Le procès des attentats de 2018 comme un (quasi) ultime épisode…

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Un avocat strasbourgeois, Arnaud Friederich, a représenté une quinzaine de parties civiles lors du procès des attentats de 2018 à Strasbourg. Voici son regard sur cinq semaines d’un procès hors normes, totalement délocalisé à Paris en raison des nombreuses mesures de sécurité qui ont été nécessaires…

Tout jeune cinquantenaire, Arnaud Friederich est avocat-associé au Cabinet Alexandre-Levy-Kahn- Braun & Associés, un des plus réputés cabinets d’avocats de Strasbourg, qu’il a rejoint, en tant que collaborateur, dès sa prestation de serment il y a près de vingt-cinq ans. Avocat généraliste dans l’âme, Arnaud Friederich s’est « frotté successivement au droit civil puis au droit commercial » avant, en 2007, d’avoir à plaider pour le compte d’une famille partie civile dans l’affaire Pierre Bodein (dit Pierrot le Fou – ndlr). « Un premier procès d’Assises important pour moi, car j’ai eu ensuite à plaider, à raison d’un procès tous les deux ans environ, dans des affaires de même ampleur, jusqu’au procès des attentats de Strasbourg, tout récemment… » résume l’avocat.

Pour qui avez-vous plaidé à Paris, dans le cadre du procès des attentats strasbourgeois de 2018 ?

Je représentais quinze parties civiles, c’est dire autant de victimes aux caractéristiques très différentes. Il y avait la famille de Pascal Verdenne, une des victimes décédées le soir de l’attentat, je défendais ses enfants et leur mère. Je défendais aussi une des deux personnes étant courageusement intervenues pour tenter de maîtriser le terroriste devant le bar Les Savons d’Hélène : il s’agissait d’un musicien, collègue de Damian Myna qui luttait à mains nues, au corps à corps avec Chérif Chekatt (Or Norme avait recueilli en exclusivité le témoignage de Damian Myna – lire notre numéro n° 32 de mars 2019). Son ami, Tom, que je représentais au Palais de Justice de Paris, a pris ce soir-là une balle et un coup de couteau dans l’omoplate lors de sa lutte avec le terroriste. Ces deux amis, on les a appelés les « héros très discrets » tant ils ont été très réservés et humbles après leur acte héroïque le soir du 18 décembre 2018. J’ai enfin défendu d’autres personnes qui ont eu à croiser Chérif Chekatt lors de ses exactions terroristes, rue des orfèvres, au pont Saint-Martin et jusqu’au surlendemain, le 13 décembre, quand il a été abattu par les forces de Police rue du Lazaret.

En tant qu’avocat, comment aborde-t- on, tant sur le plan purement professionnel que sur le plan humain, un procès qui, forcément, concerne une si importante communauté, c’est-à-dire tous les habitants de l’agglomération de Strasbourg, leurs proches, quelquefois très loin d’Alsace et les Alsaciens en général ? Car personne, évidemment, n’a rien oublié de ces 48 heures dramatiques…

Il nous a en effet fallu nous impliquer dans trois dimensions. La première a été évidemment celle du préjudice subi par les victimes elles-mêmes, comme lors de n’importe quel autre procès. Le deuxième environnement à prendre en compte est l’environnement sociétal. Dans cette affaire, au-delà bien sûr des souffrances premières, celles des victimes, c’est la société tout entière qui a eu également à souffrir. Ce point représente d’ailleurs par nature la définition du terrorisme. La troisième dimension, celle que vous évoquez relevait de la matière identitaire territoriale. Sur ce point, mis à part le procès d’Oradour-sur-Glane (du nom de ce bourg limousin qui a vu un épouvantable massacre en juin 1944, ses habitants ayant été quasiment tous exterminés par les soldats de la division SS Das Reich avec, parmi eux, des Alsaciens-Mosellans incorporés de force, pour la plupart – ndlr), je ne vois pas un autre procès qui ait autant souligné l’identité de Strasbourg, sa région et leur communauté toute entière, y compris les millions de touristes puisqu’à cette période de Noël, on évolue au sein d’un melting-pot absolu. C’est le monde entier qui est là, dans une atmosphère festive tout à fait unique. Durant toute la durée de ce procès, je n’ai jamais perdu de vue ces trois dimensions avec, bien sûr, la spécificité de ces débats, celle qu’ils étaient menés dans le cadre d’une cour d’assises spécialement composée en matière de terrorisme, ne comportant que des magistrats professionnels.

On peut deviner que pour l’avocat que vous êtes, la donne a donc été très différente du cadre d’une cour d’assises traditionnelle. Cette composition spéciale a changé beaucoup de choses ?

On reste toujours dans le cadre de la justice traditionnelle : lors du jugement, il s’agit au final de répondre à des questions en se basant sur son intime conviction. Ce point est très important, il n’y a pas besoin d’avoir une preuve formelle. Mais évidemment ça change tout d’obtenir l’intime conviction d’un jury populaire comme dans une cour d’assises classique et de l’obtenir d’une cour composée uniquement de magistrats professionnels, tous férus de droit et possédant des qualifications juridiques très poussées.

Et puis, il y avait une autre spécificité à ce procès : le coupable n’était pas à la barre…

Oui, l’auteur principal des faits a été abattu. Mais une dimension s’est imposée : il fallait juger ses complices et ceux qui ont été impliqués dans le cadre de ce qu’on qualifie « d’association de malfaiteurs terroristes ». J’avais longuement préparé mes clients à cette dimension-là, mais aussi au fait que le procès n’allait pas avoir lieu à Strasbourg et que le jugement n’allait pas non plus y être rendu. Ceci pour des raisons de sécurité très particulières et drastiques dont la mise en oeuvre ne pouvait s’exécuter que dans le cadre du Palais de Justice de Paris. Compte tenu de tout cela, beaucoup de victimes et de parties civiles, sans parler des Strasbourgeois eux-mêmes qui auraient voulu assister au procès, ont renoncé à être présents.

Un mot sur les accusés présents dans le box…

Compte tenu du caractère évident de terrorisme, tous, au départ, avaient été mis en cause sous cette qualification. Et puis au cours de l’instruction, et ça s’est bien matérialisé lors des débats, s’est creusé un fossé entre celui qui a été mis en accusation sur des faits liés au terrorisme et les trois autres (un quatrième, absent du box pour raisons de santé, sera jugé plus tard – ndlr), qui l’ont été pour des faits de « simple association de malfaiteurs ». Le jugement concernant l’accusé principal, Audrey Mondjehi, a été de trente ans de prison avec une période de sûreté de vingt ans et une interdiction définitive de séjour sur le territoire français, à sa libération. Il a d’ores et déjà fait appel, il y aura donc un nouveau procès d’ici dix-huit mois…

Le point très particulier du fait de savoir comment le terroriste avait réussi à pénétrer dans le périmètre soi-disant hautement sécurisé du Marché de Noël a-t-il été abordé ?

Vous pensez bien que oui, et par de nombreux avocats dont moi-même. Nous n’avons obtenu aucune réponse sur ce point précis, de même que sur la découverte d’éléments importants qui auraient pu laisser présumer qu’un passage à l’acte pouvait être imminent, lors de la perquisition au domicile du terroriste effectuée le matin du 18 décembre, en présence de deux personnes de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure – ndlr) puisque Chérif Chekatt était fiché S… On sait que cette perquisition a sans doute hâté son passage à l’acte le soir même…

Comment vos clients ont-ils accueilli ce verdict ?

C’est toujours très compliqué de se réjouir d’une peine aussi lourde, mais je pense que c’est le soulagement qui a dominé, avec le sentiment d’avoir été entendu, et que leurs souffrances et leurs vies brisées avaient été prises en considération.

Ce procès a duré cinq longues semaines. Comment les avez-vous vécues, sur tous les plans, aussi bien professionnel qu’humain ?

J’ai voulu m’impliquer pleinement, et j’y suis parvenu. Comme cela se passait à Paris, j’ai tenu à garder le lien avec les parties civiles qui n’étaient pas physiquement présentes. Chaque soir, je les appelais au téléphone, pour leur faire un compte-rendu de la journée et pour répondre à leurs questions. J’ai été présent à toutes les audiences et je peux dire que j’ai bossé énormément, d’autant qu’il a bien sûr fallu assurer le suivi des autres affaires sur lesquelles je travaillais également. Bref durant ces cinq semaines, je me suis consacré exclusivement à mon activité professionnelle et je me suis organisé en conséquence – je rentrais à Strasbourg, auprès de ma famille, le samedi midi et je repartais en fin d’après-midi du dimanche… Aujourd’hui (cette interview a eu lieu une quinzaine de jours après la fin du procès – ndlr), je ne me sens pas « vidé », je suis heureux de m’être autant impliqué, je suis satisfait du résultat, mais je vous avoue que je suis très heureux aussi d’être revenu à une activité normale, entre guillemets. Oui, j’ai dû mobiliser de considérables ressources d’énergie, mais les victimes m’ont abondamment démontré leur gratitude à ce sujet. Au final, j’ai donc vécu une expérience professionnelle et humaine de tout premier ordre, j’en ai bien conscience…

©Nicolas Rosès