Carthographier la musique pour la transmettre

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Stéphane Clor est artiste, musicien, poète de lignes sonores sur papier. Il est de ces personnes qui souhaitent offrir au monde. Transmettre. Tout le monde ne sait pas lire la musique, ces partitions sèches, millimétrées et enfermées dans les carcans immuables d’un art trop souvent réservé aux classes supérieures. Son projet Écouter les lignes, tracer les sons a été construit avec cette volonté d’ouvrir la musique à celles et ceux qui n’en ont pas les codes. Stéphane Clor dessine les sons, les sentiments. Et nous accueille dans son atelier du Bastion 14…

Son atelier, lumineux et rempli de projets, est occupé par quelques plantes et un curieux instrument à cordes… Il est le compagnon de route de celui qui a commencé la musique sur le tard, vers 17 ans, en dernière année de lycée. En 2007, il passe les concours d’entrée au conservatoire. Sa réflexion sur la démocratisation de la musique commence peut-être à ce moment, celui où, devant ses partitions, il ne sait les déchiffrer, contrairement à ses camarades. Loin de rester un obstacle, cette difficulté le nourrit, et il poursuit jusqu’au Diplôme national Supérieur de Musicien Professionnel, qu’il obtient en 2013. Son parcours, en improvisation jazz, l’emmènera notamment à Vienne, à l’Universität für angewandte Kunst (l’Angewandte), puis sur plusieurs résidences à travers l’Europe, dont Gdansk (portée par Apollonia).

L’ART EST POLITIQUE, POURQUOI PAS SOCIAL ?

Les expériences de Stéphane Clor le mènent à s’intéresser aux projets de terrain, à réfléchir à l’inclusion de l’art dans le quotidien des gens : « je voulais déjouer les lieux habituels de diffusion des arts. Il y a souvent ce mythe de l’artiste mystique, avec une forme de génie qui lui vient d’ailleurs… Ce que je crois c’est qu’il s’agit en fait d’un travail très concret, et même politique. La façon dont nous nous inscrivons dans nos pratiques parle de cela. Lorsque j’avais travaillé avec des gens du quartier durant ma résidence à Gdansk, sans parler un mot de polonais, c’était une prise de position. », explique-t-il. La médiation, la création-médiation, sur le terrain lui tiennent à coeur pour jouer de la sempiternelle cage dorée de l’art : la scène, la galerie, les expositions… Cette dimension sociale, sociétale, se retrouve constamment sur un fil de sa pensée. Pour parvenir à démocratiser la musique, s’adresser à des personnes qui ne lisent pas le solfège, il développe un « Atlas phonographique ». Les lignes, les formes s’étalent sur la feuille. Qu’est-ce donc ? « C’est un support de jeu, de déclenchement d’un travail collectif, un nouveau mode de transmission ».

© Nicolas Roses

CARTOGRAPHIER LA MUSIQUE : MATHÉMATIQUES ET SENTIMENTS

Le musicien suit la graphie sonore exposée derrière lui : « Les lignes sont des sons continus, les cercles des battements harmoniques… Chaque élément graphique a des correspondances sonores. Le dessin est à la fois signifiant, et abstrait. ». Abstrait ? Il s’agit alors de dynamique, une inspiration, une application. L’idée est de travailler sur la représentation du son, pas de le cadrer à la manière d’une partition. Cette idée de paysage sonore, on la retrouve par ailleurs chez John Cage. Les travaux de Stéphane Clor font appel à une certaine synesthéie. D’ailleurs, la volonté de rendre une approche plus émotionnelle au musicien, qui se contente de mécaniquement jouer une partition, se retrouve. Une forme de relance de créativité. Le dessin est une passerelle entre l’improvisation et l’écriture. « Je travaillais sur ma dernière résidence avec un mathématicien, et il amenait la question de l’inconscient dans la création ». Inconscient pour lequel l’infl uence sur ce projet de l’exercice depuis deux ans du fi eld recording, l’enregistrement d’un milieu (forêt, marécage, ville…), par l’artiste, ne semble pas être imperméable. Un parallèle établi puisque l’art reste de la recherche, intuitive, sensible… Et finalement assez proche de la recherche en mathématiques. « Nous avons étudié ensemble l’oeuvre d’Alexandre Grothendieck*, mathématicien discret ayant travaillé sur la géométrie algébrique abstraite, pour établir une façon didactique de construire une transmission efficace. » Le scientifi que souhaitait voir son oeuvre accessible à tous. Une volonté qui résonne fortement chez Stéphane Clor. Rendre la musique abordable, l’amener dans les quartiers populaires, est un enjeu que le musicien transposera de nouveau cet été, avec son équipe, dans le festival Les Habitées : Expériences artistiques en lieux multiples, paritaire et inclusif, à retrouver du 21 au 24 juillet. Un festival qui, malgré son originalité et la réputation de ville au premier budget culture de Strasbourg, subit également la tendance à la baisse des subventions et aides au secteur culturel.

*Récoltes et Semailles, pendant longtemps un PDF trouvable uniquement par sections, a été édité aux éditions Gallimard en deux tomes augmentés en janvier 2022 – ndlr

Stéphane Clor est à retrouver au Bastion 14, 1 rue du Rempart à Strasbourg.
Sur sa tournée solo à suivre sur : stephaneclor.net
Festival : leshabitees.net

 © Nicolas Roses

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