Enki Bilal « Même les plus croyants des croyants pourraient se dire que l’homme est un accident dans la création telle que l’a imaginée leur Dieu. »

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Grand entretien publié dans Or Norme N°46

En pleine forme parce que désormais débarrassé de douloureux problèmes de dos qui l’avaient notamment contraint à renoncer à nous rendre visite lors de la précédente édition des Bibliothèques idéales, nous retrouvons enfin Enki Bilal dans son atelier lumineux niché tout près des Halles à Paris. Avec Étienne Klein, il sera sur le plateau des BI de septembre pour un échange qu’on savoure d’avance tant ces deux esprits (très) libres détonnent dans les temps difficiles que nous vivons…

C’est un vrai plaisir de vous retrouver, Enki, d’autant qu’il va nous permettre de dialoguer avec vous sur le troisième tome de Bug qui est sorti au printemps dernier, mais aussi sur L’homme est un accident, ce superbe livre d’entretien pour lequel vous deviez nous rendre visite il y a un an. Cet accident est sans aucun doute le plus terrible que notre planète ait eu à subir, vous ne cessez de le souligner…

Oui, c’est certes un peu une provocation, mais cette formule est tout à fait fondée. Elle est venue dans ma bouche lors de mes entretiens avec Adrien Rivière et c’est lui qui l’a proposée comme titre du livre. Ce titre veut tout dire en lui-même, on dirait presque un sujet du bac philo. Même les plus croyants des croyants pourraient se dire que l’homme est un accident dans la création telle que l’a imaginée leur Dieu. Ça pourrait aller jusque là, oui… C’est-à-dire que la création de l’Homme aurait échappé à la volonté divine ? À un moment donné, oui… Quand on porte un minimum de regard critique sur notre monde tel qu’il est, on peut dire que Dieu n’a pas été parfait dans son casting, sur ce coup-là… Certes, depuis le début de l’humanité, le parcours est beau, sous certains aspects : l’être humain ne cesse de progresser dans certains domaines, son intelligence, l’innovation, la science, tout cela est plein de promesses. Mais voilà, en même temps, la barbarie est toujours là, dans ses gènes et elle se renforce : comme actuellement en Ukraine, les exactions et les crimes de guerre parsèment l’histoire. Rien n’a changé depuis la préhistoire, rien… Cette capacité à aimer et à être barbare est forcément quelque chose qui interpelle. Simplement pour ça, on peut dire que l’homme est un accident et pas une réussite. À bien des égards, ce mot « accident » me fait penser à Paul Virilio (un philosophe, sociologue, urbaniste, peintre… entre plein d’autres talents, disparu en 2018 – ndlr), quelqu’un que j’ai vraiment connu sur le tard et pas assez longtemps, avec qui j’ai beaucoup échangé et avec qui j’avais une belle communion de vue sur cette extraordinaire fragilité de l’être humain, capable du bien extrême et du mal suprême. Le mot « accident » est un mot qui est à la fois inquiétant et riche : il y a l’accident brutal, c’est un fait terrible et puis, en art, la notion d’accident est très importante : les accidents, il faut les laisser venir, sans les provoquer, mais ils arrivent toujours, l’histoire de la création artistique en est parsemée. En musique, on ne compte plus les cas où des fausses notes ont provoqué des virages, des bifurcations radicales. Dans mon domaine, le dessin, la peinture, c’est la même chose sauf que ça se produit sur un temps plus long. Quand l’accident survient, on peut s’en servir ou non. Ne pas l’appréhender, c’est déjà, à mon avis, se tromper de chemin, car ce serait se dire que l’image qu’on a de son oeuvre est d’ores et déjà atteinte, qu’elle est juste. Or, en fait, ça veut dire qu’on a raté son oeuvre, c’est-à-dire qu’on aurait alors perdu de vue que ce qu’on imagine ne peut pas être transformé par le temps, ou par la réflexion, par les contraintes extérieures… Et ce phénomène peut s’appliquer aussi aux sociétés que nous avons créées, en essayant de canaliser les choses par la démocratie, par exemple. Pour faire écho à ce qui se passe en France en ce début juillet où nous nous rencontrons, on est en face d’une mutation assez incroyable avec cette nouvelle Assemblée nationale. Je ne suis pas un grand spécialiste de la politique, mais j’ai le sentiment qu’il va pouvoir se passer des choses assez étonnantes désormais, et qu’il y aura beaucoup d’accidents (sourire…).

En lisant, et même relisant, votre livre, j’ai pensé à Yves Paccalet. Ce naturaliste, écrivain et journaliste, a écrit en 2006 un petit essai au titre retentissant L’humanité disparaîtra, bon débarras ! dans lequel il expliquait tranquillement qu’à l’instar de toutes les espèces vivantes sur terre, l’espèce humaine finirait bien par s’éteindre et qu’une fois le dernier homme disparu, la nature reprendrait vite ses droits, pour le plus grand profit de la planète. Je voulais vous faire réagir sur ce livre*, même si vous ne l’avez peut-être pas lu, et sur son titre…

Je ne connaissais pas ce livre, mais le titre est très drôle. Je comprends le propos de cet auteur et je pense comme lui. L’homme, sur terre, est une scorie, un ratage. Objectivement, si on part de la beauté extraordinaire de la planète, si on analyse la manière dont cette machine exceptionnelle fonctionne, mais qu’est-ce qu’on est mauvais, effroyablement petits et nocifs ! Ça ne veut pas dire que je déteste l’humanité, bien sûr, mais ça veut dire qu’on n’est pas du tout à la hauteur de la merveille qui nous abrite, pas du tout ! C’est assez amusant que vous me citiez ce livre. Il y a cinq ans, j’avais un projet dont je voulais tirer un film. Il était inspiré d’un autre livre, écrit par un talentueux essayiste new-yorkais et dont le titre était Homo Disparitus (titre original : The World Without Us – Alan Weisman – Ed. Flammarion pour la traduction française – ndlr). Le livre raconte New York une fois que l’homme a disparu. Que deviennent les chiens, les animaux ? Les chiens ne s’en sortent pas bien, mais les chats oui. Très vite, les pompes dans le métro pètent de partout, l’eau monte… Weisman va finir par raconter toute l’histoire de la planète, tout ce que devient ce que l’homme a laissé derrière lui et toutes les traces qui subsisteront de nous, trois mille ans plus tard, car oui, il va rester des choses : les pneus, par exemple, dont l’entassement provoquera des incendies sporadiques… Weisman montre de façon sidérante à quel point on souille notre habitat, pour les millénaires à venir. De ce livre, j’avais fait une fiction sur la base d’un témoin qui reviendrait accidentellement trois mille ans après la disparition de l’humain… C’était un très beau projet qui malheureusement ne s’est pas concrétisé, car c’était à un moment où on commençait à être dans une forme de wokisme et de formatage intellectuel venus des États-Unis. C’était juste après le Festival de Cannes où j’étais dans le jury, ce qui m’avait fait penser que cela permettrait de réaliser ce projet. Mais bon, on m’avait fait un petit cadeau et juste après, terminé, maintenant dégage ! J’ai pris ça comme ça… Tout ça pour dire que nous sommes déjà assez conscients de la faillite de l’Homme, après une prise de conscience qui aura été très, très longue et qui n’est toujours pas complète puisqu’on rencontre toujours des gens pour soutenir l’idée que tout est affaire de cycles, que c’était déjà comme ça avant, etc.

 

 

Il y a dans votre oeuvre, cela été mille fois souligné, cette troublante et omniprésente capacité d’anticipation. En 1980, dans La foire aux immortels ce sont des quartiers entiers qui sont confinés en raison de risques d’épidémie, le tout dans des villes où les libertés ont disparu. Dans Partie de chasse en 1983, vous évoquez la fin du communisme, dans Le sommeil du monstre en 1998, une internationale religieuse provoque l’explosion d’une tour dans une mégapole, on est trois ans avant le 11 septembre 2001… Plusieurs fois, vous vous êtes insurgé contre le terme d’oracle, dont on voulait vous affubler. Mais d’où vient cette faculté inouïe d’anticiper ?

C’est une forme d’intuition, je pense… On est toujours fasciné par l’endroit où l’on naît et l’époque où on grandit. Pour moi, être né à Belgrade au début des années cinquante, c’est avoir vécu le lourd passif de la Seconde Guerre mondiale dans un endroit où il y avait une fusion d’ethnies, de peuples et de religions. Mon pays, la Yougoslavie, cette partie centrale des Balkans née artificiellement sur les cendres de l’Empire austro-hongrois, était incroyable. Mon père était musulman non-pratiquant et j’ai côtoyé des orthodoxes qui étaient majoritaires à Belgrade, des catholiques croates, des juifs, et j’en passe. Il y a eu aussi les nombreux voyages dans la famille de mon père, à Sarajevo. J’étais très excité d’y aller, mais ça finissait par me faire peur, tellement je savais les chocs que j’allais recevoir de ce monde follement varié, avec tant d’odeurs, des musiques aussi différentes, et ce mélange de populations et de religions qui s’exprimaient là dans un vrai partage. Tout ça m’a sans doute permis d’aiguiser une forme de vision qui se rapproche de l’intuition et que j’ai exprimée dans les fictions sur lesquelles j’ai travaillé. Au milieu des années 90, je revis tout ça avec Sarajevo qui est bombardé par les Bosno-Serbes qui y font régner une horreur absolue, je ressens intimement la colère de voir comment les communautés se déchirent et, à ce moment-là, je ne comprends pas comment les intellectuels, les analystes, les essayistes qui ont travaillé en temps réel sur ce conflit n’ont pas immédiatement soulevé le voile sur son caractère interreligieux. On voulait absolument qu’il y ait une vision géopolitique, mêlant les communistes, les fascistes et tous les nationalismes possibles et imaginables. Personne n’a parlé de la Bosnie devenue très vite le creuset d’un islamisme radical en Europe. Tout cela, je le sentais à ce moment-là, et j’avais cette vision de ce xxie siècle qui serait immanquablement marqué par ce religieux pur et dur, bas de gamme, prosélyte et tout naturellement, oui, j’imagine que tout cela peut déboucher sur une forme de grande violence basée sur le rejet du modernisme par l’obscurantisme religieux. Évidemment, je m’inspire des talibans en Afghanistan, qui viennent de faire leur apparition et je raconte en effet les attentats menés par ces obscurantistes. J’ai commencé Le sommeil du monstre en 1993 ou 1994, sept ou huit ans avant le 11 septembre. Mais je me suis gardé de pointer un seul des monothéismes, j’ai imaginé ça comme un conglomérat du christianisme, de l’islam et du judaïsme…

©Yann Lévy

C’est assez fascinant cette description que vous étalez là, cette hyper sensibilité innée que vous parvenez formidablement à exprimer artistiquement dans votre oeuvre, toujours en avance sur des moments-clés finissant inéluctablement par survenir. N’est-on pas là au coeur de la raison d’être des artistes ?

En tout cas, c’est une des fonctions naturelles de l’Art. Cet engagement-là de la part des artistes est presque indicible et il n’est ni perceptible immédiatement ni classifiable. Je suis parfaitement conscient, en toute humilité, qu’il est bien plus fort que l’art engagé politique où le caractère officiel, en quelque sorte, bride les artistes. Au xxe siècle, les exemples ont pullulé. En ce qui me concerne, c’est cette liberté que j’ai en moi qui m’a permis d’arriver là où je suis. Je me sens immensément libre, en tant qu’auteur : mes éditeurs sont convaincus que mes engagements me portent, et d’emblée j’ai su imposer cette liberté. Je ne fais plus vraiment partie du monde de la bande dessinée : on sait que je suis ailleurs. Bien que j’aie réalisé trois films, je n’ai jamais pu entrer dans le monde du cinéma, idem pour l’art contemporain… Pour moi, cette liberté n’a pas de prix. Mes seules limites sont celles que je me fixe. Et tout ça se réalise dans un contexte de vrai plaisir. Autant je ne me sens pas comme un délivreur de messages, autant je suis convaincu qu’il faut que je m’exprime en donnant de la souplesse, de la plasticité et de la nuance et laisser ouverts tout un tas de pans pour que l’imagination du lecteur prenne le relais… Cet engagement me pousse beaucoup depuis toujours, mais encore plus aujourd’hui : je le ressens profondément, oui, c’est vraiment le moment de parler…

Pour essayer de coller au plus près à ce que nous vivons chez nous en France, je voudrais que vous commentiez vous-même une de vos plus récentes réponses à une interview. Je vous cite : « Le drame de la gauche, c’est qu’elle n’a pas réfléchi depuis la chute du Mur et qu’elle s’est mise dans une posture grotesque et stérile : s’opposer au Front national et rien d’autre. Elle est incapable de se réinventer, elle ne fait qu’agiter cet épouvantail depuis quarante ans, c’est sidérant. Je lui en veux énormément et je ne supporte pas d’entendre que le communautarisme est formidable : c’est un grand danger pour l’humanité, la gauche le laisse s’installer, c’est gravissime… »

L’interview est en effet récente, mais ça fait longtemps que je pense ça. Ceci dit, quelque chose a bougé ces temps derniers, mais je ne suis pas sûr que ce soit dans le bon sens. Un pan de la gauche a préempté les débris de tout le reste. Personnellement, je ne suis pas du tout sur une ligne proche de celle de Mélenchon : cet homme a eu un parcours brillant, très chaotique. En fait, son parti me fait peur et cette espèce d’OPA qu’il vient de réaliser sur ce qui restait de la gauche, je la trouve un peu grotesque et un peu minable. Que ce soit ce parti-là, qui est très révolutionnaire, qui ait pris les choses en main me paraît décevant. Je me doute que ça ne va pas durer et que la gauche va bien finir par se recomposer, je vois poindre quelques jeunes élus qui vont sans doute être capables de faire naître une gauche socio-démocrate moderne. J’ai bien conscience que ces mots, il faudrait les jeter aussi et faire table rase de tout ça, mais bon, il faut bien que je tente de me faire comprendre (rire). Oui, il se passe plein de choses. Mais qu’est-ce qui va sortir de tout ça ? Je ne suis pas sûr que ce soit de bonnes choses. La rue va finir par reparler de nouveau, c’est la logique de La France Insoumise, ce sont des pavloviens…

©Yann Lévy

Dans L’homme est un accident, vous évoquez aussi cette sorte de régression culturelle que le numérique a provoquée…

C’est très net. Le numérique, je le compare à une bombe nucléaire qui a explosé et qui a provoqué l’arrêt de toute transmission du passé. J’ai l’impression d’être en présence de nouvelles générations qui n’ont plus besoin des fondements historiques et culturels, qui se disent qu’ils ont la maîtrise des outils nouveaux puisqu’ils sont nés avec et qu’avec ces outils, ils vont faire le monde de demain. Leur tâche va être d’une incroyable complexité, je crois qu’ils le savent…

Ce qui a changé également, c’est la science-fiction. Ce genre a évolué considérablement en même temps qu’il s’est mis à analyser comme jamais les évolutions prévisibles de nos sociétés. Dans Bug, dont le troisième volet vient de sortir, vous décrivez ce qui se passe dans notre monde où la mémoire numérique a disparu. Quels sont les retours que vous avez eus, vous avez pu mesuré l’impact de cette histoire qui se passe vers 2040, pas si loin de notre époque ?

Ils sont excellents. Cette histoire parle formidablement aux gens et je crois que ça tient au traitement que j’ai choisi pour la raconter. L’album est assez classique au fond, il n’a pas ce côté expérimental de mes précédents bouquins, comme Le Sommeil du Monstre. J’avais besoin d’un cadre solide et donc, classique pour traiter de ce sujet. Est-ce que Bug est de la science-fiction ? Ou est-ce notre monde d’aujourd’hui, à peine extrapolé ? C’est un sujet qui est ultime, je dirais. Ça met en rapport la mémoire vivante, celle de notre cerveau, avec la mémoire vive du numérique qui a disparu. L’homme se retrouve confronté au monde qu’il a créé, mais il a perdu le principal des outils dont il disposait. Le plus je travaille ce sujet, le plus je trouve que c’est de la folie. Et d’ailleurs, je me demande si je ne vais pas réaliser plus que les cinq albums que je m’étais fixés pour développer et conclure mon scénario. J’ai la fin, bien sûr, mais je n’ai pas du tout le reste de l’histoire. Ce troisième tome, je l’ai travaillé dans la douleur. Ce n’est pas une image, j’ai été très handicapé durant de longs mois par de graves problèmes de dos, qui sont d’ailleurs la raison qui m’avait fait annuler mon dernier déplacement à Strasbourg, pour les Bibliothèques idéales. Je ne pouvais plus me tenir debout face à ma planche à dessin et c’est sur le canapé sur lequel je suis assis aujourd’hui pour cette interview que j’ai terminé l’album, sur une planche de bois posée sur mes genoux. Ça m’a rappelé mon enfance quand je peignais et dessinais ainsi, dans le tout petit appartement qu’on occupait à La Garenne-Colombes, je me mettais dans un coin, je tournais le dos à tout le monde et je dessinais, je dessinais… Trois pages avant la fin de l’album, je ne savais pas ce qui allait se passer sur la toute dernière image, je ne savais que mon personnage allait devenir tout bleu et perdre la mémoire. Ça s’est fait comme ça, et je me souviens bien que même si j’étais handicapé, tout s’est passé somme toute très tranquillement, comme une évidence…

Pour finir, je ne peux bien sûr que vous demander comment vous voyez la suite des choses, pour notre monde, à une échéance plausible, c’est à dire vers la fin de ce siècle… Parmi les graves menaces que nous devons affronter, il y a celles venant d’un personnage contemporain qui fascine et qui terrorise : je veux parler de Poutine, bien sûr. Dans un album de Bilal, il pourrait être comme la violente résurgence d’un monde qu’on croyait disparu…

Poutine s’est peu à peu radicalisé. Je ne veux pas commenter les raisons qui l’ont amené à ça, je pense qu’on a un peu notre part de responsabilité, mais ça ne sert plus à rien de le dire. Il est devenu cet homme qui veut recréer un empire, il veut être le nouveau tsar, celui qui va détacher son pays de ce monde occidental qui, selon lui, est devenu décadent. Je pense que le conflit avec l’Ukraine va durer, que ces événements sont atroces, mais je ne vois pas ça comme un élément déterminant dans notre histoire humaine. Ce qui m’inquiète beaucoup plus c’est le réchauffement climatique. Ce problème me paraît insoluble, et ses conséquences vont être réellement dramatiques. À commencer par l’Afrique qui va remonter vers nous. On va assister à une grande mutation, le monde qui en adviendra est le monde tel qu’il a toujours été, au fond. C’est le début de 2001, l’Odyssée de l’espace, le film de Kubrick, deux tribus qui se battent pour un même point d’eau et un homme qui se rend compte soudain du pouvoir qu’il a sur les autres avec un os cassé, une arme qu’il peut donc utiliser. Bien longtemps plus tard, l’homme a eu très froid et il s’est dirigé instinctivement vers là où il savait qu’il aurait moins froid. C’est ce qui va se passer. L’Afrique va devenir un continent invivable, les migrations vont rendre les frontières inopérantes. L’humanité va devoir se serrer les coudes, mais ce ne sera pas jouable. Dans L’homme est un accident, je dis qu’en 2100, l’humanité aura disparu. Je ne suis même pas pessimiste, je suis lucide, point barre. Et ce ne sont pas avec les écolos hors-sol que nous avons que nous allons pouvoir nous en sortir. C’est eux qui devraient être complètement lucides sur l’avenir de notre planète, mais non, c’est dramatique, ils sont dans le pavlovisme idéologique. Mais pour revenir à la première partie de votre question, je reste d’une lucidité absolue : à court terme, on peut tout faire pour améliorer ce qu’on pourra améliorer, gagner du temps, gagner du temps de vie sur cette planète, il le faut. Mais à long terme, je le sens, je le sais, il n’y a pas de solution… »

Enki Bilal sera aux Bibliothèques idéales le dimanche 4 septembre à 16H

 

©Yann Lévy