquablement attirés vers le train : il va être compliqué de les réactiver, ceux-là… Et, pour finir de brosser ce tableau de la défiance, il y a immanquablement un manque de confiance qui s’est installé entre les collectivités et la SNCF. Et ce ne sont pas les dernières réunions qui vont nous rendre optimistes : lors de ces réunions, ils nous ont dit que ce n’était pas lié à un manque de personnels, que ce n’était pas un problème de matériels roulants. C’était selon eux un problème d’organisation. Je ne suis pas intimement convaincu que ce ne soit que ça, mais bon, l’organisation, c’est pleinement la prérogative de la SNCF. Le week-end du 11 février dernier, selon leur propre plan de transport adapté, il devait y avoir une augmentation de l’offre. Et bien, la veille même de ce week-end, le vendredi 10 février précisément, ils nous ont annoncé qu’ils n’y arriveraient pas… Résultat : les usagers restent furieux, rien n’avance. Et c’est pareil pour nos collègues élus des petites villes : le maire de Hoerdt, qui est un copain du temps de la Fac, ne sait plus quoi répondre à ses concitoyens, lui qui s’est basé sur nos promesses, celles de la Région et de l’Eurométropole…

On a quand même le net sentiment que tout le monde est dans le brouillard…

C’est le mot, c’est exactement ça. Cette rupture de confiance pour les usagers et les collectivités nous fait nous demander si d’ici la fin 2023, on parviendra à mettre efficacement en oeuvre ce qui devait être réalisé le 11 décembre dernier. Un courrier vient de partir à l’attention de Clément Beaune (le ministre délégué chargé des Transports – ndlr) et Jean-Pierre Farandou, le président de la SNCF. Il est signé conjointement par le président de la Région et par la présidente de l’Eurométropole et il interpelle ces deux personnalités sur leurs responsabilités visà- vis de la situation. En ce qui me concerne au niveau de mes responsabilités à l’Eurométropole, nous avons cessé à la fin janvier dernier de payer notre part du montant de la subvention amenée par les collectivités. Car le service escompté n’est pas rendu. Ceci dit, il n’est pas question pour autant de baisser les bras. C’est pourquoi Thibaud Philipps et moi avons prévu désormais de rencontrer la SNCF tous les quinze jours pour acter d’une façon extrêmement précise l’état d’avancement du redressement attendu. Et rappeler sans cesse, si nécessaire, qu’on n’est pas seulement dans la volonté de faire un beau REME et que les enjeux vont infiniment plus loin : il y a l’urgence climatique, l’essence qui en est à deux euros le litre, il y a un problème sanitaire souvent aigu avec la qualité de l’air… En outre, le REME strasbourgeois est observé à la loupe par une bonne quinzaine d’agglomérations, Lyon, Bordeaux, Nantes, Grenoble…, toutes prêtes à s’engouffrer dans la brèche que le réseau strasbourgeois aurait ouverte. Aujourd’hui, ce caractère exemplaire est devenu plus que chaotique et il faut aussi que la SNCF se rende bien compte de l’altération de son image au moment où la concurrence s’annonce sur certaines lignes. Les autorités de transport ne vont-elles pas s’intéresser encore plus à ce que propose le privé ? En un mot, le scepticisme envers la SNCF s’est accru, indiscutablement… Ici, cet accident industriel a mis en doute les capacités d’une grande entreprise comme la SNCF à assumer les missions qui lui incombent.

Sincèrement, ce fiasco est-il rattrapable à terme, c’est à dire d’ici la fin de l’année si je suis votre argument ?

On l’espère vraiment. Pour nous, Région et Eurométropole, il est évident que d’ici la fin de cette année, il faut parvenir à mettre parfaitement en oeuvre ce qui était prévu à partir du 11 décembre dernier. Certaines lignes vont ensuite être mises en concurrence : celles vers Lauterbourg, celle de la vallée de la Bruche et la liaison transfrontalière entre Strasbourg et Offenbourg. Je pense que la SNCF a encore le temps et la capacité de se rattraper, mais il y a quand même péril en la demeure, c’est certain…

La capacité technique et logistique, pourquoi pas, mais a-t-elle la capacité financière pour opérer ce redressement ?

Il est vrai que depuis des décennies, de gros investissements ont été réalisés sur les trains à grande vitesse et que le train du quotidien, comme je l’appelle, a pris beaucoup de retard. L’État devrait beaucoup plus se mobiliser pour doter la SNCF des budgets dont elle a besoin. Un simple exemple, mais il est révélateur : en huit mois, l’État a mis 7,5 milliards d’euros sur la table pour les aides à la pompe. En même temps, il a mis 300 millions d’euros pour aider les différentes autorités de transport dans leurs projets, 200 millions pour l’Ile-de-France et 100 millions pour le reste du pays. Cela a des conséquences directes sur le REME : quand on voit l’état délabré du réseau entre Strasbourg et Lauterbourg, par exemple. C’est simple, il n’est pas question d’augmenter le cadencement sur cette ligne, c’est impossible, techniquement. On ne peut en vouloir ni à la SNCF ni à la Région, mais à ces politiques publiques qui ont fait que le train du quotidien a été délaissé et est devenu comme anecdotique. Un peu partout, il a fallu se battre pour que certaines lignes ne ferment pas…

Une dernière question. Pensez-vous réellement et en toute franchise qu’à la fin de la présente année, le REME strasbourgeois sera activé pleinement comme il devait l’être il y a trois mois ?

Oui, je le pense intimement. Je pense que la SNCF va se mobiliser désormais beaucoup plus pleinement et je ne peux pas imaginer qu’au niveau du ministre et même de la présidence de la République, il ne se passe rien dans un futur proche. Les enjeux sont tellement gigantesques : les transports représentent à eux seuls le tiers des émissions de gaz à effet de serre. On ne peut pas de permettre de laisser filer, comme on dit. Le développement du train du quotidien est aussi une réponse à des enjeux liés à l’aménagement du territoire. Et cet enjeu transgresse les options politiques des uns et des autres, ce qui est un atout aussi… »

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Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg © Nicolas Roses

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