Confinement, création et aiguilles : rencontre avec le tatoueur Jubs

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Le milieu du tatouage a lui aussi subi la crise. Les artistes-tatoueurs retrouvent depuis peu leurs clients au milieu de nouvelles règles sanitaires, nécessaires mais parfois contraignantes voire incohérentes, quand la passion de l’encre se dissout dans le manque de considération. Entretien avec Jubs, tatoueur strasbourgeois qui nous parle de création, de responsabilité et de confiance.

Or Norme : Comment le confinement s’est déroulé pour toi ? Comment l’as-tu vécu en tant qu’individu et en tant qu’artiste ?

Quand le confinement est arrivé, personne ne s’y attendait. Vu que j’avais bossé comme un dingue avant, j’étais en mode : « mois de mars je ne vais rien faire ». J’étais confiné chez ma chérie, je me suis dit qu’il était temps de se reposer vraiment, sauf qu’une fois que je me suis retrouvé à n’avoir rien à faire, je me suis évidemment dit que j’allais dessiner (plus que d’habitude – rires -), j’avais justement l’idée de faire une exposition de dessins en référence à tout ce que j’avais vu lors de mes récents voyages : c’était le moment. Du coup je n’ai pas arrêté de dessiner pendant le confinement, parfois même trop ! Mais c’était sans pression, par pur plaisir. Le confinement m’a permis de remettre en question comment je travaillais ; techniquement déjà, à force de regarder mes influences et ce que postaient mes amis, j’ai eu envie d’essayer des choses que je ne faisais pas forcément et d’apprendre de nouveaux styles… Le confinement a également changé la vision que j’ai de mon métier. Le tatouage, c’est aussi du dessin, de la peinture, on est tout le temps en pleine création, on a un des meilleurs boulots du monde, mais au final on est toujours à fond, là je me suis dit que c’était l’occasion de revenir à un rythme plus cool. Les gens nous font confiance pour un acte qui va les marquer à vie. J’essaie de ne pas les faire attendre… Mais avec le confinement je me suis rendu compte que si je voulais m’investir encore mieux, je devais justement lâcher l’accélérateur, prendre plus de temps encore que je n’en prenais avec les gens. Ça m’a donné envie d’être plus relax.

Session de dessin ©DR

Comment as-tu réussi à garder le lien avec la communauté du tatouage, collègues et clients ?

Mes clients sont cool, ils ont tous été très compréhensifs : « on a compris que t’étais pépère donc nous aussi on l’est ». Pas de pression. Ils m’ont tous dit qu’on se recontacterait à la fin du confinement. En fait on se donnait plutôt des nouvelles du genre « comment tu vas ? » plutôt que de parler d’une séance à venir. Sinon je me suis évidemment attaché à prendre des nouvelles de collègues proches, on parlait de sujets dont on ne parlait pas forcément avant, c’était plus amical que professionnel là encore.

Flash pour un bodysuit ©DR

Les tatoueurs sont des indépendants, comment la profession sort-elle de ces semaines de confinement ?

Aujourd’hui, je suis une fois de plus en colère contre le système français par rapport au tatouage. Tin-Tin (artiste tatoueur renommé) avec le SNAT (Syndicat National des Artistes Tatoueurs) a pris les choses en main pour proposer un protocole, qui a été une première fois validée ; on nous a dit : « pas de problème vous pouvez bosser comme ça ». Et là on a reçu un communiqué nous disant que finalement notre protocole n’était pas spécialement validé par les autorités sanitaires. On est, encore et toujours, vus comme des vilains petits canards, c’est heureusement en train d’évoluer dans la tête des gens, mais a priori pas dans la tête des élites, qui disent qu’on est borderline. Il n’y a aucune considération pour le milieu du tatouage pourtant notre profession a aussi été durement touchée et on se bat pour elle tous les jours. Trois mois à la maison, même avec des aides, ça ne va pas couvrir les charges d’un studio de tatouage, il faut que le gouvernement comprenne l’ampleur des dégâts. Je pense que ça va changer beaucoup de choses pour nos professions, des studios vont mettre la clef sous la porte, les petits jeunes notamment, d’autres vont tenir mais avec des règles d’hygiène encore plus sévères qu’avant.

©DR

Avec l’accord du SNAT vous avez pu malgré tout rouvrir à partir du 11 mai, quels sont les nouveaux protocoles que vous avez justement mis en place pour répondre aux normes sanitaires dictées par le gouvernement ?

Je suis parti du principe qu’il fallait que je protège autant ma personne par rapport à la contamination, que mon client. On s’est basé sur les protocoles de base appliqués à n’importe quel commerce. Nous on est en contact direct avec nos clients, en revanche, je peux donc lui parler à 1m50 mais quand je dois commencer à le tatouer là ça n’a plus de sens… On a bien sûr adopté le port du masque obligatoire pour tout le monde. On a décidé de dire à nos clients, dès qu’ils entrent dans le studio, de déposer leurs affaires et d’enlever leurs chaussures ; on leur donne des Crocs qu’on décontamine après chaque séance. Evidemment, entre chaque séance on décontamine tout, nos mains, les éléments de travail, les poignées de portes, etc. Au début on a décidé également de se partager la semaine, un seul tatoueur avec un client à chaque fois, et ce sans accompagnateur. À partir de juin on a décidé d’utiliser deux postes dans le même lieu avec la séparation d’usage et la distanciation, notre local est vaste, donc c’est possible. Les clients ne sortent pas du carré au sol, avec un marquage. Ça se passe bien car ils se responsabilisent aussi. Pour discuter du projet en amont, tout se fait par mail ou en visio-conférence dorénavant, on essaie d’avoir le moins de contact possible. Enfin, on a décidé de faire remplir une fiche de consentement mutuel où la personne nous dit la veille qu’elle n’a pas de symptômes depuis tant de temps pour qu’on soit sûr. En gros, on applique tout ce qu’on nous a dit avec des petites versions en plus et qui sont les nôtres. Si tout le monde faisait ça, notre profession ne s’en porterait que mieux. Après je ne dis pas que ce je fais c’est l’unique marche à suivre, chacun a sa propre opinion et fait comme il veut, mais on vient de vivre une pandémie et il faut faire des concessions. J’aurais aimé que nos élites nous disent : « la pandémie est là, le protocole que vous nous avez proposé, il est pas mal ». Au final, les coiffeurs on les laisse avoir un magasin avec 4 coiffeuses qui vont prendre 30 clients chaque journée. Mais nous, notre protocole on nous dit qu’il n’est pas sûr. Je ne suis pas médecin mais avec les formations hygiène que j’ai eu, je peux te dire qu’un cheveux ça rentre dans n’importe quel pore de peau, s’il y a contamination croisée, c’est ce qu’il y a de pire. Pourtant on les laisse ouvrir car c’est un service que tout le monde utilise… Nos élites ont oublié que 20% de la population française se fait tatouer de nos jours, ça fait tout de même 1/5ème de la population… Je ne demande pas un décret ou quoi que ce soit, je veux juste qu’ils nous considèrent un minimum. Le SNAT se soucie de comment notre profession évolue, ce syndicat mâche tout le travail au gouvernement, le minimum c’est de faire en sorte de valider le protocole qu’on propose. Nous sommes professionnels du tatouage, nous sommes passionnés et pratiquants, les experts c’est nous !

Tatouage complet du dos ©DR

Flash Days, invitations, conventions, quel avenir pour l’événementiel dans le milieu du tatouage ?

Les Flash Days (sorte de journées porte-ouverte), je pense que des gens vont encore les faire. Je croise les doigts pour qu’un jour on puisse à nouveau se dire, « j’ai fait un event, il y a eu 60 personnes dans le shop ! », mais pour cela il va falloir attendre… Pour les guests (tatoueurs invités), j’ai mon visa pour les États-Unis donc je vais devoir y retourner, des clients m’attendent là-bas. Je bosse beaucoup à l’international, je respecterai donc les règles du studio qui m’accueillera. En ce qui concerne les conventions, Le Mondial Du Tatouage à Paris a été reporté en octobre. On ne va pas pouvoir interdire tous les événements ! Les organisateurs doivent prendre leurs responsabilités ainsi que les artistes : c’est 50/50. Le tatouage c’est de toute façon une histoire de contrat humain, de confiance.

Plus d’infos
Son compte insta :@jubsyking
Le contacter : jubsyking@gmail.com

En pleine séance (photo prise avant la crise sanitaire) ©DR

Et pour finir, notre sélection d’artistes-tatoueurs tous styles confondus, de quoi prendre des couleurs avant l’été !
@sombres_jours 
@pierrereb
@mink_bell
@uncle_ho_mitchmalone 
@olivierantoni 
@dago_nuevo_mundo 
@pierrenbtatts
@roselinebucher 
@eric_o_ 
@jbmaglia