Farès Nahlawi « Je veux écrire mon propre scénario de vie. »
Même pondération et même détermination. Six ans après notre première rencontre en 2015 (lire Or Norme N°19 de décembre 2015), Farès Nahlawi semble ne pas avoir changé et pourtant, que de de chemin parcouru…
À l’époque, ce jeune Syrien arrivait d’Istanbul où il s’était réfugié après le déclenchement de la guerre. Il avait suivi le chemin des migrants et demandeurs d’asile : la traversée en dinghy suivie d’un accostage sur l’île de Lesbos, la périlleuse route des Balkans ensuite et l’arrivée à Vienne. De là il a pris le train pour Strasbourg simplement parce qu’à l’aéroport d’Athènes, il avait croisé Isabelle, l’une de nos concitoyennes. Elle lui avait donné son numéro de téléphone « si jamais » et elle a tenu promesse lorsqu’il l’a appelée d’Autriche.
Et ce choix de Strasbourg Farès ne l’a jamais regretté… L’accueil d’Isabelle lui a permis de prendre son envol dans une France dont il rêvait pour la poursuite de ses études de droit entamées à Damas et poursuivies en Turquie.
« Strasbourg a été en 2015 la première université à s’ouvrir aux demandeurs d’asile », rappelle-t-il. « J’ai pu m’y inscrire dès que j’ai obtenu ce statut en novembre ». Doté d’un solide bagage en langues (anglais et turc), il avait fait deux ans de français en Syrie, mais ne se sentait pas assez à l’aise pour démêler les arcanes du vocabulaire juridique, il a opté pour une première année en « langues et interculturalité » qu’il a validée sans problème, mais en sentant « qu’il pouvait en faire plus ».
Désormais à l’aise en français, il s’est orienté en « Langues étrangères appliquées » (anglais, italien, allemand) ce qui lui a permis de familiariser avec le système universitaire français et d’obtenir un logement étudiant.
C’est aussi à cette époque que lui fut délivré un permis de séjour de dix ans qui lui a ouvert la possibilité de se construire beaucoup plus sereinement un avenir conforme à ses rêves. Après cette année validée avec mention, Farès a franchi le pas. « Enfin le droit ! ».
« UNE BOURSE EST UN VRAI ENCOURAGEMENT »
À l’écouter on réalise combien il avait été frustrant pour lui « d’abandonner quelque chose qui avait été commencé ». Reprendre cette formation initiale fut un défi, car la charge de travail était énorme, mais il dit avoir eu « beaucoup moins peur » après la réussite « sans rattrapage » de la première année.
À la fin de sa deuxième année réussie sans encombre elle aussi, il a reçu du ministère des Affaires étrangères une bourse de trois ans qui lui a permis de prendre un appartement. Fondée sur « une candidature motivée », celle-ci est le résultat d’une stricte sélection. « En être bénéficiaire a été un vrai encouragement », dit-il. « Voir que l’on croit en vous est très gratifiant ».
La réussite de cette troisième année – menée parallèlement à une licence en littérature et civilisation arabes – fut complétée par un master en droit européen et droits de l’homme obtenu avec mention et suivi d’une admission à Sciences Po Strasbourg. Fin février, il a entamé un stage à la commission « migrations » de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qu’il espère compléter, à l’automne, par un autre qui se déroulera à Bruxelles dans les services de la Commission européenne. D’ici là, il devrait avoir obtenu la nationalité française demandée en novembre 2020 et pour laquelle il a passé avec succès l’entretien obligatoire.
« JE NE RECONNAIS PAS LA FRANCE DANS LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE »
À dérouler le fil de cette success-story, on se dit que tout s’est passé à merveille pour ce jeune homme brillant et déterminé, ce qu’il confirme.
« J’ai comblé mes ambitions académiques, dit-il. Je le dois à l’université de Strasbourg et à la ville elle-même où j’ai pu rencontrer des gens de tous horizons sans qu’on me demande : tu viens d’où ? » Cette ouverture, il l’attribue à une certaine ambiance cosmopolite. « Il faut des rencontres pour casser les clichés, les phobies », observe-t-il en regrettant que les médias répercutent surtout des discours xénophobes qui frappent essentiellement « les personnes qui ne croisent que rarement des étrangers ».
« Lorsque je quitte Strasbourg, les gens sont gentils avec moi, mais ils me voient comme une exception : “toi c’est pas pareil !”. Ils ne sont pas extrémistes dans l’âme, ils sont simplement influencés par les discours envahissants ». Il dit aussi « ne pas reconnaître dans la campagne présidentielle » la France qu’il côtoie. « Les gens manquent d’infos et se contentent de ce qu’on leur sert en permanence », répète-t-il en se souvenant de sa propre expérience lorsqu’il est arrivé à Strasbourg. « J’avais peur des Juifs parce que j’avais été bercé dans un antisémitisme violent dès mon enfance. Voir une synagogue me faisait frissonner… Et puis j’ai fait la connaissance d’un Juif qui est devenu mon ami, j’ai beaucoup lu et j’ai adhéré à la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ce qui, pour moi, était une manière d’aller à l’encontre de tout ce qu’on m’avait mis dans la tête ».
LES MOTS DÉMOCRATIE, LIBERTÉ, DIGNITÉ, ICI JE LES VOIS EN COULEURS
Un déclic qui en a entraîné d’autres. « J’ai tout remis en question », raconte Farès, heureux d’avoir pu se confronter à « des points de vue différents ». « D’être ici m’a donné ma liberté humaine, ma dignité, le droit de m’exprimer. J’y pense tous les jours parce que je sais ce que ça veut dire au quotidien. Je connais l’importance des mots “démocratie”, “dignité”, “liberté”, “État de droit”, “droits humains”. Ici, je les vois “en couleurs”. Le droit d’être soi-même n’a pas de prix quand on a vécu dans une société patriarcale, sexiste, homophobe, antisémite où le religieux ne mène qu’à un conservatisme sans fondement ».
Désormais, Farès veut « être l’auteur de son propre scénario de vie » et ne pas être « un acteur de seconde zone dans un film qu’il n’aurait pas écrit ». Il sait que la guerre et l’exil sont des injustices qu’il a dû affronter, mais il refuse de devenir « une victime qui ne fait rien d’autre que mobiliser les sentiments ». « L’aide, souligne-t-il, il faut savoir la demander, mais on se doit d’en faire quelque chose. Il faut avancer et refuser de se duper soi-même ».
Ce destin qu’il veut écrire, Farès le voit dans la diplomatie – nationale ou européenne – en gardant « la dimension droits de l’homme » de son cursus. Pour le construire, il étudie et se nourrit de rencontres, de films, de livres… Les Identités meurtrières d’Amin Maalouf, L’Étranger de Camus l’ont beaucoup marqué.
Tout comme Le Deuil et la mélancolie de Freud l’aide à dépasser cette enfance en Syrie qu’il ne peut, à l’évidence, rayer d’un trait de plume…