L’Ecriture du désastre : des écrivains face à l’isolement
« La lassitude devant les mots, c’est aussi le désir des mots espacés, rompus dans leur pouvoir qui est sens, et dans leur composition qui est syntaxe ou continuité du système (…). La folie qui n’est jamais de maintenant, mais le délai de la non-raison, le « il sera fou demain », folie dont on ne doit pas se servir pour en agrandir, alourdir ou alléger la pensée. » – Maurice Blanchot –
Si la solitude attire les muses, elle n’est pourtant pas toujours voulue. L’isolement, c’est aussi celui qui, parfois, est subi, de la geôle à l’hôpital en passant par l’esprit lui-même. Cet emprisonnement peut malgré tout être le déclencheur d’une expérience créative où quand l’acte d’écrire se confond avec la catharsis.
Jean Genet
Né le en 1910 à Paris et mort en 1986, Jean Genet est un écrivain, poète et auteur dramatique français. Petit garnement, il commit son premier vol à l’âge de 10 ans, le premier d’une longue série et qui lui vaudra de nombreux séjours en prison. C’est à l’occasion de ces épisodes qu’il composera une bonne partie de son oeuvre, premiers romans et pièces de théâtre. Symbole de sa personnalité asociale, son lien avec le milieu carcéral sera toujours vu par lui comme une revendication. Plus tard, Genet s’engagera d’ailleurs politiquement, sur ce sujet, « c’est en moi qu’il me boucle et c’est jusqu’à perpète ce gâfe de vingt ans ! « .
« Vous êtes les résidus d’un âge fabuleux. Vous revenez de très loin. Vos ancêtres mangeaient du verre pilé, du feu, ils charmaient des serpents, des colombes, ils jonglaient avec des oeufs, ils faisaient converser un concile de chevaux. Vous n’êtes pas prêts pour notre monde et sa logique. Il vous faut donc accepter cette misère : vivre la nuit de l’illusion de vos tours mortels. Le jour vous restez craintifs à la porte du cirque – n’osant entrer dans notre vie – trop fermement retenus par les pouvoirs du cirque qui sont les pouvoirs de la mort. Ne quittez jamais ce ventre énorme de toile. »
H.P Lovecraft
Créateur d’un univers atypique, au croisement du folklore, de l’horreur et de la science-fiction, Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est désormais une référence du courant littéraire fantastique. Pourtant, l’inventeur du terrible Mythe de Cthulhu (monstre informe venu des ténèbres d’une autre galaxie) ne connut pas le succès de son vivant. Son parcours, émaillé de drames, l’aura rendu acariâtre et xénophobe, replié sur lui-même et sa mythologie. Ainsi, à l’âge de trois ans, il voit son père interné dans un asile. Sa mère connaîtra le même sort 26 ans plus tard. Lovecraft, lui aussi fragile mentalement (dépressions nerveuses, angoisses, pensées suicidaires), tentera toute sa vie de vivre de sa plume, en vain. Cette immuable pauvreté se transformera en peur et finalement en haine de l’autre, Lovecraft, génie de l’horreur, n’aura pas su se préserver de la violence de son propre univers.
« Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. »
Unica Zürn
Unica Zürn (1916 -1970) est une artiste et écrivain allemande. Elle s’installe à Paris en 1953 avec le plasticien Hans Bellmer. Proche des surréalistes, Zürn commence par peindre, puis elle dessine, plusieurs expositions attestant de son réel talent. En 1957, suite à une dépression nerveuse et plusieurs épisodes schizophrènes, elle est internée et tente alors de mettre fin à ses jours. À partir de cet événement et jusqu’à sa mort, Zürn effectuera de nombreux séjours en cliniques psychiatriques. Son oeuvre littéraire prendra racine dans ces moments d’internement, fictions, journaux, contes, son écriture fait état de sa folie et de l’univers médical, entre rêve et lucidité. « Berlinoise bottée de plume. Peinte de phosphore. Fouettée de nacre en pluie bleue. » (André Pieyre De Mandiargues).
« Depuis son enfance le lit est, dans ce monde inquiétant et dans cette vie trouble, l’endroit où elle se sent le plus en sécurité. Le lit où l’on peut écrire, dessiner et rêver est son suprême refuge contre la vie ; et dans les longues périodes passives et sans espoir, ces longues périodes de dépression qui suivent ponctuellement et inexorablement celles de la folie et des hallucinations tellement agréables, le lit est pour des jours et des mois le seul endroit où elle est capable de continuer à exister. Dans ces dispositions d’esprit elle reste couchée, les yeux fermés, des heures durant et elle parvient à ne plus penser à rien. »