Cours de récré : C’est quoi le genre ?

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– article publié dans Or Norme N°44-

Depuis 2020, la municipalité strasbourgeoise a entamé une végétalisation des cours d’école et une refonte de l’espace pour en faire des cours « non-genrées ». Exit les terrains de foot, place à plus de végétaux, des potagers, pour un partage de l’espace « apaisé ». La volonté : initier un nouveau rapport garçon-fille dès le plus jeune âge pour encourager l’égalité. Mesure justifiée ou excessive ?

Moins de béton, plus de vert dans les cours d’école. Jusque-là, l’initiative est ultra positive, notamment pour offrir des îlots de fraîcheur à nos petits écoliers strasbourgeois en cas de fortes chaleurs. Mais de là à supprimer des terrains de foot à une époque où les fédérations de football enregistrent toujours plus de filles ?
Entendons-nous bien : la question de la nécessaire égalité fille-garçon est essentielle à nos yeux. Mais à hauteur d’enfants, comment perçoivent-ils cela ? « Dans mon école, ceux qui aiment jouer au foot jouent au foot, les autres jouent à autre chose », nous lâche un petit garçon de 8 ans. Et les filles ? « Ben oui, les filles qui aiment jouer jouent aussi ! » Bonne nouvelle, le petit gars ne se pose pas la question d’avec qui il joue. Ma question lui a d’ailleurs paru assez bizarre. Les adultes, de fait, ont souvent des questions bizarres…
« Est-ce que les enfants de primaire ont ces réflexions ? Consciemment, non, reconnaît Hülliya Turan, adjointe à l’éducation et à l’enfance. La société n’a pas la volonté de dire “on veut dominer les femmes”. Mais la manière dont la société est organisée induit cette réalité. Les enfants se construisent à partir des repères qu’on leur donne. L’objectif n’est pas de faire une omerta contre le foot ni de créer une ségrégation entre filles et garçons. Mais le sujet est la manière dont ils s’approprient l’espace. »

Supprimer un terrain de foot, c’est davantage favoriser le jeu mixte ?

Mettre le terrain de foot ou de basket au milieu de la cour ne serait donc pas inclusif et reléguerait les filles sur les bords de la cour. Ce qui peut déranger dans le principe, c’est que de fait on oppose fille et garçon, alors que finalement, il y a des garçons qui n’aiment pas les jeux de ballons et de l’autre des filles qui en raffolent. Supprimer un terrain impliquera-t-il qu’ils joueront davantage ensemble ? « Avoir des espaces dégenrés n’est pas de dire on interdit, mais de savoir comment on s’approprie l’espace différemment. Avoir un espace central pour les activités sportives, parfois des cages de but, induit que ce sont essentiellement les garçons qui occupent le centre et les filles les abords. Très jeunes, ces comportements entraînent un rapport filles/garçons en résonnance avec notre société à domination patriarcale. »
Dans l’une des cours du centre-ville déjà réhabilitée, les avis des parents sont plus partagés : « Nous avons tiqué à la rentrée quand on a vu que le terrain était enlevé, raconte une maman d’un garçon en CE1. Dans l’absolu, ils peuvent jouer sous le préau ou au gymnase durant le périscolaire. Mais cela me semble assez dingue d’avoir ce type de réflexion ! On n’élève pas nos enfants comme cela aujourd’hui. Et les copeaux de bois qui traînent partout, les bancs en grès des Vosges ultra dangereux, je ne suis pas certaine que cela a été pensé par des parents ! ».
Et si l’on prenait le problème par l’autre bout justement, en ne faisant pas de distinction de genre ? Un boulot à faire dès le plus jeune âge. « Quand le bébé naît, les connexions entre les neurones sont seulement ébauchées, elles se fabriquent en fonction de l’interaction avec l’environnement social, familial, culturel, qui va contribuer à façonner notre cerveau », rappelait ainsi Catherine Vidal, neurobiologiste à l’Institut Pasteur lors d’une conférence consacrée au genre dans le cadre du Forum de bioéthique début février. C’est ce que l’on appelle la plasticité cérébrale et cela continue à l’âge adulte, ce qui signifie que rien n’est figé dans notre cerveau. » Et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle.

 

Catherine Vidal regrette néanmoins que les adultes participent à sexualiser les habits, la déco, les jeux. Des stéréotypes qui ont la vie dure, mais que souhaite casser Joy Fleutot, créatrice en décembre 2019 d’une boutique non genrée à Strasbourg, Joy & Beauty. « Il y a encore tant de choses à déconstruire : mettre les gens dans des cases ne laisse pas de place à l’individu, rappelle-t-elle. On peut avoir n’importe quel sexe sensible ou pas, avec du leadership ou pas. Quand ce que j’aime ne correspond pas à la norme, est-ce moi le problème ? » Si elle a une clientèle forcément plus open sur les poupées pour les garçons et les voitures pour les filles, elle sent que le chemin est encore long. « Je fais comme si je ne connaissais pas les stéréotypes et je laisse parler ma clientèle, sourit- elle. C’est en parlant qu’ils se rendent compte de l’absurdité de ce qu’ils disent. »
Une maman se souvient avoir acheté un legging zébré à son fils quand il avait deux ans. Une simple photo Insta a suscité pas mal de réactions sur son look. L’une de ses amies a coupé court en écrivant : style canon, n’en déplaise aux cons. Nos enfants doivent en effet vraiment penser que l’on est con parfois. Souvent. Parce que finalement qui transmet l’idée que le garçon doit être balaise et la fille sensible ? Certainement pas eux. S

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