Edito I Censure ? Non : régulation !
Après l’exclusion de Donald Trump des réseaux Twitter et Facebook, les accusations pleuvent sur les deux plus célèbres des réseaux sociaux qui, hier encore, se voyaient accusés de laxisme et sont aujourd’hui épinglés de toutes parts sur la prétendue censure du (toujours, pour l’heure…) président américain…
On remarquera tout d’abord que les arguments publiquement développés ne portent pas sur les contenus subitement disparus des milliers de saillies du démagogue Trump. A part une poignée d’irréductibles (au premier rang desquels émargent les sempiternels complotistes des deux côtés de l’Atlantique), plus grand monde, au fond, ne regrette que l’indécent haut-parleur trumpien ne crache plus ses « vérités alternatives » habituelles (le bien faible euphémisme pour parler des mensonges et outrances éhontées signées depuis quatre ans par le locataire désormais déchu de la Maison-Blanche).
Non, la question centrale posée par ceux qui s’émeuvent de ce silence brutal et inhabituel est : ces sociétés privées que sont Twitter et Facebook avaient-elles le droit de « censurer » ainsi définitivement le titulaire d’un compte dûment enregistré dans leurs disques durs ?
On peut débattre infiniment sur ces sujets et d’ailleurs, les arguments s’affrontent déjà entre camps où on retrouve finalement des profils somme toute très convenus depuis une vingtaine d’années que sont apparues les infinies possibilités d’interactivité et d’échanges du web.
La loi qui régule
Il est cependant une considération déjà éprouvée qui pourrait permettre de sortir de la vanité de ces débats.
En France, il existe une loi dont la pérennité est extraordinaire. La loi du 29 juillet 1881 (il y a 140 ans !) définit « les libertés ET les responsabilités de la presse française en imposant un cadre légal à toute publication ».
On ne va pas ici dérouler un long cours sur tous les contenus de ce texte de loi, pilier central de la démocratie en France, pas plus sur les tentatives régulières d’en entamer subrepticement les protections comme les récentes dispositions de la loi « sécurité globale » de l’actuel ministre de l’Intérieur.
Plus simplement, il s’agit d’attirer l’attention sur son principe central, bien connu par chaque éditeur d’une publication de presse ou non (journal, magazine, radio, télévision, livres,…) : tombe sous le coup de la loi tout texte, son ou image qui serait « diffamatoire » ou qui « provoquerait aux crimes et délits… ». Pourraient en être tenus responsables (et condamnés en conséquence) l’auteur des propos, le journaliste les ayant rapportés et le directeur de la publication du journal ou du média les ayant publiés.
C’est à l’évidence sur ces principes que devraient désormais s’appuyer les réseaux sociaux, devenus les incontournables haut-parleurs des opinions du XXIème siècle.
On a vu durant ces quatre dernières années se développer sans entrave les pires publications sur Facebook et Twitter (entre autres…) sans que jamais, JAMAIS, la responsabilité des propriétaires de ces médias ne soit réellement engagée (on se souvient bien de l’hypocrisie de l’attitude et des propos de Mark Zuckerberg, exceptionnellement habillé comme un « premier de la classe » pour répondre suavement aux question des élus du Congrès des Etats-Unis, soulignant à tout propos que Facebook n’était pas responsable des contenus transitant par son réseau, seulement des tuyaux les acheminant…)
Si l’on veut que les réseaux sociaux puissent continuer à jouer leur rôle, il va bien falloir enfin responsabiliser pénalement et financièrement les opulents multi-milliardaires qui les possèdent. Mettre en place cette politique de responsabilisation et toutes les actions de modération qui iraient avec ne pourrait pas se voir opposer une objection de moyens, tant ils croulent sous les millions de milliards qu’ils entassent depuis maintenant si longtemps.
Non, il s’agit enfin d’instaurer les mêmes principes rigoureux que la loi française de 1881 : l’éditeur est responsable de ce qu’il publie, le journaliste l’est de ce qu’il écrit et l’auteur des propos rapportés de ce qu’il affirme publiquement. La loi impose et garantit ce principe en détaillant et tenant la nomenclature précise de tout ce qui constitue les infractions qu’elle prévoit et le reste, tout le reste, relève de la liberté de la presse et de conscience.
Ils ont les moyens…
Bien sûr, j’entends déjà les cris des tenants d’un utopique internet totalement libertaire qui a disparu depuis bien longtemps maintenant. La réalité est évidente aujourd’hui : l’illusion du n’importe qui pouvant à la fois s’exprimer et devenir son propre éditeur n’a pas survécu à l’arrivée des réseaux sociaux. A coup sûr, on est aux antipodes du journalisme quand on lit certains propos (quitte là encore à faire brailler les meutes pour qui le journalisme est devenu un Satan bien commode…). Mais à coup sûr aussi, ce sont bien les propriétaires des « tuyaux », les boss des réseaux sociaux, qui sont devenus des éditeurs…
Ca va coûter cher ? Oui, assurément mais pardon, ils ont des moyens démesurés pour à la fois embaucher des milliers et des milliers de modérateurs et, aussi, développer les algorithmes de l’intelligence artificielle qui pourraient trouver là un formidable champ d’application (ils le font déjà, mais à une échelle si réduite…).
Il faudrait sans doute pas mal de temps pour que tout cela se mette strictement en place mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. D’autant que s’opérerait en même temps le retour des Etats régulateurs, signant la fin du laisser-faire depuis bien trop longtemps en vogue et dont on voit aujourd’hui parfaitement les conséquences désastreuses des effets.
Des propriétaires de réseaux rendus pénalement responsables de ce qui transitent dans leurs « tuyaux » et des auteurs ou rapporteurs de propos délictueux sévèrement sanctionnés pourraient être la garantie d’un avenir plus lumineux pour ce web devenu en si peu de temps finalement une hideuse poubelle, en ce qui concerne du moins les réseaux sociaux.
Paradoxalement, c’est peut-être de l’Europe (considérée avec mépris comme un nain numérique d’un bout à l’autre de la Silicon Valley) que pourrait venir cette lueur d’espoir. Ce serait pour l’Union européenne une belle façon de s’affirmer avec force…
En aura-t-elle l’audace ? Ça, c’est un (autre) vrai problème…