Il est né il y a cent ans⎢Pasolini l’intranquille

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Comment croire que le cinéaste transgressif, le poète brûlant, Pier Paolo Pasolini (1922-1975) eut pu atteindre l’âge de cent ans tant il semble toujours d’une intense jeunesse ? C’est peut-être le propre des artistes morts jeunes. Il ne l’a pas atteinte, cette centaine, loin s’en faut. Et pourtant fêter le centième anniversaire de sa naissance prouve combien il est resté présent, combien sa « vitalité désespérée », titre du dernier recueil paru chez Gallimard regroupant les fameuses Cendres de Gramsci, La religion de notre temps et Poésie en forme de rose, demeure nécessaire…

Son visage creusé et sa silhouette sont aujourd’hui encore iconiques, dessinés en noir et blanc collés sur les murs, Pasolini toujours disruptif comme on dit aujourd’hui, portant un Christ crucifié, lui férocement contre la religion, par le peintre Ernest Pignon-Ernest.
Intellectuel très engagé, « poète civil » dit René de Ceccatty dans sa biographie (Folio) très proche des marxistes, avant tout antifasciste, proche aussi des luttes paysannes dans sa région d’enfance le Frioul, puis ouvrières et sociales à Rome, pourtant jamais affilié où quand il l’a été (Parti communiste italien), exclu, profondément tourmenté par le privilège de sa propre condition et le vécu de son homosexualité, passionné de football, Pasolini est quelqu’un de pur, qui croit au changement politique, et qui tout au long de sa vie luttera pour cela. Jamais la création ne sera séparée de son engagement. C’est aussi un homme lucide, conservateur à sa façon au fond sur le tard (contre l’avortement, la libération des femmes) que l’amertume gagne peu à peu, mais qui reste combatif.

Sa poésie est très belle :
Est-il de mai, cet air impur qui rend ce noir jardin étranger
plus noir encore, ou l’éblouit
d’aveugles éclaircies,
elle précédera l’oeuvre cinématographique.

Lui-même dira : tous ces films, je les ai tournés « en poète ».

Sa poésie est bien moins provocatrice que ses films, aussi demeure-t-elle peut-être plus lisible :

Il ne t’est permis,
ne le vois tu pas,
que de dormir en terre
étrangère… … je m’en vais,
je te quitte, dans le soir,
tombe si doux
pour nous, vivants,
dans la clarté cendrée….
(dans Les cendres de Gramsci)

Il s’y lit toujours une tendresse, une force aussi, une rage sociale et la merveilleuse et brûlante sensualité.
Peu de belles filles, mais des corps de garçons pauvres du monde rural à l’adolescence
frêles corps nus comme des esprits
puis du monde ouvrier plus tard,
c’était là les dieux
ou les fils de dieu
qui se donnent facilement, sans savoir qui est Pier Paolo, qui défendra avec acharnement leurs droits.

Nous avions tous été choqués de la fin de Pasolini (fin 1975 donc), qu’il avait d’ailleurs très précisément décrit littéralement massacré, battu à mort, puis écrasé volontairement par une voiture, sans que jamais les raisons de cet assassinat – sexuel ou politique – ne soient vraiment éclaircies. Célébrer une naissance, dans ce cas, reste entaché de noir et de sang. Pourtant il a vécu très pleinement sa vie et donné le meilleur de lui-même.
À la fois haï (des dizaines de procès pseudo-politiques) et très aimé (nombreuses récompenses pour ses films, toujours dans un climat de scandale), Pier Paolo Pasolini n’a jamais rien négocié de sa liberté.
Mais sa poésie reste parfois étrangement si douce, malgré les brûlures, quand il évoque la Poésie en forme de rose, allusion politique autant que poétique.
Pasolini est toujours actuel.

Rencontre aux Bibliothèques idéales : À livre ouvert/wie ein offenes Buch,
Samedi 10 septembre à 20H30 à la Cité de la musique et de la danse
avec le soutien de l’Institut culturel italien et de l’OLCA.