« Je veux des madeleines de Proust à petites doses… »

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Dans un élan de rangement, j’ai fouillé dans ma boîte à mémoire. Ce petit lot de souvenirs berce mes repères, et accompagne ceux qui me restent gravés sur le cœur. L’étiquette aux lettres gaufrées m’apporte une bouffée d’allégresse entre un lot de chargeurs pour téléphone, et des cartes de souhaits vierges. Mon esprit cartésien trouve ce contenu disparate visuellement beau…

Entre deux photos de ma Belle Province, j’ai retrouvé le rouleau à pâtisserie qui a accompagné les premières popotes avec ma grand-mère maternelle. Un souvenir qui sent bon la tarte aux fraises…

Dressée à bout de pieds sur un coin de chaise, j’aplatissais la pâte avant de la tripoter vers un semblant de chef-d’œuvre. Ma deuxième mère avait un don naturel pour mettre de la farine partout. Je n’ai rien perdu de ses bonnes manières. Affairée pendant de longues minutes, j’étais fière de ma production. 

Avec les retailles de pâte, ma grand-mère fabriquait des chaussons. Je trouvais ça magique. Sa douce bienveillance et elle sont parties depuis, et le petit rouleau à pâtisserie est l’une des rares choses que j’ai gardées d’elles. Du bois raboté de sentiments…

C’est que, récemment, j’ai rejoint le groupe des trentenaires, qui fait drôlement plus sérieux que celui des sweet sixteen. À bout de poumons, j’ai souhaité que la prochaine décennie enrichisse mon vocabulaire de mots qui gravitent dans le champ lexical des adultes. Ceux qui se rapprochent d’une maison et d’un petit humain… Puisque le premier projet arrivera certainement avant le deuxième, je m’intéresse aux palettes de couleurs. Notamment celles où flirtent toutes les nuances de blanc. Dans cet intérieur immaculé, le reposant s’invite plus rapidement dans mon esprit. Le moment venu, ma boîte à mémoire trouvera une nouvelle bibliothèque à égayer. Elle s’immiscera à pas feutrés pour m’aider à ne pas assoupir l’enfant que je suis toujours.

© Caroline Paulus

Les fringues baume au cœur

Mon grand-père paternel, lui, gardait des monticules de journaux dans sa cuisine. Son quotidien plaqué de nouvelles périmées lui donnait l’impression de capturer des fragments de temps. Et trahissait l’angoisse de sa propre fin. Tous les dimanches, une quinzaine de petits-enfants tournaillaient tout autour. Bien que fort bruyants, il adorait nous voir dans son bazar. Il devait y voir tout le beau de la circularité du temps.

Les journaux, ça se range rapidement à coups de piles bien droites. Certains trésors sont largement plus encombrants. C’est le cas de ceux qui ont une passion vertigineuse pour les vêtements. Ceux qui ont accompagné tout leur glorieux. Du trop petit, du trop grand, du fleuri jauni, et la paillette d’un temps révolu. L’espace du quotidien est alors réquisitionné de fringues baumes au cœur. Des placards souvenirs qui fatiguent le présent. Parfois il est bien de le laisser tel qu’il a été, le temps. Avec toute son éphémérité.

Les nombreux au cas où

Il y a aussi ceux qui gardent tout – ou qui ne jettent rien, ça dépend du point de vue. Allergiques à la méthode de Marie Kondo, ils s’encombrent un peu plus à chaque saison. Dans toutes les pièces de leur chez eux, le passé est émietté entre les objets souvenirs, les choses à réparer, et les nombreux au cas où. Loin d’une envie de collection, les stylos qui ne fonctionnent plus côtoient un lot indécent de vieux magazines. À la cuisine, quelques décennies de verres à moutarde dépareillés garnissent les armoires. Idéal pour les réceptions improvisées certes, mais ils témoignent néanmoins d’un certain anachronisme vis-à-vis du confort de la société de consommation actuelle.

Je ne me trouve pas plus maligne, avec mon envie d’intérieur blanc. Je trouve ça même plutôt pratique, d’avoir un peu de tout à proximité. Et il y a quelque chose de profondément humain dans l’envie de garder un objet qui contient un brin de nous-mêmes tant il nous a accompagnés. Mais je n’ai pas envie de vivre dans mon musée. Les objets n’ont pas d’âme, ils ont celle -parfois glorifiée- que nous leur attribuons. De l’autre côté de l’océan, mon doudou -écorché et maintes fois recousu- existe toujours. Sa vue m’accroche un sourire, mais malgré le doux qu’il me colle au cœur, je n’ai pas envie de le placarder dans mon quotidien.

Je veux des madeleines de Proust à petites doses. Parce que dans le regard de ceux qui chérissent les trésors de leur passé avec dévotion, il y a un étouffant brouillard de nostalgie. Je veux des madeleines de Proust à petites doses. Parce que la boulimie de souvenirs m’angoisse ; elle a cette vicieuse capacité à diluer le gout de toutes les tartes aux fraises…

© Caroline Paulus

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