Edvard Munch, le merveilleux indocile I Musée d’Orsay

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C’est bien sûr l’expo-événement de cette fin d’année à Paris et les impressionnantes files de visiteurs qui se forment sur le parvis d’Orsay sont là pour attester de la réelle attente du public concernant un des monstres sacrés de la peinture du début du XXe siècle. Par la grâce d’un accrochage d’une rare pertinence, « Edvard Munch, un poème de vie, d’amour et de mort » est une expo qui se vit avec un plaisir infini, chaque visiteur ayant bien conscience qu’on côtoie là le plus précieux d’une époque quasi indépassable de l’histoire de l’art…

Une confirmation, tout d’abord : le célébrissime Le Cri n’est pas là (mais une petite lithographie l’évoque). Inutile, cependant, de chercher des poux dans la tête des promoteurs de l’expo d’Orsay, la prestigieuse toile est désormais sertie pour toujours dans l’écrin du tout nouveau Musée Munch d’Oslo, ce spectaculaire bâtiment de verre et d’acier, reconnaissable entre mille par son plan incliné supérieur, qui domine de ses soixante mètres de haut la capitale norvégienne qui vient de l’inaugurer. De toute façon, depuis son vol en 2004 (en même temps qu’une autre toile très connue du peintre norvégien La Madone) et, deux ans plus tard, le retour des deux oeuvres retrouvées (mais pas les voleurs), Le Cri est devenu un véritable trésor national et ne voyage plus. Son absence est parfaitement assumée et on ira même jusqu’à dire qu’elle permet de braquer les projecteurs sur l’oeuvre prolifique (plus de 1 700 toiles, dessins, lithographies en près de soixante ans…) du maître norvégien. Libérée du carcan de cette toile emblématique mondialement connue, la commissaire de l’exposition (et toute nouvelle directrice du musée de l’Orangerie) Claire Bernardi nous offre le magnifique cadeau de nous présenter une centaine de toiles et de dessins constituant un formidable aperçu de la totalité de l’oeuvre du peintre norvégien.

Edvard Munch, Soirée sur l’avenue Karl Johan, 1892

La maladie, la folie et la mort

Edvard Munch fut le contemporain septentrional des Kandinsky et autres Klimt, Schiele, Kokoshka (lire l’article page 18), tous acteurs de l’Art moderne, cette période bénie de l’histoire de l’art. Pour autant, largement autodidacte, il est au final inclassable puisqu’on décèle dans sa peinture des influences naturalistes, impressionnistes, fauvistes, lui, qu’on considère aussi comme un des précurseurs de l’expressionnisme. L’expo parisienne d’Orsay montre bien son indocilité et sa grande liberté esthétique, Munch se préoccupant uniquement, en dehors de toute contrainte, de fixer sur une multitude de supports sa vision personnelle et intime du monde et de la vie. Ainsi, les thématiques morbides traversent toute son oeuvre. Dans un de ses innombrables carnets de notes, Munch écrit : « La maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau ». Comment pouvait- il en être moment : la tuberculose lui enlève sa mère alors qu’il est seulement âgé de cinq ans, cette même maladie faisant disparaitre, dix ans plus tard, Sophie, sa soeur ainée. À l’âge adulte, Laura, une autre de ses soeurs, sera internée à vie pour d’intenses troubles psychiatriques et son frère Andrea décédera brutalement d’une pneumonie, à l’âge de vingt-cinq ans. Parmi d’autres, quatre oeuvres symbolisent cette importante et incontestable part de noirceur : une lithographie de L’enfant malade (la toile originale date de 1885-86) où la mort s’apprête à engloutir une pauvre enfant au visage diaphane, Désespoir (1892) où l’on retrouve le ciel tourmenté du Cri accablant la forme d’un homme sans visage qui fixe le noir qui coule sous la rambarde d’un pont, le célébrissime tableau Soirée sur l’avenue Karl-Johan (1892) avec le défilé des bourgeois des rues de Christiana devenus des spectres aux visages sans expression mangés par des yeux fixes et inhabités et enfin, Vampyr (1895) cette somptueuse allégorie de la cruauté de l’amour, cette toile superbement traversée par la lumière provenant de la crinière rousse qui dévore…

Edvard Munch, Madonna, 1895

Toute l’oeuvre d’un géant…

Heureusement, l’exposition d’Orsay, dans son souci de présenter la palette complète des talents de Munch, propose également, en majesté, les « extérieurs » du peintre norvégien, si délicatement matérialisés par Les jeunes Filles sur le pont (1927) – a-t-on mieux qu’Edvard Munch réussi à fixer sur une toile la lumière si particulière des régions septentrionales ? – ce tableau étant aussi prolongé par une superbe gravure sur bois, prouvant l’universalisme de la démarche de l’artiste, répétant souvent les mêmes motifs et les mêmes thématiques en peinture, en gravure, en sculpture… Sans prétendre rivaliser à distance avec l’exhaustivité de la plus belle des expositions jamais montées sur Munch (c’était en 2003 pour la réouverture de l’Albertina de Vienne avec toutes les toiles majeures de l’oeuvre du Norvégien, dont Le Cri, et une invraisemblable kyrielle de Madone sur tous les supports possibles, huile sur toile, fusain, gravure, sculpture sur bois…), l’expo parisienne s’attache formidablement à rendre hommage à un artiste réellement hors du commun. Indocile, vous dit-on : en 1937, 82 de ses toiles se verront classées (quel hommage !) comme « art dégénéré » par l’Allemagne nazie. Sept années plus tard, sous l’occupation de la capitale norvégienne par l’armée allemande et malgré la soumission quasi totale des édiles municipaux d’alors, la Norvège organisera pour son peintre emblématique des obsèques quasi nationales. Edvard Munch, Soirée sur l’avenue Karl Johan, 1892

EDVARD MUNCH, UN POÈME DE VIE, D’AMOUR ET DE MORT
Jusqu’au 22 janvier 2023 Musée d’Orsay Paris (7e)
Tél. : 01 40 49 48 14
Du mardi au dimanche, de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45
Accès : Métro ligne 12, station Solférino
Billetterie (prudent de réserver) : www.musee-orsay.fr

Edvard Munch, Vampyr, 1895

 

Iconographie
CC BY 4.0 Munchmuseet – Dag Fosse/KODE – Gundersen Collection/Morten Henden Aamot

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