Audrey Friedmann Decker : Sans faire grincer les dents

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Audrey Friedmann Decker est née dans une famille de sportifs, un père champion de France de Hand, une mère championne de France de Volley (et même un mari handballeur à la Robertsau). Le sport dans la peau, mais un métier, chirurgien-dentiste. Pendant longtemps, elle est passée de son cabinet aux courts de tennis, mais tout cela est derrière elle…

Dans son armoire à souvenir, il y a des moments que seul le sport peut créer, des titres, des exploits, un classement à 3/6 et des désillusions, comme tout le monde.
Cette Strasbourgeoise aime toujours autant le tennis, et comme chaque année, elle ne ratera pas les IS qui se déroulent dans l’enceinte d’un club qu’elle connaît bien.
Quand on parle de tennis avec Audrey Friedmann, on devine très vite qu’elle s’y connaît. Elle défend le jeu proposé par les femmes sur les cours des IS et d’ailleurs, un spectacle qui s’oppose aux stéréotypes masculins. Elle a ses idées Audrey, et elle n’hésite pas à les partager.

« Partager et donner, plutôt que prendre… »

Elle fait partie du comité du Tennis Club de Strasbourg depuis une dizaine d’années, elle a déjà organisé un bon nombre d’événements, quand, en 2012, le président Bernard Braun passe la main. Elle est dans la course pour lui succéder à la tête de l’un des plus grands clubs en France avec ses 1000 licenciés. Deux listes sont créées, mais sans elle finalement, alors qu’elle a le profil idéal, qu’elle peut légitimer par les urnes une crédibilité acquise sur le terrain.
Mais cette légitimité a des limites qu’elle ne soupçonne pas : « les mentalités ont du mal à changer. Pour certains, il est impossible d’accepter qu’une femme devienne présidente d’un club de tennis » balance Audrey. C’est finalement Thierry Bechmann qui est nommé président et qui mènera une politique trop loin des idées qu’elle se fait du monde associatif : « Ma définition c’est partager et donner, plutôt que prendre ». C’est l’époque où le TCS engage, comme plusieurs clubs en France, des joueurs de haut-niveau pour défendre ses couleurs, pour jouer quelques matchs en fin de saison internationale avec l’ambition de devenir champion de France. La priorité est le haut niveau. Ainsi, sur la moquette du Wacken, quelques-uns des meilleurs du monde, des Français comme Gilles Simon ou Paul Henri Mathieu s’affrontent. Pierre-Hugues Herbert, qui n’était pas encore le joueur qu’il est devenu, ou Albano Olivetti, sortent des matchs de folie dans une ambiance formidable, devant plusieurs centaines de personnes. Mais cette priorité à la compétition n’est pas du goût de tous, surtout quand le TCS est rétrogradé. Des tensions naissent entre les dirigeants et Thierry Bechmann perd son fauteuil en 2015. Audrey a observé cela de loin, les dents qui grincent, elle connaît !

« Pierre-Hugues Herbert n’a pas la grosse tête… »

Quand elle parle des mentalités du monde du tennis, elle ne dit pas que c’est un milieu misogyne, mais c’est tout comme : « Quand j’ai souhaité devenir présidente, j’étais enceinte. Pour certains, c’est une maladie je pense, ils ne savent pas que l’on peut faire plusieurs choses en même temps », dit-elle avec humour pour pointer du doigt les symptômes d’une société qui reste patriarcale. C’est loin tout cela, elle n’a pas été présidente du TCS, mais c’est peut-être un mal pour un bien, elle a eu plus de temps pour s’occuper de ses enfants.
Elle joue le double mixte au championnat d’Alsace avec Pierre-Hugues Herbert.
Ses deux filles ne semblent pas, pour le moment, marcher sur les pas de leur maman, car Audrey a commencé le tennis à 9 ans, au TC Oswald, pour atteindre à 23 ans son meilleur classement (3/6). Elle joua aussi à l’ASS qui est devenu le TCS, fut championne d’Alsace de double dames, remporta quelques titres, disputa les préqualifications des IS quand le tournoi se jouerait à Hautepierre, et s’est fait de jolis souvenirs en championnat de France avec l’équipe 1 du TCS : « On n’avait pas trop de moyens, mais nous avons failli monter en National 1 ; une année, à Nice lors de la dernière journée, nous avons été battues par une jeune de 12 ans qui a passé un 6/0 6/0 à l’une de nos joueuses, cette jeune fille, déjà très bagarreuse, était Alizée Cornet. Je me souviens de son caractère très fort. Dans mes meilleurs souvenirs, il y a aussi le double mixte au championnat d’Alsace avec Pierre-Hugues Herbert quand il avait 15 ans. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, il n’a pas la grosse tête ».

« J’allais arrêter quand j’ai découvert que j’avais un super revers »

Sa meilleure perf est une victoire à 1/6 quand elle était 15/1. À Cronenbourg, un match de trois heures, avec son jeu atypique, un peu comme celui de l’Italienne Francesca Schiavone qui a gagné Roland-Garros en 2010 et les IS deux ans plus tard : « Je faisais service-volée, avec un bon coup droit d’attaque. Je décalais tout sur ce coup, ce qui me demandait beaucoup de physique. Mon seul regret est qu’aucun entraîneur n’a vu que mon revers naturel était à une main. J’aurais pu aller plus haut. À l’époque, on pensait que les filles n’avaient pas assez de force pour jouer à une main. Au moment où j’allais arrêter, j’ai découvert que j’avais un super revers ».
Car, quand elle décide de mettre un terme à sa carrière, elle a 35 ans et son travaille de chirurgien-dentiste ne lui permet plus de se préparer ou se s’échauffer correctement, elle arrive aux matchs au dernier moment et du coup, se blesse souvent : « J’étais 5/6, mais j’ai arrêté, à cause des blessures, cela devenait compliqué d’arriver au cabinet avec des béquilles. J’ai fait un choix, mais ma carrière était bien derrière moi ».
Elle choisit de blanchir les dents, moins les lignes, mais sans regret, consciente que son état d’esprit de compétitrice n’aurait pas suffi, qu’il lui manquait des qualités physiques pour atteindre le sommet. « Je pense que si j’avais fait carrière, je me serais blessée souvent, et puis, grâce au tennis, j’ai appris à me bagarrer avec moi-même ; quand on a l’habitude de se bagarrer sur un court, on se bagarre dans la vie, on est plus fort ».
Aujourd’hui, elle joue parfois avec ses filles dont une est à l’école de tennis, mais elle préfère la peinture ou le jardinage, même si l’on sent que la passion du jeu n’est jamais très loin…

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