Le livre de mon confinement I Francesca Gariti

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Nous avons invité des personnalités strasbourgeoises, mais avant tout des lecteurs, cinéphiles ou mélomanes, à évoquer un livre, un film, ou une musique ayant marqué d’une manière ou d’une autre leur confinement. Car oui, la culture est bel et bien (plus que jamais?) essentielle. Qu’elle soit source de plaisir, d’élevation ou d’émerveillement, bouleversante ou dérangeante, stimulante ou propice à l’évasion… 

La culture et tous ses acteurs sont meurtris d’avoir été jusqu’à hier soir considérés comme « non essentiels ». Alors à nous de continuer la faire (re)vivre, puisqu’elle nous est vitale.

Découvrez toutes les semaines les choix de nos invités, et profitez de cette parenthèse culturelle (et bien souvent enchantée) pour peut-être, qui sait, vous inspirer?

 

La puissance de la douceur,
Anne DUFOURMANTELLE

 

Et si, au-delà de tout ce qui nous oppresse dans ces failles systémiques récurrentes, nous considérions ce moment pandémique comme un appel à autre chose, à un monde certes inédit mais peut-être meilleur ?

Et si nous nous affranchissions des aprioris pour penser autrement ?

C’est en ce sens que je découvre à point nommé cette année, le très beau livre de la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle qui s’interroge sur une autre dynamique :
« La puissance de la douceur ».

Loin de la considérer comme une mièvrerie ou une imposture, pour Anne Dufourmantelle, la douceur est à contre-courant d’une société qui se brutalise. Par contre, elle reconnaît en l’autre la blessure, accompagne le soin, contribue à sa guérison.

Loin également de la contrefaçon, version fausse douceur et douce violence, la vraie douceur est vive, rare et clairvoyante tout en étant sobre, discrète et apaisante.

Elle métamorphose nos moments de fragiles incertitudes en potentialités.

Elle est « une force de résistance » symbolique et prodigieuse, un pas de côté, comme un autre chemin.

Là où la violence déchire, la douceur écoute, là où la violence sépare, la douceur accueille : « un dire non qui est aussi un dire oui au sens de l’approbation de la vie » dit-elle.

Dans cet essai, Anne Dufourmantelle porte un regard, une posture, une intonation, une attention sur la douceur « comme on traverse un jardin », comme une qualité rare à cultiver, comme un trait d’union entre un mouvement intérieur et extérieur d’hospitalité, comme une caresse nécessaire à l’éclosion de l’Être, comme une affirmation de l’extrême beauté de l’existence, comme un choix éthique aussi bien qu’esthétique…

« Rire, chanter, aimer sont des actes puissants, dionysiaques, expressions d’une vie authentique. La douceur implique le corps, c’est à dire l’idée et la sensibilité d’un corps que la douceur aurait éduqué, élevé, anobli. Sa puissance distillée par les sens.

La douceur ne se possède pas. On lui fait hospitalité. Elle était là, aussi discrète et nécessaire et vitale qu’un battement de cœur. Sa puissance charnelle va de la volupté à la plus légère pression de la main, elle est pensée quand elle touche et touchée quand elle est intelligence.

La douceur ne fixe aucun endroit du corps, elle est venue depuis la naissance là où l’on respire, elle accompagne les rêves et rejoint leur révolte secrète, elle ne se révèle jamais qu’après coup, dans la sensation qu’elle laisse au sommeil.

Aucun événement de ce monde ne lui est étranger, car elle porte la responsabilité du vivant. Sans douceur pas d’être au monde humain. Aucune traduction possible autre que violente.

La douceur ressemble à un vœu d’enfant. À cette promesse chuchotée : je serai toujours près de toi.
[…]
Sa puissance se distille par les sens. Érotique, elle l’est de toutes les manières possibles. Parce que l’intention qui la contient est un apprivoisement de la sauvagerie des humeurs et du corps qui admet aussi le négatif, l’ombre et le noir font partie des états du corps en désir. Pas de douceur sans désir qui ne se transmute en caresse, en jeu et ne se recourbe pas en possession.
[…]
La douceur s’éprouve. Comme le rêve, elle modifie substantiellement ce qu’elle affecte. Elle ne laisse pas indemne.
La douceur de la montée du plaisir. L’abandon dans la certitude de l’amour et de l’érotisme, quand jouer et toucher et prendre et se donner et imaginer s’accordent.
[…]
Si la douceur était un geste, elle serait caresse… »

La puissance de la douceur, Anne DUFOURMANTELLE, Payot

Francesca Gariti, photographe. Découvrir son poétique compte Des Racines et Des Rêves