Crédit Mutuel : Cet étonnant Nicolas Théry !

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Finalement, ce sont les premières lignes d’un article signé par Véronique Chocron dans le journal Les Echos qui résument le mieux l’impression faite par le président du Crédit Mutuel lors de la première rencontre : « Ce matin de mars, Nicolas Théry, un gros sac à dos sur les épaules, s’apprête à prendre son train pour une tournée de quelques jours dans des caisses du Sud du Crédit Mutuel. Sa barbe de trois jours et son allure d’étudiant tranchent avec la mise traditionnelle du financier à la française, féru de boutons de manchette et de souliers rutilants. Inconnu du grand public et des médias, cet énarque de cinquante ans vient pourtant de pénétrer le cercle très fermé des puissants patrons de grandes banques françaises… » C’était il y a un peu plus de quatre ans lors de sa nomination à la présidence de la banque mutualiste, 5ème banque française. Rencontre – attendue donc depuis longtemps – avec Nicolas Théry. Le look n’a pas changé, les solides convictions non plus…

Vous venez d’être renouvelé pour quatre années à la présidence du groupe Crédit Mutuel et à celle du CIC. Vous habitez et travaillez à Strasbourg depuis onze ans maintenant mais on ne vous connait que fort peu, même après cette percutante exposition médiatique en mars dernier, en plein confinement qui a révélé pour beaucoup votre tempérament iconoclaste et audacieux. On y reviendra mais ce sera une question toute simple, pour commencer. Qui êtes-vous ?

Vous savez, on n’est jamais que la somme de ses expériences, tout bêtement. Et aussi la somme de ses choix, de ses actes, de ses sentiments et de ses attachements.

Certes mais un coup d’œil sur votre CV révèle un brillant parcours. On note qu’à la sortie de l’ENA, vous empruntez la voie royale de l’Inspection des finances, on vous retrouve ensuite au cabinet de Dominique Strauss-Kahn alors ministre de l’Economie et des Finances, puis vous devenez directeur de cabinet de la secrétaire d’Etat au Budget, Florence Parly. S’en suivent deux années de break avec la fonction publique puisque vous mettez vos compétences à la disposition de Nicole Notat à la CFDT, en tant que secrétaire confédéral pour les questions économiques. En 2002, vous devenez directeur de cabinet de Pascal Lamy, le commissaire européen pour le Commerce international avant d’intégrer, en 2009, le groupe Crédit Mutuel-CIC. Durant votre carrière, vous avez donc été en contact étroit avec des décideurs qui étaient de véritables « pointures », ont-ils décelé chez vous ce tempérament atypique, disons…, et le cas échéant, l’ont-ils encouragé ?

Je vous dirais d’abord que je ne suis pas adepte du terme carrière car il induit un constant principe d’unité qu’on s’obstinerait en permanence et jusqu’au bout à mettre en œuvre. Oui, il y a une unité mais c’est au niveau de tes envies, des choses qui te font vibrer, des sujets qui t’intéressent au plus haut point. Mais il y a aussi des opportunités qui se présentent comme celle d’un gouvernement de gauche et un report tout à fait inattendu des élections législatives qui font que tu te retrouves dans un cabinet ministériel, par exemple… Mais ce qui me frappe c’est que, de toute façon, ça n’est qu’une affaire de circonstances. A un moment donné, il y a des rencontres avec des gens qu’on aime bien et qui révèlent des centres d’intérêt communs.. A chaque fois qu’on me demande comment on choisit un job, je réponds : c’est un lieu, une équipe, un patron et un projet. A partir de là, il y aussi les hasards de la vie. Je ne serais jamais allé à la CFDT si mon fils ainé n’était pas né durant ma période de cabinets ministériels et si l’arrivée de mon deuxième fils n’avait pas provoqué ce choix familial avec mon épouse, consistant tout simplement à poser un peu plus longuement notre balluchon. J’ai été longtemps dans le « plan bigorneau », du nom de ce crustacé qui s’astreint à monter avec obstination tout en haut de son rocher, tout simplement parce que dans la fonction publique, ça fonctionne comme ça. Mais, comme d’autres je me suis rendu compte assez vite que ça ne peut pas marcher comme ça, qu’il y a peu de choses linéaires et qu’en tous cas, ce qui compte ce ne sont pas les grades, les postes ou les fonctions mais bien les projets qu’on est appelé à mener…

Vous faites état d’une sensibilité de gauche certaine. Mais quelle est la gauche à laquelle vous adhérez, est-ce vraiment celle de Dominique Strauss-Kahn ou Pascal Lamy, avec lesquels vous avez étroitement travaillé et qui se sont assez vite révélés assez proches du néo-libéralisme ?

Je me suis toujours senti très proche de ce qu’on a appelé la deuxième gauche. J’ai créé la section CFDT de l’Inspection des finances, par exemple. Mon premier engagement a été aux côtés de Michel Rocard où j’ai d’ailleurs rencontré l’économiste Daniel Cohen avec lequel j’ai rédigé cette tribune pour le journal Le Monde à laquelle vous faisiez allusion précédemment. Avec Michel Rocard, j’étais sur cette idée d’une gauche décentralisatrice, pratiquant le contrat social plutôt qu’une vision très verticale de l’Etat. Bon, c’est très amusant de voir que Strauss-Kahn, qui se voulait le parangon de la gauche moderne, est vu aujourd’hui comme un néo-libéral. Au fond, il est le véritable reflet, avec lequel je me sentais à l’aise, celui d’une gauche rocardienne, très tournée vers le dialogue social que DSK pratiquait énormément. Au sein de son cabinet, j’avais la responsabilité du secteur bancaire, financier, assurances et marchés. On a réalisé beaucoup de privatisations mais toutes avaient un cahier des charges avec d’importants objectifs industriels, sociaux et financiers. La preuve en est que pas mal d’entre elles n’ont pas été accordées au mieux-disant financier mais bien au mieux-disant industriel et social. Cette logique-là me plaisait beaucoup. Une anecdote que je peux maintenant raconter : un jour, je suis tout près de DSK et ce dernier me présente au Premier ministre, Lionel Jospin, en lui disant que je suis celui qui s’occupe des privatisations. Réponse de Lionel Jospin : « Et bien, je ne vous félicite pas… ». Dans ce gouvernement de gauche, il y avait beaucoup de sensibilités de gauche différentes…
Concernant Pascal Lamy, on a affaire à un homme fondamentalement marqué par ce que l’on appelle l’économie sociale de marché. On l’a vu avec son projet de construire une mondialisation maîtrisée, avec le commerce au service d’objectifs sociaux. Il pensait qu’il y avait une combinaison à inventer entre l’intérêt public et les mécanismes du marché. Dans cette notion de capitalisme social de marché, j’ai retrouvé beaucoup de notions que je partageais. Vu d’Allemagne, Pascal Lamy était considéré comme un authentique homme de gauche, mais en France il était caricaturé comme un homme de droite !.. Ce qui a rendu notre collaboration et notre dialogue productifs à l’époque et ce qui a fait naître notre amitié depuis, c’est que nous partageons tous les deux beaucoup de valeurs et d’ambitions communes mais pour être franc, nous ne pensons pas y arriver par le même chemin: après avoir été marqué par le tournant de la rigueur deux ans après l’élection de François Mitterrand en 1981, Pascal Lamy a fait partie de cette génération qui s’est consacrée à essayer de sauver la gauche et son angle est devenu beaucoup plus international et global que le mien. Je suis frappé qu’aujourd’hui par le fait que les partis de la droite traditionnelle portent une critique en illégitimité à tout ce qui est nouveau. Hier c’était envers la gauche de gouvernement, aujourd’hui c’est le même procès en illégitimité envers les écologistes. Ce qui est frappant aussi, c’est que ce sont les tenants du conservatisme, ceux qui sont déjà installés, qui portent ce procès-là…

©Sophie Dupressoir

A la fin des années 2000, vous arrivez au sein du groupe Crédit Mutuel / CIC. Il faut se souvenir du contexte : il y a onze ans, une gigantesque crise financière due aux excès de la financiarisation de l’économie venait d’éclater. On sait depuis que ce sont les contribuables qui ont alors sauvé le secteur bancaire menacé par un raz-de-marée de faillites. Honnêtement, vous vous sentiez bien dans un tel milieu ?

D’abord, ma famille et moi-même avions décidé de ne plus vivre à Paris. C’était un choix résolu. J’avais candidaté pour Airbus à Toulouse et pour le Crédit Mutuel à Strasbourg, que je connaissais assez bien pour avoir auparavant côtoyé Michel Lucas (le président d’alors, décédé il y a dix-huit mois – ndlr). Le fait que le Crédit Mutuel soit une banque mutualiste me parlait, comme on dit. Et je n’ai pas été déçu car ici, on n’est pas dans une banque comme les autres. J’ai découvert un milieu professionnel incroyable, avec des gens engagés en faveur d’un vrai projet social et collectif, engagés pour leur société d’une façon inouïe et dans une ambiance qui est très loin des codes traditionnels de la banque. Je pense que beaucoup de ses dirigeants ont commencé au guichet d’une caisse locale, et ça, ça compte énormément. Cette atmosphère m’a beaucoup plu et comme je me suis senti en adéquation avec le projet et les équipes. Au Crédit Mutuel, il y a un côté artisanal qui me va bien : ce n’est pas de la banque façon classique et traditionnelle. C’est une boîte de services, décentralisée, soumise au regard permanent de ses sociétaires. Michel Lucas, avec tous ses traits de caractère qu’on lui a connus, exprimait en fait toutes les caractéristique du Crédit Mutuel: un état d’esprit centré sur le « faire » plutôt que la théorie, notamment. Il a rencontré cette société qui était déjà dotée de ces valeurs-là et a contribué à la faire grandir…

Michel Lucas était doté d’un tempérament qu’on qualifiera de volcanique…

Oui, et la grande chance que j’ai eue a été de ne jamais avoir eu à travailler directement avec lui. Il m’a évidemment recruté mais la vérité est de reconnaître qu’il laissait une très grande marge de manœuvre à ses troupes. Durant la totalité de mon passage au CIC Est, j’ai du recevoir deux coups de fil de lui, en quatre ans de mandat. J’étais à une distance suffisante. Je n’ai donc pas été très souvent à l’ombre du volcan…

On en arrive aux deux temps forts médiatiques que vous avez initiés. Nous étions les 21 et 22 mars derniers, en plein cœur du confinement, du coup ils ont sans doute bénéficié d’une audience et d’une attention encore plus fortes. Le 21 mars, vous co-signez avec l’économiste Daniel Cohen une tribune retentissante dans Le Monde. Vous y affirmez que « le monde néo-libéral a volé en éclat », vous soulignez que l’Etat se doit d’assurer ses missions fondamentales qu’il a négligé toutes ces dernières années et vous soutenez l’émission d’une dette publique massive et de très longue durée, monétisée par la Banque Centrale Européenne. Cette rubrique se termine par ces mots sans ambiguïté : « Le monde néolibéral est mort. Un monde de coopération et de solidarité est possible ». Cette tribune a évidemment été très commentée et ceux qui ne vous connaissaient pas ont du la relire à deux fois et se dire : quel coming out !

Sincèrement, je ne pense pas que ce soit un coming out, comme vous dites. Si coming out il y a eu, ce fut plutôt la tribune sur l’annonce de la création de Libra, la monnaie de Facebook, que j’ai signée avec Daniel Cohen il y a un an dans Le Figaro. Je ne suis pas un vrai spécialiste de la monnaie mais ce sujet me passionne. Pour moi, la monnaie c’est le véritable cœur du lien social et l’invention de la banque centrale, c’est la création de la souveraineté monétaire. Comme nous le disions avec Daniel Cohen dans cette tribune, derrière la création de cette cryptomonnaie privée se niche une remise en cause irréversible de nos libertés publique et de nos structures sociales. C’est la porte ouverte à l’émergence d’un monde de monopoles totalitaires. Nous avions également souligné que les banques centrales sont les seules à pouvoir éviter les crises monétaires et à protéger les épargnants. Cette tribune est partie d’une émotion très forte que j’ai ressentie et d’une forme d’indignation que j’ai voulue exprimer parce qu’elle est conforme aux valeurs du Crédit Mutuel. Ce n’est pas seulement mon expression personnelle, c’est celle de cette communauté de valeurs que je préside. Alors, en mars dernier, quand est arrivé ce débat provoqué par la crise sanitaire et cette dette publique qui ne pouvait que très fortement grimper, on a remis ça avec Daniel. Nous avons eu ce grand débat sur l’annulation ou non de la dette, la possibilité de la perpétualiser et bien sûr, parce que c’est indissociable dans mon esprit, ma certitude qu’il faut prendre en charge et financer très vite des actions très fortes sur le plan du climat. Par ailleurs, oui, le monde néo-libéral est mort à la porte des hôpitaux. Pendant des dizaines d’années, on a fait croire que les services publics étaient facteurs d’inefficacité, de lourdeurs et d’impôts mal employés, de régression finalement. Surnageaient petitement les services régaliens comme la police ou la sécurité. Et là, soudainement, on a pris conscience que la santé et l’hôpital public étaient aussi des services régaliens, de même que l’Education nationale. Que le régalien consistait par exemple aussi à construire en trois jours un système de prise en charge du chômage partiel par l’Etat. Pour moi, et j’espère qu’elle va subsister, il y a là une prise de conscience très brutale que le service public, l’Etat, les collectivités locales sont des facteurs essentiels du fonctionnement de notre pays et qu’il y a une vraie grandeur à faire fonctionner l’Etat sur ces thématiques-là. Ce centrage sur la notion de déficit public était bien réel : toutes les thèses de Reagan ou de Thatcher étaient de fortement baisser les impôts pour créer du déficit public, ce qui permettait ensuite de baisser la dépense. Cette ruse politique a très longtemps marché, et il ne faut pas se cacher que c’est aussi parce qu’elle a été portée par une grande partie de l’opinion publique. C’est cette ruse-là qui est aujourd’hui remise en cause, pour moi. Mais sincèrement, si la tribune du 21 avril était évidemment une incitation à vraiment débattre de tout ça, ce n’est en aucune façon dans le cadre d’un plan prémédité de notre part. Les mots de cette tribune sont une réaction instinctive à la situation du mois de mars dernier, ce virus qui pour Daniel Cohen et moi venait de faire disparaître le monde néo-libéral que nous connaissions depuis si longtemps……

L’autre thème très fort de cette tribune, c’est aussi le rôle de l’Etat. Vous écrivez que la crise « a d’ores et déjà fait sauter plusieurs credo enracinés en Europe dont « celui des aides d’Etat, ce credo qui interdit toute action publique d’ampleur dans les secteurs clés de l’économie… ». Là encore, vous n’hésitez pas à remettre en cause la doxa néolibérale qui est en vogue depuis l’avénement des Chicago Boys, réunis autour de Milton Friedman dans les années 70 et 80 et qui ont très directement inspiré les politiques de Reagan et Thatcher…

Je n’ose pas vous dire que c’est votre génération et la mienne qui sont réellement responsables de ça. Nous n’avons pas eu besoin de l’Ecole de Chicago : la réalité est que nous sommes arrivés après une génération qui a basé formidablement son action sur le rôle de l’Etat régulateur et incitateur. C’était la génération issue de la Résistance, autour du Programme du Comité National de la Résistance, connus sous le vocable « Les Jours Heureux ». Cette génération, celle de Jean Moulin et des autres grands résistants, croyait en l’Etat car elle l’avait vu s’écrouler en juin 1940. Mais les générations suivantes, celles d’après-guerre, celles des gens nés dans les années 50, 60 et 70, ont soudain pris conscience que l’Etat pouvait être également oppresseur, trop écrasant et trop puissant et qu’il fallait donc que l’individu s’émancipe. Mai 68, les luttes contre la guerre du Vietnam, les émancipations diverses notamment celle des mœurs ont fait apparaître cette forme d’individualisme. Pour moi, l’économie ne fait qu’exprimer la réalité des mouvements sociologiques et politiques. Cette aspiration à la liberté et à l’épanouissement de l’individu a profondément été celle de toute une société, pas seulement celle des jeunes de mai 68. Cette vague très profonde a ensuite permis à ces mouvements politiques néo-libéraux de surfer sur sa crête et d’imposer une limitation sans cesse grandissante des pouvoirs de l’Etat. D’ailleurs pour Jacques Delors, la création de l’Union européenne fut aussi le moyen de recombiner une inspiration émancipatrice individuelle avec une inspiration de régulation. Toute la social-démocratie, la deuxième gauche, le rocardisme, Edmond Maire etc… relevaient de ce compromis. Mais, évidemment, cet équilibre fut très difficile à tenir. Et aujourd’hui, son expression politique dans le paysage français a été balayée, elle n’existe plus…

© Sophie Dupressoir

Le lendemain de la parution de cette tribune dans Le Monde, vous êtes l’invité de Léa Salamé dans la matinale radio la plus écoutée de France, celle d’Inter. Vous commentez vos écrits de la veille mais vous annoncez aussi que les Assurances du Crédit Mutuel ont décidé de créer une prime de relance mutualiste de 200 millions d’euros pour couvrir une partie de la perte d’exploitation de leurs clients restaurateurs, fleuristes, boulangers, esthéticiennes, artisans et on en passe… Pourtant, les conséquences des pandémies ne sont pas couvertes dans les contrats d’assurance. Donc, rien ne vous obligeait à cela…

Tout d’abord, je voudrais préciser que ce fut une vraie décision collective à laquelle toutes les équipes ont été associées et que j’ai prise conjointement avec Daniel Baal, le directeur général. C’est important de le signaler. Cette prime a concerné environ 30 000 TPE et PME qui sont nos clients. Nous avons décidé très vite de les aider car nous avons assisté en direct à l’écroulement de l’économie, donc à l’écroulement des sociétés de nos clients. C’est l’avantage de ne pas être qu’une société d’assurance mais aussi une banque. La banque voit en direct la situation de ses entreprises clientes, la société d’assurance ne fait que constater les sinistres qu’un contrat peut couvrir mais qui a été quelquefois signé longtemps avant. Cette énorme crise, on parle quand même d’une diminution de 11% du PIB, c’est du jamais vu !, nous nous devions de permettre à nos entreprises clientes d’y faire face immédiatement. Pas question d’ergoter pendant six mois, beaucoup d’entre elles auraient alors bel et bien disparu et à la fin, tout le monde aurait été perdant. A partir du début du mois de mai dernier, on a adressé des virements immédiats qui leur ont permis de redémarrer. Chacun a reçu 7 500 € en moyenne. Forfaitairement, un restaurant qui aurait un chiffre d’affaires de 240 000 € aura touché 11 500 € ou encore 7 000 € pour un coiffeur avec 90 000 € de chiffre d’affaires…

C’est sans doute là que le mutualisme retrouve toute son importance. La teneur même de cette décision et bien sûr l’extrême rapidité de sa mise en œuvre ont été évidemment facilitées par le fait de l’absence d’un actionnariat à rémunérer…

C’est vrai. Mais un autre aspect du mutualisme s’est révélé très facilitateur : nous étions un assureur qui avait fait beaucoup de provisions auparavant. Là aussi, le long terme a payé. Souvent, on a pu nous dire que nous ne rémunérions pas assez les contrats d’assurance-vie par exemple, mais pour nous, être client au Crédit Mutuel c’est aussi acheter de la sécurité. Mais oui, nous n’avons pas d’actionnaire. En revanche, nous avons des sociétaires qui réclament une gestion solide, dynamique et innovante au service de nos clients. Nous avons eu une belle unanimité, sur cette proposition-là…

Et puis accessoirement, cette initiative a été comme un joli coup de pied dans la fourmilière de la concurrence, non ?

C’est un fait que beaucoup d’autres sociétés d’assurance se sont ralliées à nous. Le jour même, le Crédit Agricole a pris les mêmes dispositions que nous, rejoint le lundi suivant par les Mutuelles du Mans, puis ensuite par le groupe Banque Populaire – Caisse d’Epargne, la Société Générale… : ça prouve peut-être que le système que nous avons monté n’était pas si mauvais que ça et que ce n’était pas un combat entre le Crédit Mutuel et « le reste du monde »… Nos deux choix principaux étaient de se concentrer sur les commerçants, les indépendants, les PME et par ailleurs, de payer tout de suite : et bien, c’étaient les bons choix… J’ajouterais que cette décision n’est pas tombée du ciel : elle vient de loin, d’une culture collective d’un groupe constitué autour de valeurs fortes et anciennes…

Pour finir, un mot peut-être sur ce qui nous attend maintenant. D’aucuns ont appelé ça « le monde d’après ». Au-delà de ce terme, vous avez une conviction forte sur les mois, voire les années à venir ?

Je ne crois pas beaucoup à la thématique du monde d’après. D’abord parce que je la trouve très régressive. Ceux qui nous la servent sont aussi très souvent ceux qui survalorisent la crise… La situation qui est devant nous aujourd’hui, je la vois comme une exigence pour notre génération. Ma conviction personnelle est que sur le plan environnemental, sur le plan social et sur le plan collectif, nous avons fait jusqu’alors énormément de bêtises au cours des vingt ou vingt-cinq dernières années. Alors, dans les conditions extrêmement difficiles qui nous attendent, je me sens cette responsabilité d’inciter à construire tous ensemble de la coopération et de la solidarité. Je viens du Nord de la France, d’un terreau très porté sur l’industrialisation, d’une deuxième gauche finalement très productiviste mais mon entourage m’a beaucoup aidé à prendre conscience de l’enjeu environnemental et de son articulation avec le social… J’espère que cette exigence de cohérence se maintiendra, en tout cas je pense que c’est le rôle d’une entreprise telle que le Crédit Mutuel d’être porteuse de cette exigence-là auprès des Collectivités… Cela passera bien sûr par des compromis : c’est encore le meilleur moyen de construire de l’intérêt collectif. Le meilleur de que la crise sanitaire actuelle nous ait appris, c’est bien notre extraordinaire capacité à tous nous mobiliser…»

© Sophie Dupressoir