Florent Gast « Mes attaches sont désormais dans ce pays… »

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Article publié dans le cadre du dossier Destination de Légende sur l’Islande, publié dans Or Norme N°47 et à découvrir également en ligne

Alsacien d’origine puisque natif d’Obernai (mais il a vécu dans les Vosges dès l’âge de deux ans), Florent Gast, 34 ans, est passé par la Fac de Nancy pour une licence d’Anglais puis un Master de Français – Langues étrangères qui l’aura finalement amené en Islande pour un stage d’un semestre à l’étranger. Et ce fut le coup de foudre…

Il avait prévenu : la rencontre et l’interview ne pourraient se faire qu’avec ses deux filles, dont il avait la charge lors de la semaine. Aucun problème pour un tel deal sauf qu’on ne peut pas contraindre deux enfants de moins de dix ans à rester stoïquement sages pendant cinquante minutes, pendant que le papa raconte tant de choses à ce monsieur étranger qui veut tout savoir. « Pas de problème, je vais choisir un endroit où elles pourront jouer dehors… » avait dit Florent qui avait fixé le rendez-vous une fin d’après-midi, dans un bar à proximité immédiate de l’aéroport de Reykjavíkurflugvöllur réservé aux vols intérieurs islandais.
Situé à peine quelques kilomètres du centre de Reykjavik, l’endroit ressemble à une vague zone commerciale un peu désertée et le bar convenu occupe un de ces ex-hangars typiques de l’armée de l’air, avec son toit arrondi, qui pullulent dans la zone. L’intérieur, cependant, est joliment agencé et décoré et s’avère être un des spots les plus tendance de la capitale islandaise.
Florent n’aura besoin que d’un rapide coup d’oeil, après avoir stationné son véhicule, pour juger l’endroit tout à fait sûr et pendant une heure, Andrea et Júlia gambaderont en totale liberté au milieu de quelques jeux d’enfants en plein air. Une seule fois durant l’heure de l’interview, leur papa sortira du bar pour jeter un coup d’oeil : ce n’est pas la première fois où on réalise que, décidément, les enfants bénéficient ici d’une éducation à la responsabilité qui ne pourrait certainement pas s’exercer ainsi en France…

L’Islande en tête

« Pour ce trimestre à l’étranger dans le cadre de mon Master » raconte Florent, « j’avais postulé un peu partout, en Norvège, en Lituanie mais aussi en Islande. En fait, j’avais depuis longtemps l’Islande en tête : je suis passionné de volcanisme depuis toujours et cette passion est née grâce à deux héros alsaciens, Katia et Maurice Krafft, cet incroyable couple de vulcanologues qui ont été victimes de leur passion en 1991, Katia et Maurice Krafft ont été emportés le 3 juin 1991 par une coulée pyroclastique sur les flancs du volcan Unzen au Japon. » (Un très beau doc réalisé par Werner Herzog, Requiem pour Katia et Maurice Krafft est encore disponible en streaming sur le replay de Arte – ndlr). « Je me souviens aussi des images de l’éruption de Heimaey sur les îles Vestmann, au large de l’Islande, que j’avais découvertes dans un livre qu’on m’avait offert alors que j’étais encore enfant. Et je ne vous parle même pas, bien sûr, de l’éruption de l’Eyjafjallajökull, en 2010, situé à peine 150 kilomètres de l’endroit où nous nous rencontrons… »

En 2011, Florent postule donc pour un stage à l’Alliance française de Reykjavik, programmé dans le cadre de son mémoire de Master. Début février, sous le statut de freelance, il enseigne le français à l’Alliance puis il profite d’un poste d’assistant de direction qui se libère pour se fixer en Islande. « Le poste recouvre en fait une multiplicité de responsabilités qui vont de l’administratif à la communication en passant par l’organisation d’examens et l’animation culturelle. Le tout notamment au profit d’une communauté française qui tourne autour de 300 résidents permanents mais il y a aussi pas mal de saisonniers qui s’ajoutent à ce nombre. Mais mon rôle principal n’est pas de m’adresser spécifiquement à eux, au contraire il s’adresse aux Islandais auprès de qui nous essayons de diffuser la culture française sous toutes ses formes ainsi que la Francophonie… »

« On m’a fait confiance dès le départ… »

Le temps de prendre quelques instants pour se lever et jeter un rapide coup d’oeil sur ses deux filles qui jouent à l’extérieur, Florent se met à commenter sa vie à Reykjavik : « Au niveau privé, j’ai un conjoint avec qui je vis et ce sont ses deux enfants naturels, je me suis donc très naturellement intégré à cette famille. Ici, tout est très ouvert d’esprit sur ces sujets, très gay friendly… Cela fait maintenant dix ans que je vis en Islande et franchement, je m’y sens très bien dans ma peau. En dehors de mon job à l’Alliance, je guide durant les mois d’été ce qui fait que je connais bien le pays. Au fur et à mesure de ces dix ans, j’ai appris l’islandais, ce qui me permet également de faire un peu d’interprétariat. La société islandaise est tellement petite que, très souvent, on rencontre des gens qui ont plusieurs casquettes, plusieurs cordes à leur arc. C’est fréquent. Mes activités me permettent donc de rencontrer beaucoup de gens et c’est autant d’échanges d’expériences.
Depuis 2010, il y a eu un boom touristique impressionnant et cet engouement pour l’Islande ne s’est pas démenti depuis. C’est d’ailleurs ce phénomène qui m’a permis de devenir guide, il y avait un fort manque local en ce domaine. On m’a fait confiance dès le départ, ça c’est un trait de caractère local. Ici, se lancer dans des projets transversaux est somme toute assez facile, au contraire de la France où il faut être bardé de diplômes et d’expérience.
Aujourd’hui que je suis devenu islandais de nationalité, je me sens suffisamment implanté pour essayer de parler de ce pays. Pour moi, il y a eu un avant et un après l’apprentissage de la langue. Quand on ne parle pas l’islandais, on a l’étiquette du visiteur qui finira toujours par repartir un jour ou l’autre : les gens sont polis et courtois mais ce sera assez difficile de nouer de vrais liens d’amitié. Mais l’islandais reste une langue très difficile à apprendre, ce qui est un handicap pour le pays qui a beaucoup besoin d’émigrés pour se développer. Sincèrement, les portes ne se sont vraiment ouvertes pour moi que lorsque je me suis senti assez confiant pour parler la langue quasiment en permanence… Alors, je pense que je suis légitime pour parler des Islandais : ce sont des gens chaleureux, sympas, sans doute un peu froids en apparence lors des premiers échanges, un peu comme des volcans qui seraient recouverts par un glacier ; l’image n’est pas de moi, elle est d’une jeune femme expatriée que j’ai connue ici… C’est peutêtre aussi dû au climat : il pleut souvent, il peut faire froid même si, curieusement, il fait en moyenne moins froid en Islande qu’en Alsace ! Il y a aussi ces deux mois d’hiver où la luminosité manque. Alors, il faut s’occuper, il faut avoir des amis, il faut faire du sport et tout ça permet d’oublier et de surmonter cette obscurité qui n’est quand même pas totale : au solstice d’hiver, le soleil le lève vers onze heures le matin et se couche vers quinze heures. En attendant, nos deux filles ont eu droit à leur cuillère de foie de morue chaque matin à l’école : c’est un puissant apport de vitamine D… »

Une société paisible

Mais c’est sur les thématiques liées à la tolérance que Florent s’exprime le plus volontiers. Il en souligne les aspects très particuliers : « Ici, à Reykjavik, la gay pride annuelle est comme une institution, elle n’est pas fêtée que par les gays ou les transgenres. C’est une fête familiale, c’est la fête de l’amour universel. Quant au profil atypique de notre famille, il n’a jamais fait l’objet du moindre questionnement autour de nous, à l’école par exemple. En fait, j’oublie totalement ce qui pourrait être considéré comme une exception en France : certes, nous ne vivons pas comme la majorité des gens autour de nous mais ce n’est pas un sujet, je ne me pose pas de questions. Je n’ai jamais éprouvé le besoin de me justifier. Sur un plan plus global, je sens que l’Islande est dans la bonne direction. L’insularité et le faible nombre d’habitants imposent que ce pays puisse s’ouvrir et c’est le cas, les Islandais le souhaitent dans leur très grande majorité. Les gens sont conscients que cet apport d’immigrés est indispensable. Il n’y a globalement pas de gros problèmes de sécurité en Islande, vous le voyez bien d’ailleurs, mes deux filles jouent tranquillement dehors sans que je n’éprouve le besoin de les avoir sous les yeux toutes les cinq minutes. Dans le quartier que j’habite ; c’est très cool aussi. Les enfants prennent très vite l’habitude de se fréquenter dans les familles. Nous sommes tous reliés par une petite application style WhatsApp et quand je pose la question : « Où est Andrea ? », la réponse arrive vite : « Elle est chez nous, en train de prendre son goûter… » J’avoue que nous vivons dans une société paisible et c’est très agréable, je le vis comme un privilège. C’est sans doute un des pays du monde où élever ses enfants est le plus facile et le plus agréable… Ceci dit, le fait d’être un petit peuple n’est pas sans inconvénient : c’est très difficile de sortir sans rencontrer quelqu’un qu’on connait. Ce sentiment est permanent. Quelquefois, on aimerait bien vivre dans un certain anonymat. Du coup, ça peut provoquer d’étranges sensations. Regardez nos maisons : elles n’ont pas de volets, elles ont de grandes baies vitrées, on ne cache rien, il n’y a rien à cacher… »

J’ai vraiment grandi…

Très vite, au coeur de ce bar branché de la capitale islandaise, la conversation bifurquera vers des thématiques liées à l’art et à la culture. Là encore, Florent n’est pas avare quand il s’agit de manifester sa satisfaction quant à son pays d’adoption : « On en a parlé, le climat et la luminosité quelquefois insuffisante poussent les gens à s’occuper de quelque façon que ce soit et dans ce cadre, l’art et la pratique artistique sont florissants. D’ailleurs, les Islandais consacrent beaucoup d’argent pour la décoration de leur intérieur et pour l’achat d’oeuvres d’art. Il en va de même pour les équipements publics en la matière… » Et, très vite, de citer le Harpa, cette gigantesque salle de concerts et de conférences, à l’architecture d’une folle audace, construite à proximité immédiate du port, face à l’océan. « Je le raconte souvent quand je guide : la construction du Harpa a débuté très peu de temps avant la crise financière de 2008 et son édification a très vite été hors de prix. Il a même été question de stopper immédiatement les travaux. Mais il a été décidé que le contribuable mettrait la main à la poche et les travaux ont pu continuer. Quand il s’agit d’art, les Islandais réclament le meilleur et ce bâtiment est devenu finalement un marqueur, un emblème pour leur capitale… »

Tout au long de l’entretien, Florent sera resté soucieux de ne jamais employer un vocabulaire trop dithyrambique pour parler de ce pays qui l’a accueilli et où il se sent si bien tant professionnellement qu’humainement. Pour un peu le provoquer, en conclusion, on le pousse à se demander ce qu’il ferait si on lui proposait le même job très loin d’ici, avec un salaire doublé à la clé : « Pourquoi pas ? C’est d’ailleurs peut-être un projet de partir un temps ailleurs, oui, pourquoi pas ? Mais ce serait pour revenir tôt ou tard en Islande. Je sens que mes attaches sont désormais dans ce pays, il y a ici comme une forme d’insouciance, j’utilise mon vélo pour aller au travail, je suis à deux pas des montagnes et de l’océan, et partout en Islande, il y a cette belle ouverture d’esprit et ce gros potentiel d’opportunités. On m’a fait confiance sur énormément de choses. J’ai vraiment grandi. Je ne vois pas, pas plus en France qu’ailleurs, un pays où j’aurais pu réaliser aussi vite tout ce que j’ai fait ici… »

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