Le monde flamboyant de Lorenza Stefanini

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Globetrotteuse de 27 ans, Lorenza Stefanini partage sa vie entre son métier de libraire et son amour de l’Histoire et des cultures. Au-delà des itinéraires balisés, elle voyage comme elle lit : avec passion, le cœur grand ouvert.

« Toutes les existences ont la même racine » – Taisen Deshimaru

ON : D’où te vient cette passion pour le voyage ?

« Elle me vient de mes parents je pense, ils ont beaucoup voyagé, ils ont été quasiment sur tous les continents ; mon père est passionné d’Afrique. J’ai énormément de souvenirs d’enfance venant de lui, me racontant ses voyages au Kenya, au Cameroun… et puis la maison était remplie de gros albums photos de tous les endroits où ils avaient été. Je lis beaucoup aussi, j’ai toujours beaucoup lu, et forcément ça contribue à l’ouverture sur le monde. La première fois que j’ai quitté l’Europe, j’avais 16 ans, c’était pour un voyage humanitaire à la frontière de la Mauritanie, et je pense que quelque chose s’est passé là-bas, ça a été une véritable révélation, une sorte d’explosion, le premier voyage d’une longue série.

Quels sont les pays que tu as déjà visités ?

J’ai visité 23 pays différents, toujours en sac à dos. J’ai bien sûr beaucoup voyagé en Europe, j’ai été très jeune aux États-Unis, perdue à New-York ! J’ai été en Islande, dont j’ai fait le tour en voiture, au milieu des tempêtes de neige… Plusieurs fois au Maroc, là encore en voiture, en Turquie également. En Asie, j’ai parcouru la Thaïlande, les Philippines, le Laos, le Cambodge et le Vietnam, puis j’ai été au Liban et en Iran, certainement un de mes plus beaux voyages, et là je rentre du Rwanda.

Certains de ces pays ne sont pas franchement considérés comme des destinations de plaisance, qu’est-ce qui t’attire dans ce type de voyage ?

Effectivement, l’amie à qui j’ai proposé de partir au Rwanda, ça a été sa première réaction, elle m’a dit : « mais attend ce n’est pas la guerre là-bas ? ». Je lui ai envoyé des documents, je lui ai fait lire des livres, et elle s’est rendue compte que non, ce n’est pas la guerre, ça ne l’est plus du moins ! Ce qui m’attire dans ces pays, ce qui me touche au cœur, c’est l’histoire passée et actuelle. Liban, Rwanda… leur histoire est complexe mais passionnante. C’est toujours par la lecture que se fait la connexion. Je lis beaucoup avant de me rendre quelque part. Cela soulève des questionnements et j’ai alors d’autant plus envie d’aller voir par moi-même. La lecture et l’histoire sont mes fils conducteurs.

Chez les nomades, entre Ispahan et le Mont Zagros en Iran ©DR

Je suppose qu’il faut beaucoup de confiance en soi pour partir ainsi à l’aventure… As-tu connu des déboires ou t’es-tu déjà sentie en danger ?

La confiance en soi je ne sais pas, parce que je n’ai pas l’impression d’en avoir beaucoup (rires), mais en tout cas il faut avoir foi en l’humanité, oui. Il faut avoir confiance en les autres. Avec mes amis, on a peut-être eu beaucoup de chance pour l’instant, mais on a un bon filtre aussi, je n’ai pas l’impression que l’on se soit jamais vraiment mis en danger… Cela dépend aussi du pays. Quand on était en Iran on s’est dit qu’on allait éviter de faire du stop et de monter dans une voiture avec des inconnus, alors qu’en Asie c’est possible.

Mais des déboires j’en ai connu, oui. Le plus récent c’était au Rwanda. On a fait confiance à un garçon et on a loué une voiture à un ami à lui, mais il a oublié de mettre de l’eau dans le réservoir… le capot s’est mis à flamber en pleine campagne ! Il n’y avait personne, heureusement nous avons trouvé un petit village et l’on a pu se faire aider. Des enfants sortaient des maisons, tout le monde venait à notre secours mais impossible de redémarrer la voiture. Nous avons réussi à contacter le garçon à qui l’on avait loué la voiture qui nous a dit « ne vous inquiétez pas je viens vous chercher ». Il prend donc sa voiture, et au bout d’une heure, il nous appelle en disant « désolé les filles, moi aussi j’ai une panne, j’ai mon capot qui flambe ». Donc apparemment c’est courant là-bas, les voitures qui flambent ! Au final, un villageois a fermé sa boutique pour nous raccompagner à la nuit tombée. Ce sont des déboires qui mènent à des rencontres.
En réalité, plusieurs fois c’était l’idée que je me faisais de la situation qui était angoissante, alors qu’en réalité ce n’était pas du tout dangereux. À Téhéran, avec ma sœur, on devait prendre un bus, il commençait à être tard, on était dans un parc loin de la station et on avait peur de le rater. On nous avait dit de ne pas monter dans des voitures reconverties en taxi, mais là pas de taxi jaune… Personne dans la rue. Soudain, un homme passe, qui nous demande si on a besoin d’aide. On lui explique, il commence alors à arrêter toutes les voitures. Il en arrête une avec deux hommes à l’avant et nous dit, dans un anglais approximatif, que c’est bon, qu’il faut monter et qu’ils vont nous amener à la gare. Je ne sais pas ce qui nous a pris, on est montées dedans sans réfléchir, portées par l’action. Une fois à l’intérieur, on était extrêmement angoissées, mais on a finalement compris que c’était bien un taxi et que l’on filait à la gare. Mais c’est là qu’on a eu vraiment peur, parce que le conducteur roulait très, très vite, une véritable fusée ! Il ne voulait pas que l’on rate notre bus, du coup il a même téléphoné à l’agence pour qu’ils nous attendent ! Au final nous sommes arrivées à l’heure et notre pilote nous a même aidé à charger les valises ! Aucune raison de s’inquiéter !

Dans tes voyages, tu es au plus proche des femmes et des hommes du pays, quelles ont été tes plus belles rencontres ?

Au Rwanda quand on était à la frontière du Congo, nous voulions nous rendre dans le parc des grands volcans, mais il coûtait beaucoup trop cher pour nous. Le soir en allant manger, on a rencontré deux adolescents qui parlaient anglais et qui se sont proposés de nous faire découvrir la région. Le lendemain on a donc loué des taxis motos et ils nous ont montré leurs coins préférés. Même sans parler beaucoup, il y avait une belle alchimie entre nous, nous avons passé une journée magnifique tous les quatre.
En Iran c’était différent, je n’ai pas rencontré quelqu’un en particulier mais j’ai eu un très beau moment dans une mosquée. J’étais assise et une femme est venue vers moi pour me caresser les mains, puis elle m’a prise dans les bras. Elle ne parlait pas du tout anglais, on était complètement dans le langage des signes, dans le toucher… Elle voulait absolument me donner quelque chose, et elle a fini par m’offrir un petit paquet de chewing-gums. C’était tout le temps comme ça en Iran, tu marches dans la rue, il y a une femme qui s’approche, qui s’accroche à ton bras et qui te dit simplement bonjour.

Rue à Abyaneh en Iran ©DR

Qu’as-tu appris sur l’Autre et sur toi-même ?

C’est une question compliquée… Cela fait maintenant dix ans que je voyage et j’essaye chaque fois de partir sans préjugés et avec le cœur ouvert. Ce que j’ai appris sur moi relève plus de la gestion des émotions. Quand j’étais dans un petit village dans la forêt dans le nord du Rwanda, je me promenais dans les plantations avec un garçon, et soudain, en me désignant un coin de terre, il m’a dit « tu vois ici la semaine dernière, il y a un bus qui s’est écrasé, les enfants sont tous morts », j’étais choquée, j’ai dit « mais c’est horrible », et lui m’a répondu « mais non, c’est la vie »… J’ai l’impression que les gens que je rencontre ont moins peur que nous de manière générale et j’essaye de m’imbiber de tout ça, de comprendre aussi la patience et l’humilité. Les gens ne t’ignorent pas, ton voisin, il est là, tu dois faire avec, avec son histoire. La notion de solidarité est donc aussi primordiale, en voyageant on découvre que les gens sont spontanés, naturels et bienveillants, c’est quelque chose que j’essaye de garder à mon retour en France.

Tu es aussi photographe à tes heures perdues, en quoi cette activité participe-t-elle de tes voyages ? Est-ce que cette activité est réfléchie ou est-ce quelque chose que tu fais sur le coup, sans vraiment y penser ?

Un peu des deux, je suis souvent frustrée mais je me laisse cette frustration, je me dis qu’elle fait partie intégrante du voyage. Je ne peux pas mettre mon appareil sous le nez de tout le monde. Je me retrouve alors avec plein d’images dans la tête, d’endroits ou de situations que j’aurais voulu photographier… Au Rwanda par exemple, il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas être photographiés. Ce que je fais beaucoup, c’est que je ressors seule le soir, quand la lumière se tamise, il y a moins de monde et je peux prendre alors des photos comme je veux, même chose le matin à l’aube. De toute façon, après coup, lorsque je vois mes photos je me dis : « mais c’est pas ça du tout, c’est tellement plus beau, plus vivant en vrai ! »

Quelles sont les prochaines destinations que tu as en tête et pourquoi ?

Ce sera l’Ouzbékistan ou l’Égypte ! L’Ouzbékistan car j’aimerais approfondir ma connaissance de cette partie du monde et l’Égypte, car ce pays et le Liban ont une histoire en commun. Mais avec la situation mondiale actuelle, pour l’instant je lis Samarcande de Amin Maalouf et Ce pays qui te ressemble de Tobie Nathan.

Lorenza Stefanini ©DR